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« Nous arrivons à la fin des Ehpad »

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Directeur d’hôpital honoraire, Gérard Brami est l’auteur de La fin des Ehpad ? Réalités ignorées et vérités rejetées (éd. Vérone).

Crédit photo DR
Dans son dernier livre, Gérard Brami, ancien directeur d’Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), remet en cause la viabilité de ces structures. Et parle de « désastre gérontologique » annoncé.

Actualités sociales hebdomadaires - Quel constat faites-vous des Ehpad aujourd’hui ?

Gérard Brami : Incontestablement, les Ehpad ont évolué. L’hospice que j’ai connu au début de ma carrière n’existe plus. Toutefois, les critiques envers ces établissements et leur fonctionnement s’intensifient. Tous les indicateurs sont dans le rouge. Le modèle doit changer. Pour preuve, 80 % des Français le rejettent. Nous vivons la fin des Ehpad. Dans un rapport publié fin 2020, les sénateurs Bernard Bonne (LR) et Michelle Meunier (PS) préconisent d’ailleurs l’arrêt de leur construction.

Le modèle actuel, avec un contrat, des formalités, des lois très strictes, est extrêmement inconvenant pour les personnes âgées. Les évaluations et les contrôles mis en place ne sont pas satisfaisants. Comment expliquer, par exemple, que l’on n’arrive pas à contrôler la maltraitance de certains groupes ? Alors même qu’il existe deux autorités de tarification et de contrôles, qu’il y a des conseils départementaux et des agences régionales de santé, la plateforme 3977, le défenseur des droits, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, les associations départementales… C’est bien qu’il y a une mauvaise gestion de ces établissements.

À quel moment la situation s’est-elle dégradée ?

Le premier tournant date de la réforme des institutions sociales et médico-sociales de 1975. D’autres textes ont ensuite été votés entre la fin des années 1990 et le début des années 2000, avec notamment la contractualisation et les évaluations. A ce moment-là, on se croyait au top. Les Ehpad étaient persuadés d’être passés à l’âge adulte. Or, par essence, il s’agit d’une entreprise artisanale. De ce point de vue, le scandale Orpea est un révélateur.
Il montre que l’on ne peut pas agir n’importe comment. En s’intéressant plus à l’aspect financier, Orpea a oublié sa raison d’être : la prise en charge de personnes dépendantes. La canicule de 2003 – et la surmortalité qu’elle avait entraînée – avait déjà révélé les carences de l’accompagnement des personnes très âgées. A ce moment-là, nous étions dans le désarroi total. C’est ce que je qualifie de « naissance du désastre gérontologique ».

Dans votre livre, vous expliquez que l’on passe moins de temps en Ehpad…

La durée moyenne de séjour a terriblement baissé ces dernières années. Il y a vingt ans, elle était de sept ans. Désormais, elle est de moins de trois ans pour le secteur public associatif et de moins de deux ans pour le privé. Autre chiffre : un tiers des personnes qui entrent en Ehpad décèdent dans l’année. Ce qui s’explique par une entrée plus tardive et en moins bonne santé. Enfin, la moitié des séjours en Ehpad, en moyenne, durent moins d’un an et demi. Pire, 40 % des résidents du secteur privé ont des séjours de moins de six mois.

Environ 30 % des résidents qui entrent en Ehpad en ressortent au cours de la même année. Pourquoi ? Soit ils retournent à domicile, soit ils vont dans un autre établissement. Cela prouve, une fois de plus, qu’il y a un malaise. Quand on entre en Ehpad, c’est souvent pour se sentir protégé, en sécurité. Mais les personnes ne se sentent pas chez elles. La toilette est faite à 11 h ; les résidents sont couchés à 19 h 30 ; la nuit, il n’y a que deux ou trois soignants pour une centaine de personnes… Les Ehpad ont besoin d’un autre modèle. Ils doivent se rapprocher le plus possible du domicile.

Pourtant, vous mettez en avant le « faux débat » entre « chez soi » et « chez l’autre »…

Tout au long de son parcours (hébergement temporaire, résidence autonomie, accueil de jour, résidence service seniors, etc.), la personne âgée est chez elle, sauf en Ehpad. Si celui-ci est appelé « substitut du domicile », dans les faits, il n’est pas réglementé comme tel. Les contraintes sont encore trop importantes. On oblige les résidents à prendre leurs repas en commun, on limite les heures de visite, on autorise le personnel ou le gestionnaire à aller et venir dans les chambres comme bon leur semble. Il faut que l’Ehpad devienne un « quasi-domicile ». On pourrait, par exemple, servir des repas venus de l’extérieur et arrêter d’imposer des normes de cuisine terrifiantes. Ce n’est pas compliqué à mettre en place.

Que pensez-vous de la multiplication des contrôles annoncée ?

Systématiser les contrôles ne va pas solutionner le problème, ni mettre fin à la pénurie de professionnels, ni rendre les métiers plus attractifs ou encore homogénéiser les tarifs… D’autant qu’il y a déjà tout ce qu’il faut pour contrôler les établissements. L’excès de normes est patent en Ehpad. Les directeurs ont trop de contraintes. Les décisions sont prises loin du champ de vie des Ehpad, des personnes âgées, de leur entourage. Nous sommes harassés de recommandations, de plans, de rapports, de décrets, de protocoles… Au point que les directeurs, les managers, les équipes pluridisciplinaires sont dans l’impossibilité de tout intégrer.

Vous définissez sept péchés capitaux. Quels sont-ils ?

En premier lieu, il y a ce que j’appelle « l’insoutenable continuité des situations de maltraitance ». Malgré les textes, le sujet reste d’actualité. Pire, les appels au 39 77 se multiplient. On retrouve aussi le criant et bien connu manque de personnel ; l’aggravation médicale et mentale des publics accueillis ; « une volonté ultra-majoritaire des personnes âgées et très âgées de demeurer à leur domicile » ; une mauvaise insertion de l’Ehpad dans le parcours du vieillissement ; une communication défaillante face à l’« Ehpad bashing » ; et, enfin, l’inadéquation des prix au regard du niveau de revenu des personnes âgées. Une chambre peut coûter jusqu’à 6 000 €, voire plus, alors même que le niveau moyen mensuel d’une retraite est de 1 576 €. Vivre en établissement coûte donc beaucoup trop cher. Cette situation s’est aggravée, avec le développement des Ehpad privés à but lucratif. Pourtant, ces trente dernières années, aucun gouvernement n’a remis cette situation en cause.

Finalement, que préconisez-vous ?

Mon souhait est qu’un tiers des Ehpad restent comme tel, qu’un tiers se convertissent en « résidence d’accompagnement à l’autonomie » et que le dernier tiers se transforme en unités médicalisées de fin de vie, une sorte de soins palliatifs médico-sociale. Cette répartition se justifie par les chiffres. Environ 40 % des personnes âgées hébergées en Ehpad sont en GIR 3 ou 4. L’Ehpad tel qu’il existe leur convient très bien. Entre 25 et 30 % sont en GIR 1 ou 2.

Ces résidents ne peuvent pas demeurer chez eux et ont besoin d’assistance médicale. Enfin, une part plus infime sont en GIR 5 ou 6, quasiment autonomes. Pour eux, il serait préférable de vivre en résidence d’accompagnement à l’autonomie. J’invite tout le monde à la réflexion. J’ai travaillé pendant quarante ans en établissement et je continue d’apprendre. La situation n’est pas figée. Il est possible de faire quelque chose d’humain, de facile, qui permette d’ouvrir et de casser le mythe de l’Ehpad.

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