Les professionnels sont plutôt à l’aise avec les outils digitaux. Mais le tout-numérique dégrade la qualité de l’accompagnement dispensé, les plaçant dans une posture subie de médiateur numérique.
C’est ce qui ressort de l’enquête « L’action sociale face aux transformations numériques » menée par Emmaüs Connect et ses partenaires – Fonda, Unaforis, Uniopss et Mission locale de Charleville-Mézières (Ardennes) – auprès de 2 500 travailleurs sociaux.
>>> A lire aussi : Pratiques : les professionnels invités à une enquête sur le numérique
« Le numérique, s’il est choisi et non subi, peut devenir un levier d’inclusion, expliquent les auteurs du rapport. Mais cela exige une transformation profonde de nos approches et de notre éthique, où l’humain reste au centre des décisions et où la technologie s’aligne sur nos valeurs de solidarité et de justice sociale. »
Les outils numériques satisfont une majorité des répondants, qui saluent notamment les outils collaboratifs avec les collègues et partenaires, les outils de traduction, et ceux qui permettent de placer les personnes sur des formations.
- 80 % vivent bien ou très bien les pratiques dématérialisées.
- 59 % indiquent que cela facilite leur travail (organisation simplifiée, gain de temps, meilleur accès à l’information, meilleure communication entre professionnels).
Un travailleur social sur deux déplore une perte de lien humain
Mais ils s’inquiètent d’abord d’une remise en question notable de leur accompagnement humain. Leurs réponses pointent une surcharge de travail administratif (reporting, collecte de données…), une multiplication des démarches en ligne réalisées à la place des usagers, qui réduisent le temps d’accompagnement social, et une « réduction des échanges en face-à-face ». « Il y a maintenant trois personnes lors des entretiens : l’usager, le travailleur social et l’ordinateur », rapporte un témoignage.
- 37 % témoignent d’une dégradation de la qualité de leur accompagnement.
- 51 % évoquent une perte de lien humain dans celui-ci.
>>> Sur le même sujet : Elections législatives : Emmaüs Connect en première ligne pour garantir l’accès au vote
Avec la dématérialisation des démarches et la disparition des guichets humains, les personnes accompagnées, souvent exclues ou éloignées du numérique, s’en remettent aux structures sociales pour être aidées. « Des personnes sans difficulté de compréhension se tournent aujourd’hui vers les services sociaux pour des difficultés d’accès aux droits », observe même un travailleur social. L’enquête révèle que les nouvelles tâches de médiation numérique, pourtant hors de leur périmètre formel, déstabilisent tous les métiers du social.
- 91 % disent intégrer la médiation numérique dans leur travail quotidien.
- 55 % déclarent manquer de ressources pour accompagner les publics en difficulté numérique (équipement, formation…).
- 38 % doivent réorienter ces publics vers d’autres structures.
- Seuls 15 % sont satisfaits de ce qu’ils peuvent leur proposer.
>>> Pour compléter : Et si on appliquait le Livre blanc du travail social ?
Pour replacer le numérique au service du travail social, Emmaüs Connect formule trois axes de préconisations :
- Outiller professionnels et usagers. Alors que 43 % des répondants estiment ne pas avoir été assez formés sur le numérique, l’association appelle au financement de cette formation tout au long des carrières et à l’intégration des questions numériques dans les programmes de formation initiale. Pour les usagers, elle appelle au renforcement d’une politique publique de l’inclusion numérique, et du dispositif Conseillers numériques.
- Moins d’administratif et de reporting au profit de l’accompagnement. Emmaüs Connect propose que soit simplifiées les collectes de données individuelles lors des démarches administratives et que les financeurs exigent moins de reporting. L’association appelle de ses vœux une généralisation du versement automatique des prestations sociales.
>>> Sur le même sujet : Extension du domaine du travail social - Des alternatives de droit au tout-numérique. Emmaüs Connect appelle l’Etat à faire respecter le droit à ne pas recourir à une démarche dématérialisée (art. L.112-8 du code des relations entre usagers et administration) et à inscrire dans la loi l’obligation pour les administrations de proposer des alternatives, avec des points de contact physique et téléphonique accessibles. Elle promeut un meilleur design et une meilleure ergonomie des services en ligne. L’association défend enfin la mise en place d’accès administratifs aux services publics pour les travailleurs sociaux, joignables par téléphone.
>>> Lire le rapport complet <<<