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"Les préfets se permettent de prendre des mesures sans respecter le cadre légal"

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Le 1er janvier 2025, La Cimade a définitivement cessé son intervention au CRA du Mesnil-Amelot, où jusqu’à 240 personnes étrangères menacées d’expulsion peuvent être enfermées simultanément.

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[Interview] Un mois et demi après l’arrêt définitif de l’accompagnement juridique assuré par La Cimade au sein du centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, Louise Lecaudey, ancienne responsable rétention de l’association sur place, décrypte les motifs qui ont conduit à son retrait historique.

C’est un aveu d’échec. Face à la multiplication de pratiques abusives d’enfermement et d’expulsion d’étrangers retenus au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, La Cimade n’a pas candidaté pour assurer l’accompagnement des personnes en 2025. La décision fait suite à l’impossibilité pour l’association de mener à bien ses missions, malgré de multiples alertes formulées au ministère de l’Intérieur. Encadrante de l’équipe de l’association et ancienne intervenante sociale au sein du centre, Louise Lecaudey explique le désengagement de la structure qui exerçait au sein de l’établissement, depuis son ouverture en 2011.

ASH : Pour quelles raisons La Cimade a-t-elle décidé de retirer définitivement son équipe du centre du Mesnil-Amelot ?

Louise Lecaudey : Ce retrait n’est pas le premier. En 2019 et en 2023, l’association avait déjà stoppé ses activités ponctuellement. A l’époque, nous y constations une détérioration des conditions de rétention et des atteintes répétées aux droits des personnes retenues. C’est une situation qui perdure malgré nos alertes répétées auprès du ministère de l’Intérieur.

Par ricochet, des risques psycho-sociaux et un sentiment d’impuissance manifeste de nos salariés sont advenus. D’où la décision de ne pas nous présenter sur l’offre de marché public pour 2025. Depuis le 1er janvier, l’association France terre d’asile accompagne les personnes au Mesnil-Amelot. L’assistance juridique au sein des CRA est une obligation légale.

Qu’avez-vous constaté sur place ?

Insalubrité, promiscuité ou absence d’intimité sont autant de problématiques propres à la vie au sein du centre de rétention administrative. Ces éléments ont d’ailleurs été relevés par un rapport de la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), publié l’an dernier.

Notre équipe observait par ailleurs les mauvaises conditions d’hygiène, ainsi que des distributions de portions alimentaires insuffisantes. Le tout dans des conditions d’hébergement dégradées qui se traduisent, par exemple, par le fait de ne pas chauffer les locaux durant l’hiver, de laisser des portes de toilettes sans fermeture ou des évacuations de douches bouchées, sans qu’aucune intervention n’ait lieu. Enfin, la liberté de circulation était restreinte au sein du centre. Or, pour rappel, les CRA ne sont pas des prisons. Il faut pouvoir circuler pour se rendre à l’infirmerie ou au greffe.

S’agit-il de phénomènes nouveaux ?

Si les conditions de vie au sein des centres de rétention administrative se sont toujours révélées singulières, la situation se détériore depuis 2020.

Par exemple, de manière injustifiée, la restriction des conditions de circulation liée à l’épidémie a perduré malgré la levée des barrières sanitaires. Le recours massif et répété à l’isolement du public dans des pièces de 8 m2 est également de plus en plus pratiqué par les équipes de la police aux frontières (Paf).

>> Sur le même sujet : Quelles sont les compétences du préfet en matière d’assignations à résidence ?

Quelles conséquences ont ces conditions de vie sur les personnes retenues ?

Le fait de mettre en place des horaires stricts pour se déplacer empêche les personnes d’avoir accès à nos services, à leur téléphone ou à leurs documents personnels. Cela engendre des effets délétères. En effet, en rétention, les délais pour effectuer des recours sont de 24 ou 48 heures. Ce qui est très court. Dans l’intervalle, nous devons récupérer de nombreux documents à transmettre au juge : diagnostics médicaux, certificats de scolarité, carte de protection internationale, attestation de proches…

Ces difficultés à constituer les dossiers entravent notre travail car elles nous empêchent de faire valoir les droits des personnes accompagnées. En somme, nous avons assisté à une gestion de l’établissement de plus en plus carcérale.

La Cimade dénonce également des décisions illégales d’expulsion. De quoi s’agit-il ?

De nombreuses personnes se font expulser durant le temps de leur recours devant le juge administratif. Certains ont une vie familiale en France avec des enfants ou ont entamé un parcours de soins. Mais leur expulsion intervient sans qu’ils aient le temps de voir le juge, c’est-à-dire en dehors de tout cadre légal. D’autres expulsions interviennent à la suite d’un dépôt de demande d’asile. Alors que la loi prévoit de protéger les étrangers durant le temps de l’examen de leur demande par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l’expulsion intervient malgré tout.

Quelles sont les réactions des personnes retenues ?

La multiplicité de ce type de faits nous a beaucoup desservis. Notre travail était remis en question. Il est complexe d’expliquer au public qu’il a des droits, que les recours formulés permettent d’être protégé d’une expulsion et que cela se révèle faux. Ce type de situations jette le discrédit sur nos actions et génère un climat de défiance à l’égard de notre équipe. S’y ajoutent des tensions et un climat anxiogène qui mènent parfois à des tentatives de suicide.

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Comment expliquez-vous cette tendance au durcissement ?

A ce sujet, la volonté du ministère de l’Intérieur est claire : outrepasser l’état de droit et ne pas respecter la loi. C’est ce qui nous inquiète beaucoup. Opposées à ces pratiques, les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) n’y changent rien. Les préfets se permettent de prendre des mesures sans respecter le cadre légal.

Certaines expulsions concernent des personnes soudanaises, afghanes ou haïtiennes, c’est-à-dire des personnes qui craignent pour leur vie si elles rentrent dans leur pays d’origine. C’est une course à l’expulsion renforcée par une criminalisation constante des personnes étrangères.

La Cimade intervient dans sept autres CRA. Les situations y sont-elles similaires ?

Les constats sur la volonté du gouvernement à « faire du chiffre » sont observables partout. En revanche, bien que les expulsions illégales existent ailleurs, nous parvenons à établir un dialogue avec l’administration des autres centres. Ce qui nous permet de mener à bien notre mission. Mais le CRA du Mesnil-Amelot est très grand et se situe à proximité de l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle. Il s’agit donc d’un lieu très exposé d’un point de vue politique.

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