Cela pourrait ressembler à un PSE (plan de sauvegarde de l'emploi) à bas bruit pour le secteur associatif. Après la disparition programmée des 5 000 postes d’adultes-relais, déjà actée dans une circulaire de novembre 2024, ce sont plusieurs dizaines de milliers de parcours emploi compétences (PEC) qui sont aujourd’hui sur la sellette, sacrifiés sur l’autel des coupes annoncées sur la ligne budgétaire du ministère du Travail pour 2025.
Combien de ces emplois subventionnés risquent-ils de disparaître ? Difficile d’établir une estimation alors que les ultimes arbitrages de Bercy n’ont pas encore été rendus, mais suite à la rencontre entre les acteurs de l’insertion et la ministre déléguée à l’emploi Astrid Panosyan-Bouvet la semaine dernière, « on table sur une baisse drastique de 70 à 75 % des PEC », annonce Emilie Scoccimarro, déléguée générale adjointe d’Emmaüs France.
La chute continue des emplois aidés
Autrement dit, une suppression de presque 40 000 contrats en 2025 par rapport aux 60 000 financés en 2024, alors que la trajectoire de ces emplois aidés, qui ont succédé aux anciens CUI-CAE (contrats uniques d’insertion-contrats d’accompagnement dans l’emploi) en 2018, n’a fait que baisser depuis 2016 où l’on en comptait environ 100 000. Il faut dire qu’à l’époque, François Hollande était encore aux manettes et que la création d’emplois subventionnés faisait partie des solutions adoptées par le gouvernement socialiste d’alors pour réduire le chômage des jeunes.
L’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée, l’année suivante, s’était traduite par une sérieuse mise à la diète des contrats aidés. Particulièrement prisés par le secteur non marchand (collectivités et associations en tête), avec la suppression des emplois d’avenir, ils avaient été remplacés par des « emplois francs » (réservés toutefois aux seuls quartiers prioritaires de la politique de la ville), les PEC avaient été substitués aux ex-CUI-CAE et une politique de lutte contre le chômage des jeunes avait été davantage orientée vers le développement de l’apprentissage qu’en direction des emplois subventionnés.
Il aura fallu la pandémie de Covid-19 et la mise en branle du plan « 1 jeune, 1 solution » pour voir l’Etat relancer une nouvelle vague de contrats aidés dans le cadre de son plan de relance. Mais à titre essentiellement provisoire, puisque dès 2022, la tendance s’est à nouveau inversée.
« Si ce scénario d’austérité se confirme, la baisse du nombre de PEC sera encore plus drastique que celle qu’avait recommandée l’Igas en septembre 2024 », poursuit Emilie Scoccimarro. A l’époque, tout à leur recherche d’économies pour l’Etat, les inspecteurs des affaires sociales associés à leurs homologues des finances préconisaient de limiter le financement de parcours emploi compétences à seulement 55 000 pour 2025. Une proposition déjà reprise à la volée par le gouvernement Barnier, qui n’en avait budgété « que » 50 000 dans son projet de loi de finances. Un stock que l’équipe Bayrou pourrait ramener à 20 000.
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Effets en cascade
Ce serrage de vis pourrait entraîner des conséquences très concrètes pour les acteurs associatifs. Rien que dans le périmètre d’Emmaüs, c’est une association en Normandie qui se verrait contrainte de réduire de 12 à 6 le nombre de ses salariés, si ces projections venaient à se confirmer. En Charente, une autre structure serait contrainte de signifier leur congé à une trentaine de PEC employés, mettant en danger son existence même. A La Réunion, une autre association recourant aux services d’une cinquantaine de ces contrats aidés ainsi qu’à une quarantaine d’autres postes financés au titre de l’insertion par l’activité économique, elle-même déjà bien amputée, pourrait se retrouver contrainte d'interrompre les parcours d'insertion professionnelle engagés…
Bref, une série de destructions d’emploi de basse intensité, mais qui, mises bout à bout, auraient des conséquences particulièrement délétères pour les acteurs associatifs. « On voit les pertes d’emploi immédiates, mais il faut aussi prendre en compte tous les effets que cela entraînera en cascade », soupire Frédéric Fonton, vice-président du Mouvement des régies, la tête de réseau des régies de quartiers.
Car dans ce réseau, situé à la confluence de la médiation sociale, de l’IAE et de l’accompagnement socio-professionnel, si le nombre d’emplois perdus devait se limiter sur le papier à quelque 110 équivalents temps plein (ETP), répartis entre adultes-relais supprimés, PEC non financés et parcours d’insertion par l’activité économique caviardés par la dégringolade des fonds accordés au PIC IAE, ils s’ajoutent à d’autres effets de ciseaux induits par la baisse des budgets de la politique de la ville, le retard des versements aux associations par les collectivités territoriales – qui ont choisi de différer le vote de leur budget en mars ou avril 2025 – et les réductions annoncées des subventions départementales...
Au total, la casse sociale risque donc de se chiffrer à bien plus. « Si la structure emploie moins de gens, elle ne pourra plus proposer la même gamme de services. Or, si nos associations comptent moins de postes, il leur sera plus compliqué de répondre à la commande publique socialement responsable et de répondre aux attentes de nos différents financeurs. Dans ces conditions, elles sont condamnées à disparaître petit à petit », explique-t-il. Sans compter toutes les activités de création de lien social assurées par les régies qui se verraient oblitérées dans la foulée… « et pourraient contribuer à remettre le feu aux quartiers », prévient Frédéric Fonton..
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Destructions sèches d'emplois
Au sein d’Elisfa, le syndicat des employeurs du lien social et familial, où l’on employait 4 450 contrats aidés (dont 77 % de PEC) en 2023 – soit déjà presque deux tiers de moins qu’en 2016, où l’on en comptait 10 500 grâce au renfort des emplois d’avenir –, on a sorti les calculettes pour tenter d’estimer les pertes. Car avec 1 700 emplois aidés dans la petite enfance, 2 400 dans les centres sociaux et 330 dans les associations de développement social local (ADSL) qui assurent des missions d’animation sociale sur les territoires, nombre d’établissements adhérents risquent d’être sévèrement chamboulés. « Si on avait les moyens budgétaires de recruter les anciens contrats aidés en CDI classiques, ce serait magnifique, mais ce n’est pas le cas. On risque d’assister à des destructions d’emplois sèches dans les structures, ce qui aura pour conséquence de les fragiliser », annonce Manuella Pinto, déléguée générale de l’organisation.
A l’époque des emplois d’avenir, près d’un jeune sur deux passé par les structures de la branche connaissait une sortie positive dans l’emploi durable, grâce à l’investissement conventionnel dans la formation fixé à 2,3 % du montant de la masse salariale. Demain, en revanche, les anciens bénéficiaires de contrats aidés risquent d’être relâchés dans la nature avec peu de perspectives devant eux.