Plusieurs associations girondines dénoncent une situation inédite qui bafoue la présomption de minorité. Pour répondre à la demande d’hébergement de 15 mineurs isolés en errance, la préfecture leur propose de bénéficier du dispositif de l’aide au retour volontaire (ARV). Et ce, alors qu’ils ont tous engagé un recours devant le juge des enfants pour faire reconnaître leur minorité. La proposition est intervenue le 11 octobre, au moment où les jeunes hébergés en hôtels par les services du Samu social étaient remis à la rue.
« La directrice de cabinet de la préfète nous a informé que ces jeunes avaient la possibilité d’être reçus dans le centre d’hébergement de Libourne [Gironde] dédié aux personnes en attente de retour vers leur pays d’origine. Il leur est concrètement proposé d’être reçus par les services de l’Ofii [Office français de l’immigration et de l’intégration] pour bénéficier du dispositif d’ARV », explique Claire, militante du collectif du Kabako qui assure la prise en charge de mineurs isolés sur le territoire.
Incohérence et vide juridique
Théoriquement réservé aux personnes majeures, l’« accompagnement » proposé surprend d’autant plus que certaines dates d’audience devant le juge des enfants sont déjà fixées aux mois d’octobre et de novembre. Par ailleurs, des discussions entre la préfecture, l’association Médecins du monde et le collectif Kabako étaient engagées afin d'étudier la possibilité du maintien d’un hébergement en hôtels jusqu’à la décision judiciaire .
« A la rue, ils deviennent des proies faciles pour les réseaux en tout genre et les violences. D’autant plus qu’une grande partie des recours donne lieu à une reconnaissance de minorité. Tant que le juge des enfants ne s’est pas prononcé, ils doivent donc être considérés comme des mineurs. Cette proposition est illégale », précise Maria Lefort, présidente bénévole du groupe locale de la Cimade à Bordeaux.
En cas d’orientation vers un centre d’hébergement dédié aux bénéficiaires de l’ARV, rien ne garantit que la tenue de l'audience et la décision du juge des enfants soient respectées. « C’est une question d’interprétation, mais il se pourrait que la personne soit renvoyée vers son pays d’origine avant que l'audience ait lieu », précise Maria Lefort.
Originaires de Gambie, du Mali, de Côte d’Ivoire, de Guinée, du Cameroun ou d’Afghanistan, pour l'instant, aucun adolescent n’a accepté de se rendre dans les services de l’Ofii. « Cela a été complexe de leur faire part de la proposition de l’Etat français. Ils ne demandaient qu’une mise à l’abri jusqu’à la fin de la procédure de recours », témoigne Claire du collectif Kabako.
Pour rappel, lorsque les services départementaux ne reconnaissent pas la minorité d’un jeune, celui-ci peut exercer un recours auprès du juge des enfants, il sort alors du dispositif d’évaluation. Une démarche pouvant prendre plusieurs mois et durant laquelle aucune prise en charge n’est prévue. « Alors qu’ils pourraient agir, les interlocuteurs se renvoient la balle. Le conseil départemental, la mairie et la préfecture estiment que cela ne relève pas de leurs compétences », affirme Maria Lefort.
Volonté de ne pas accueillir
Ce vide juridique place les jeunes isolés en recours dans une situation de profonde vulnérabilité. Pour y remédier, depuis fin juin 2020, le collectif de militants Kabako assurait leur hébergement et leur prise en charge au sein du département par l’occupation d’un bâtiment appartenant au conseil départemental. Des accompagnements sociaux, juridiques et scolaires étaient aussi dispensés par diverses associations locales. Au motif d'insalubrité, les trente-neuf occupants du squat, dont des primo-arrivants, ont été évacués le 23 septembre dernier. Si certains jeunes ont été hébergés dans des hôtels jusqu’au 11 octobre, les autres se retrouvent à nouveau sans abri.
« Sur une année, 130 jeunes ont été hébergés par le collectif Kabako. Au 1er avril 2021, près de 100 jeunes avaient été reconnus mineurs à la suite d’un recours. Ils vivent maintenant au sein de foyers de l’aide sociale à l’enfance. Cette alternative leur a évité la vie à la rue », déclare Aude Saldana-Cazenave, coordinatrice de Médecins du monde à Bordeaux.
Sur le territoire, les relations entre la préfecture et les associations sont complexes. « Il s’agit d’une logique de contrôle de l’immigration signée par la volonté de ne pas accueillir en Gironde », accuse Aude Saldana-Cazenave. La défenseure des droits et plusieurs élus locaux ont été saisis par les associations.