Fin novembre 2023, se tenait une journée d’études sur le Groupe SOS, mastodonte de l’économie sociale et solidaire. Parmi les invités, des chercheurs effectuant leur thèse au sein d’une des 700 structures du groupe ainsi que des membres de la direction, dont Jean-Marc Borello, président du directoire. A l’initiative de cette rencontre, les sociologues Coline Pélissier, doctorante Cifre au Cresppa-LabTop (Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris - Laboratoire des théories du politique) et Simon Cottin-Marx sociologue et maître de conférence au Cnam, auteur de Sociologie du monde associatif (ed. La Découverte), dressent un bilan de la journée.
Comment est née cette journée d’études ?
Simon Cottin-Marx : Nous sommes partis du constat de la mise sur le marché des associations, de la baisse des subventions et du développement de la concurrence avec le secteur privé lucratif dans certains champs, comme la petite enfance, les Ehpad et le service à la personne. La puissance publique réorganise également les opérateurs associatifs. Nous observons un phénomène de concentration avec l’apparition de mastodontes associatifs comme le Groupe SOS, Vitamine T, le groupe Avec ou les Apprentis d’Auteuil.
Coline Pélissier : Je suis doctorante Cifre [convention industrielle de formation par la recherche, Ndlr] dans une structure appartenant au Groupe SOS. Cette journée d’études fait écho à une volonté de mieux comprendre le milieu dans lequel je travaille et qui m’embauche pour ma thèse. Dans le quotidien des associations, le groupe n’est pas forcément visible. Du moins, ce n’est pas le cas dans ma structure. Il est difficile de saisir une entité aussi transversale que Groupe SOS, dont l’éventail d’actions va d’un CHRS [centre d’hébergement et de réinsertion sociale] à une salle de spectacle. Selon les secteurs, le fonctionnement, le financement et le rapport à l’innovation sont très différents. Un « club des Cifre » s’est créé grâce à cette journée. Nous avons été contactés par beaucoup plus de doctorants que ceux qui ont participé à l’événement.
Pourquoi étudier le Groupe SOS plutôt qu’un autre groupe ?
C. P. : Il est le symbole – ou le symptôme – de mutations plus larges. Mais il serait intéressant d’élargir la recherche à d’autres grands groupes associatifs.
S. C.-M. : Il s’agit du groupe le plus important et qui a grandi le plus vite ces dernières années. Il compte entre 22 000 et 25 000 salariés. La personnalité de Jean-Marc Borello et sa proximité avec le gouvernement actuel suscitent par ailleurs des questionnements. Le fait d’être proche du pouvoir permet-il un accès à davantage de marchés publics ? Comment le Groupe SOS participe-t-il en amont à la construction des politiques publiques ? Evidemment, nous ne sommes pas allés au bout de toutes les réflexions en une journée. Ce sont des enquêtes sensibles et difficiles à mener. Il s’agit d’un travail de fond, qui prend plusieurs années.
Coline Pélissier, vous bénéficiez d’un dispositif Cifre au sein du Groupe SOS, ce qui est aussi le cas des chercheurs participant à cette journée. Quels enjeux éthiques cela soulève-t-il ?
C. P. : La thèse Cifre permet des choses et en limite sans doute d’autres. C’est un élément à questionner. Particulièrement, en doctorat, car il s’agit de jeunes chercheurs. Même si je pense que ce sont des questions qui se posent à tous les niveaux de la recherche, y compris pour des personnes plus expérimentées qui rencontrent des processus de financement similaires. Mais, finalement, je ne sais pas si c’est si différent d’une autre enquête de terrain, où les personnes sont toujours prises dans des rapports avec les enquêtés.
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S. C.-M. : C’est un constat, la recherche en France est aujourd’hui de plus en plus financée par les acteurs privés, lucratifs ou non. Evidemment, cela pose des problèmes éthiques mais aussi professionnels pour les chercheurs qui sont en Cifre. Poser un regard critique sur son employeur n’est pas toujours évident. Nous avons fait très attention à ce que tout se passe bien pour les doctorants qui sont intervenus dans cette situation particulière. Nous n’avons pas rencontré de problème. Le Groupe SOS a été assez transparent sur son fonctionnement interne et n’opère pas de contrôle sur la communication des doctorants. Je précise qu’être en Cifre, c’est être à la fois chercheur et salarié. Cela présente l’avantage d’avoir une très bonne connaissance des associations et un accès important aux données internes, qu’on ne peut pas avoir en étant doctorant avec une allocation classique.
Comment vous êtes-vous assurés du regard critique des intervenants ?
S. C.-M. : Pour être très clair, notre but n’est pas de valoriser le Groupe SOS. L’idée est de comprendre ce que signifie y travailler et quels sont les moteurs de son développement. Nous attendions une analyse de sociologie critique et distanciée. Je pense que c’est ce que nous avons obtenu. Il y a eu toute une partie sur le dispositif Pairs, qui a récemment suscité la polémique à la suite de la publication d’un article de Médiapart rapportant une surfacturation des équipes de Lyon. Le sujet n’était pas tabou et a été abordé. Je connais des personnes qui réalisent leur Cifre au sein de structures d’éducation populaire et dans lesquelles la situation est beaucoup plus compliquée. Le Groupe SOS laisse les doctorants qu’il finance effectuer leur travail de recherche.
C. P. : Il a été facile de poser un cadre de recherche sur cette démarche. Nous avons tout fait pour que ce soit compris par le groupe, si ce n’est accepté et validé.
Il n’est pas courant d’avoir autour de la table l’objet d’études en lui-même. Qu’ont apporté les participations de Thibault Ronsin, directeur des ressources humaines du groupe, et de Jean-Marc Borello, président du directoire ?
C. P. : Etant en liens réguliers avec le groupe dans le cadre de mon contrat, il m’a semblé évident de le tenir au courant de cette démarche. Assez rapidement, nous nous sommes aussi dit qu’il serait intéressant d’associer ces invités pour que leur présence puisse être un miroir. La venue Jean-Marc Borello a permis d’éclaircir un certain nombre de questions auxquelles les recherches ne peuvent pas répondre par ailleurs.
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S. C.-M. : Le groupe comprend 700 structures. Pour l’instant, aucun chercheur n’en possède une vision globale et transversale. En posant des questions à ces invités, nous avons pu voir quelle était la cohérence des actions menées. Cette journée était ouverte à tout le monde. Dans la salle, il y avait aussi bien des chercheurs que des professionnels de chez SOS et des militants, parfois très critiques. Certaines questions étaient « rentre-dedans ». La direction a accepté d’y répondre, même s’il y avait un peu de langue de bois – mais cela, on ne peut pas y échapper.
Que ressort-il de cette journée ?
C. P. : Nous avons divisé la journée en deux temps. La matinée était consacrée aux trajectoires des salariés, au sens que les gens mettent dans leur travail. Une intervention questionnait par exemple les profils des cadres et l’effet que cela peut avoir de recruter des personnes hors du circuit traditionnel du médico-social. Cela a permis un dialogue avec Thibault Ronsin sur les spécificités de recrutement au sein de SOS. L’après-midi, nous avons abordé les relations du groupe avec les pouvoirs publics, à travers trois études de cas de trois associations spécifiques. Cela a mis en lumière des fils transverses et permis la mise en commun de ces travaux. Nous avons observé des dynamiques de concurrence et de « gestionnarisation » qui sont étudiées dans le monde associatif de manière générale.
Quelles suites allez-vous donner à cette journée ?
C. P. : C’est la première pierre d’un chantier qui enrichirait la sociologie du monde associatif. C’était aussi un moyen d’avoir un accès au terrain.
S. C.-M. : Il y a encore beaucoup de questions sans réponses. Que veut dire la démocratie au sein du groupe ? Quels sont les flux financiers entre associations ? SOS a une telle croissance et se transforme tellement vite que de nouvelles interrogations apparaissent tout le temps. Nous sommes parvenus à faire comprendre au groupe que la recherche ne signifie ni valoriser ni forcément produire des outils utiles. C’est surtout cela, en réalité, qui intéressait la direction : que la recherche soit pratico-pratique. Mais nos travaux s’inscrivent dans une démarche désintéressée, destinée à l’analyse. Le groupe semble le comprendre et nous dit être ouvert à ce qu’on vienne observer la gouvernance générale. Nous devons désormais nous poser des questions pratiques. Qui réalise ce travail ? Et avec quel argent ?