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MNA : tous les enfants, sans exception, doivent être protégés

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Violaine HUSSON

Violaine Husson est responsable des questions "genre et protections" à la Cimade

Crédit photo Rafael Flichmann / La Cimade
TRIBUNE - Mineurs isolés étrangers, mineurs non accompagnés, jeunes en errance, « mijeurs »… Autant de termes pour désigner des enfants étrangers qui sont sur le territoire français sans représentant légal. Quelle que soit l’expression utilisée, pour La Cimade, tous ces jeunes doivent bénéficier d’une protection.

« En dépit de dispositions protectrices, les enfants font face à de multiples dysfonctionnements dès le stade de leur présentation aux services de l’aide sociale à l’enfance et jusqu’à leur sortie du dispositif. Conséquence : la rue, la violation de leurs droits fondamentaux, l’exposition à des traitements inhumains et dégradants, à des risques de maltraitance, voire d’exploitation. Cette absence de protection trouve son origine dans la culture du soupçon largement répandue chez les acteurs institutionnels qui les amène souvent à ne considérer ces enfants que comme des fraudeurs potentiels. La France s’est pourtant engagée à protéger tous les enfants, français ou non.

L’évaluation : de quoi parle-t-on ?

Pour pouvoir être pris en charge par la protection de l’enfance, ces enfants étrangers doivent faire l’objet d’une évaluation pour reconnaître ou non ce statut de “mineur isolé”. A défaut, il ne pourra accéder ni à un hébergement, ni à des soins, ni à l’éducation, ni à un suivi éducatif, ni bénéficier des besoins les plus vitaux (nourriture, vêtements, hygiène…). Cette évaluation est réalisée au cours de la période d’accueil provisoire d’urgence.

La loi précise que l’évaluation doit être menée lors d’un entretien par une équipe pluridisciplinaire et formée. L’équipe doit fonder son jugement à la fois sur ce que déclare le ou la jeune, sur les documents d’état civil dont il ou elle dispose et sur des éléments physiologiques et psychologiques. Les évaluateurs procèdent ainsi aux investigations nécessaires pour apprécier la situation de l’intéressé au regard notamment de ses déclarations sur son identité, son âge, sa famille d’origine, sa nationalité et son état d’isolement.

Cette estimation reste très hétérogène d’un département à l’autre quant à sa durée, ses modalités, qu’elle soit effectuée directement par les services départementaux ou par un prestataire associatif délégataire de cette mission. La loi du 7 février 2022 relative à la protection de l’enfant prévoit désormais que la personne se déclarant mineur isolé puisse bénéficier d’un temps de répit avant son évaluation. Dans la pratique, c’est encore peu appliqué… ce qui est préjudiciable aux jeunes puisque ce temps permet d’appréhender l’entretien en meilleure condition tant physique que psychologique.

Pour des raisons idéologiques, des considérations politiques ou des contraintes budgétaires, certains départements ont institué, sans base règlementaire, une “pré-évaluation” sous la forme d’un entretien succinct qui peut se conclure par un refus de prise en charge. Des enfants font aussi parfois face à un “refus guichet”, à l’entrée du dispositif, sur un simple regard subjectif au faciès.

De très nombreuses évaluations se font sur des critères physiques, de comportement, ou encore lors d’entretiens rapides avec parfois des questions gênantes ou déplacées. Trop fréquemment, les entretiens sont menés à charge et à la va-vite par une ou deux personnes non formées. Lesquelles vont préférer s’appuyer sur le fait que l’adolescent a déjà de la barbe ou que la jeune fille est très débrouillarde plutôt que sur l’acte de naissance qui les déclare mineurs.

Il n’est pas rare que la minorité des jeunes ne soit finalement établie que par l’intervention du juge des enfants. En attendant cette audience, ils sont livrés à eux-mêmes. Certains auront la chance de croiser des citoyens ou des associations qui se mobiliseront à leurs côtés.

Isolement, notion à géométrie variable

L’isolement fait référence à l’absence de personne majeure, responsable légale sur le territoire national, prenant effectivement en charge l’enfant et manifestant la volonté de se le voir confier durablement (arrêté du 17 novembre 2016). Cette notion est diversement interprétée par les départements. Ainsi, à Mayotte, les enfants isolés qui n’ont pas de représentant légal et qui sont hébergés chez des voisins, des connaissances ou un professeur ne sont pas pris en charge par l’aide sociale à l’enfance au motif qu’ils ne seraient “pas vraiment” des enfants isolés. Cette pratique a des conséquences importantes en termes de protection, d’accès à la scolarisation, de formation, d’accès au séjour ou à la nationalité… Il arrive également, sur le territoire métropolitain, que l’isolement soit remis en cause en raison du soutien apporté par une association ou par des citoyens solidaires. L’enfant n’est plus alors considéré comme étant vraiment isolé. Une absurdité.

Minorité systématiquement contestée

L’état de minorité permet l’entrée dans les dispositifs de la protection de l’enfance. Les documents d’état civil détenus et présentés par les enfants isolés constituent des moyens efficaces et objectifs et doivent être les premiers éléments à prendre en considération. Selon le code civil, les actes d’état civil étrangers sont présumés authentiques. Pourtant, lorsque les enfants possèdent des documents, ils sont remis en cause par les autorités, notamment la police aux frontières. Les démarches et actes établis par les autorités consulaires ou du pays d’origine sont généralement interrogés. Grâce à certaines explications des ambassades et consulats sur leurs procédures et pratiques, des tribunaux écartent les avis de la police aux frontières et réparent leurs effets dévastateurs ayant conduit à des fins de prise en charge suite à la non-reconnaissance de minorité. Et même lorsque l’authenticité de l’acte n’est pas contestée, c’est le détenteur de l’acte qui est remis en question, notamment lorsque ce document ne revêt pas de photo. Tout est bon pour toujours remettre en cause les documents, un véritable acharnement administratif.

Fichage des enfants et monétisation

La loi du 10 septembre 2018 a créé un fichier des enfants étrangers : le fichier biométrique national, dit “d’appui à l’évaluation de la minorité” (AEM). Difficile de comprendre où se trouve le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la création d’un tel outil. Depuis, avant même l’entretien social, les départements envoient les enfants en demande de protection en préfecture, où les empreintes, photographies et documents d’identité sont collectés. Les autorités croisent ces informations avec les bases de données relatives aux personnes étrangères. Par ailleurs, pour inciter les départements à utiliser ce fichage et à conclure une convention avec la préfecture, des sanctions financières ont été prévues, contraignant ainsi les derniers réticents.

Tests osseux peu fiables

La détermination médico-légale de l’âge est utilisée par les magistrats lorsqu’il y a un doute sur la minorité du jeune, en l’absence de papiers d’identité considérés comme authentiques. Une radio de la main ou de la clavicule détermine ainsi l’avenir de ces jeunes. La communauté scientifique le dit depuis des années : les tests ne sont pas fiables et contiennent des marges d’erreur importantes. Non fiables, imprécis, lourds de conséquences, ils sont pourtant toujours utilisés. En outre, sur le plan éthique, le recours à ces tests sans aucune finalité médicale est très problématique.

Les évaluations, telles qu’elles sont réalisées ne sont satisfaisantes ni pour les jeunes concernés ni pour les travailleurs sociaux chargés de cette évaluation. Il est urgent de transformer cette pratique et d’abroger les méthodes non fiables d’évaluation de la minorité comme le recours aux tests osseux ou l’utilisation du fichier AEM.

La reconstitution des documents d’état civil est le moyen objectif de s’assurer de la minorité des enfants. Tout individu présent sur le territoire français, et plus spécifiquement les enfants, doit être mis en mesure de détenir ces documents. Cela signifie que la France doit assister les enfants dans leurs démarches auprès des autorités de leur pays d’origine et leurs représentations consulaires afin de reconstituer ou consolider leur état civil et ainsi lui donner pleine validité. Sous réserve, bien entendu, que les enfants ne soient pas des personnes en demande d’asile.

Plus globalement, il est temps que la France se dote d’un système de protection de l’enfance qui garantisse une égalité de traitement entre mineurs en danger. Ils doivent, comme tous les autres, pouvoir bénéficier d’un accès effectif à leurs droits et d’une protection immédiate. »

Pour aller plus loin : debat.ash@info6tm.com

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