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Arnaud Gallais: "Aujourd’hui, c’est l’impunité totale"

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"Tant que nous n’aurons pas une obligation de résultat et une véritable responsabilisation des institutions, nous resterons dans un système qui produit des victimes sans jamais questionner sa propre responsabilité", défend Arnaud Gallais, anthropologue, cofondateur de l'association Mouv'Enfants et ex-membre de la Ciivise.

Crédit photo DR
Alors qu'une nouvelle affaire de pédocriminalité commise par un assistant familial-déjà mis en cause en septembre 2024 pour viol sur une enfant confiée à sa charge- secoue le secteur de la protection de l'enfance, Arnaud Gallais, militant engagé pour les droits des enfants, alerte sur « les graves dysfonctionnements de nos institutions »

Assistant familial accusé d'être à la tête d’un réseau pédocriminel en Loire-Athlantique, maltraitances d’enfants placés dans des familles d’accueil non agrées à Châteauroux… Pour Arnaud Gallais, cofondateur de l’association Mouv’Enfants et ex-membre de la Ciivise 1, au travers de ces affaires, « bien que la parole se libère, l'impunité des agresseurs règne ».

ASH : L’actualité est marquée par des violences sur mineurs, dont l'affaire, récente, d’un réseau de pédocriminalité organisé par un assistant familial. Quelle est votre analyse ?

Arnaud Gallais : Ces scandales ne sont malheureusement pas nouveaux. La vraie question qui se pose n’est pas seulement celle des faits eux-mêmes, mais aussi celle des actions politiques menées pour y répondre. Certes, on observe une prise de conscience et une forme d'empathie publique. Mais cela ne suffit pas.

Qu'il s'agisse d'assistants familiaux, de professionnels de la protection de l’enfance, ou plus largement de personnes agissant au sein de tout lieu d’accueil des enfants, écoles privées ou publiques, club de sports etc..., les violences faites aux enfants sont partout et multiples. Et les chiffres sont vertigineux. La véritable problématique est donc l’absence d’obligation de résultats des institutions qui accueillent des enfants.

Le système vit dans un idéal, surtout quand il s’agit d’enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance. On se dit « de toute façon, ils ont vécu pire », alors qu’ils peuvent à nouveau être la proie de personnes malveillantes. J’en appelle à une obligation de résultats pour les organisations comme pour les départements.

Concrètement, que préconisez-vous ?

Pourquoi n’existe-t-il pas un document unique d’évaluation des risques de violences faites aux enfants, à l’image de ce qui se fait pour le document unique d’évaluation des risques professionnels ? Ce dernier imposerait aux structures de protection de l’enfance d’identifier les risques et de mettre en place des mesures concrètes pour éviter ces abus.

Aujourd’hui, rien de tel n’existe, et on continue d’être surpris de découvrir que parfois il peut y avoir un loup dans la bergerie. Nous devons instaurer un cadre légal contraignant pour les institutions. Ce document unique d’évaluation des risques de violences faites aux enfants doit être assorti de l’obligation pour chaque structure d’indiquer les mesures mises en œuvre pour prévenir ces violences.

Ce type de dispositif délivrerait un message fort aux enfants : « Nous savons que ces violences existent, et nous faisons tout pour les empêcher ». Il enverrait aussi un signal clair aux agresseurs potentiels : « Vous êtes surveillés, et nous serons intransigeants ».

Aujourd’hui, nous sommes loin de cette réalité. L’impunité domine, et les victimes doivent trop souvent se battre seules pour obtenir justice.

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Pourquoi ces affaires continuent-elles à se multiplier sans que des réformes structurelles profondes soient mises en place ?

Parce que les responsables ne sont jamais inquiétés. Regardez l’affaire des enfants placés à Châteauroux, martyrisés dans des familles d’accueil non agréées. Qui, au sein de l’administration, a été mis en cause ? Personne. Le département du Nord a-t-il figuré sur le banc des accusés ou s’est-il porté partie civile dans l’affaire ? Non. Tant que les institutions ne seront pas contraintes de rendre des comptes, rien ne changera.

Prenons l’exemple du chirurgien pédocriminel Joël Le Scouarnec : il a pu sévir pendant des décennies car aucun mécanisme institutionnel n’a empêché ses abus. Et pourtant des hôpitaux étaient informés. Ces personnes malveillantes peuvent se dire « qu’est-ce que je risque si mon administration ne m’arrête pas ?». Il y a un permis de récidive dans ce pays.

Aujourd’hui encore, dans la protection de l’enfance, combien de cas similaires passent sous les radars ? Nous savons que les enfants placés sont vulnérables, en particulier ceux en situation de handicap, surexposés aux violences notamment sexuelles. Sans parler des conséquences psycho-traumatiques à vie. Et pour autant, nous ne faisons rien. Une affaire comme celle de l’assistant familial jette un discrédit sur cette profession et sur la protection de l’enfance.

On sait que 3 % seulement des agresseurs sont condamnés et que le taux de condamnation pour inceste est inférieur à 1 %. Cela signifie que l’impunité est la règle. En France, 92 % des enfants qui dénoncent des abus ne sont ni crus ni protégés. Nous sommes dans un délit de non-dénonciation. Notre association milite pour un allongement d’un délai de non-prescription en matière de dénonciation, et pour une imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs.

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Certaines voix réclament la généralisation de visites inopinées dans les familles d’accueil. Qu’en pensez-vous ?

C’est une bonne chose, mais la manière de les mettre en œuvre est essentielle. Si ces visites sont perçues comme une simple mesure de contrôle autoritaire, elles risquent d’être contre-productives. En revanche, si elles s’inscrivent dans une dynamique de travail d’équipe et de soutien aux assistants familiaux, elles peuvent avoir un véritable impact.

Les assistants familiaux sont souvent isolés et peu valorisés. Et pourtant, on ne le dit pas assez en France, c’est le lieu le plus adapté pour accueillir des enfants, en tout la majorité d'entre eux.

Ce métier essentiel devrait être mieux encadré, mais aussi mieux accompagné. Il faut éviter que les assistants familiaux deviennent des boucs émissaires en laissant penser qu’ils ne sont pas formées, alors qu’ils sont très professionnels. Et plutôt mettre en place une véritable culture de la prévention et du suivi. Un assistant familial malveillant est évidemment responsable de ses actes, mais qu’a fait l’organisation pour prévenir ces dérives ? Trop souvent, la réponse est : rien.

Que reprochez-vous à nos politiques ?

On attend que de nouveaux scandales éclatent pour réagir au coup par coup, alors qu’il faudrait s’attaquer au problème à la racine. Pire encore, au lieu de se concentrer sur la protection des victimes, certains transforment ces sujets en querelles politiciennes.

Les victimes ont l’impression d’être oubliées,voire instrumentalisées. Pour beaucoup d’entre elles, le plus important n’est pas l’agitation médiatique ou les récupérations politiques, mais qu’on les écoute et qu’on prenne des mesures concrètes pour éviter que d’autres enfants ne subissent les mêmes horreurs.

C’est là que le rôle des associations est essentiel : rappeler les véritables enjeux, exercer un contre-pouvoir face aux inerties institutionnelles. Mais c’est un combat difficile, car il se heurte à des résistances culturelles profondes. Je ne crois pas qu’il y ait une volonté délibérée de nuire aux enfants, mais il y a une incapacité collective à les considérer comme des individus à part entière, avec des droits et une parole qui doit être prise au sérieux.

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