Les professionnels du secteur judiciaire ne décolèrent pas. En cause, la réaffirmation et l’annonce des sites retenus par le Premier ministre Jean Castex, pour la seconde phase du « Plan 15 000 places », proposé comme alternative à la surpopulation carcérale. Ce dispositif prévoit, depuis 2018, l’ouverture de 15 000 nouvelles places de prison d’ici à 2027.
« La première réponse contre des conditions de détention indignes, c’est bien la lutte contre la surpopulation carcérale, et c’est l’objet de ce plan créant 8 000 places supplémentaires, s’ajoutant aux 7 000 déjà engagées », indiquait Jean Castex le 20 avril, à l’occasion d’une visite sur le site de construction du nouvel établissement pénitentiaire de Lutterbach (Haut-Rhin).
Mais, alors que le nombre de détenus dans les maisons d’arrêt ne cesse de croître, malgré la condamnation de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) le 30 janvier 2020, la réponse gouvernementale est un nouveau pavé dans la mare.
Des aménagements de peine contre les récidives
« Il s’agit là d’une fuite en avant perpétuelle. Cela fait des décennies que l’augmentation du nombre de places de prison génère une augmentation du nombre de détenus », indique François Bès, coordinateur du pôle « enquête » de l’Observatoire international des prisons (OIP). « Bien que quelques établissements vétustes vont fermer, ces 15 000 places n’ont pas pour objet de remédier à la surpopulation », ajoute Katia Dubreuil, présidente du Syndicat de la magistrature.
La discorde tient aussi aux moyens mis sur la construction de prisons et sur la sécurité, alors que, selon les professionnels, les solutions reposent sur les aménagements de peine et les alternatives à l’incarcération. « Depuis 30 ans, toutes les études montrent que les aménagements de peine diminuent le risque de récidive », précise Amélie Morineau, membre du bureau du Syndicat des avocats de France (SAF).
Le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, porté par le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, prochainement débattu au Parlement, ne va pas dans ce sens. Ce dernier prévoit de mettre fin aux crédits de réductions de peine (CRP) automatiques, tout en maintenant les CRP accordés aux détenus qui ont des chances de réinsertion. Dans le système actuel, en matière de réduction de peine, une partie est accordée automatiquement le jour de l’incarcération avec un quantum lié au bon comportement et une seconde partie dépend des efforts accomplis.
Durcissement des politiques publiques
La nouvelle posture politique tend au durcissement puisqu’elle freine l’accès aux aménagements de peine et, par conséquent, à la déflation carcérale. « Les personnes condamnées n’ont pas toutes la possibilité de faire des efforts de réinsertion car l’accès aux soins, à la formation ou au travail en établissement pénitentiaire n’est pas généralisé », rappelle la présidente du Syndicat de la magistrature.
Si elle est adoptée, la nouvelle mesure pourrait aussi complexifier considérablement le travail des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (Cpip), déjà fortement sous tension. De fait, au lieu d’être réduits lorsque la détention se déroule bien, les aménagements de peine dépendront désormais de l’appréciation des juges, car ils n’apparaîtront plus dans la loi.
« Nous allons devoir préparer des projets de réinsertion avec des détenus dont la date de sortie peut varier de six mois. Les projets de réinsertion ne vont pas pouvoir être finalisés car ils ne correspondront pas aux échéances fixées avec les partenaires extérieurs qui n’attendent pas que les détenus arrivent. De plus, les sorties mal anticipées favorisent la délinquance », prévient Pierre-Yves Lapresle, secrétaire national du syndicat CGT insertion probation.
Par ailleurs, l’entrée en vigueur de la loi de programmation et de réforme pour la justice en mars 2020 ne favorise pas l’amélioration de la régulation carcérale. « Le seuil sous lequel une peine d’emprisonnement ferme peut être aménagée à l’extérieur, dans des conditions propices à la réinsertion, et avec, par exemple, le port d’un bracelet électronique, est passé de deux ans à 18 mois de prison, ce qui augmente le nombre de détenus restant incarcérés », conclut Amélie Morineau.