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"Ce n'est pas à proprement parler la fin du placement à domicile"

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Arrêt du 2 octobre 2024 placement à domicile

Laurent Gebler : "Les juges sont un peu inquiets parce qu'ils ne voudraient pas voir cet outil, qui est très pertinent, disparaître."

Crédit photo Florence Piot - stock.adobe.com
La Cour de cassation a eu l’occasion de clarifier sa position, le 2 octobre dernier, sur le placement éducatif à domicile (PEAD). Elle a notamment rappelé le fait qu’il ne pouvait y avoir, dans le même temps, un placement à l’aide à l’enfance et un hébergement à temps complet chez les parents de l'enfant. Le magistrat Laurent Gebler décrypte les conséquences de cette décision.

Ancien vice-président et coordonnateur du tribunal pour enfants de Bordeaux pendant dix ans, Laurent Gebler a également été le président de l'Association françaises des magistrats de la jeunesse et de la famille. A ce titre, il a participé à différents colloques et écrit plusieurs articles, notamment à propos de la justice des mineurs et de la parole de l'enfant. Depuis 2021, Laurent Gebler est président de chambre des mineurs à la cour d'appel de Paris.

 

ASH : Quelle est la portée de cet arrêt du 2 octobre 2024 ?

Laurent Gebler : Il y a déjà eu un avis de la Cour de cassation le 14 février 2024 qui allait dans le même sens, mais qui était un peu plus ambigu. Désormais, c’est un peu plus clair. La Cour de cassation rappelle le cadre en précisant qu’un placement, c'est un placement. Et qu'il implique que l'enfant ne vive plus au sein de sa famille.

Par conséquent, deux solutions. Soit l'enfant est maintenu dans sa famille avec une mesure d'action éducative en milieu ouvert (AEMO) si nécessaire renforcée, ou une mesure d'AEMO avec une possibilité d'hébergement ponctuel comme le prévoit la loi ; soit on estime que le retrait de l'enfant de sa famille est nécessaire pour sa protection, et, à ce moment-là, il ne peut pas être au quotidien chez lui.

Pourquoi cette nécessité de clarifier la situation ?

Au départ, le placement éducatif à domicile (PEAD) était principalement destiné à organiser des fins de placements à l’aide sociale à l’enfance (ASE). Autrement dit, quand on voulait tester un retour à la maison, sans pour autant ordonner la main levée du placement à l'ASE. Dans ce cas, par exemple pendant les six derniers mois, le juge pouvait autoriser le mineur à résider à titre permanent chez lui, tout en restant confié à l'aide sociale à l'enfance. Si cela se passait mal, le service pouvait le récupérer.

Le placement à domicile a aussi été utilisé à ses débuts dans le cadre de placements qui n’étaient pas encore exécutés. Donc, à l'origine, il s'agissait plutôt d'une situation ponctuelle.

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Et puis, progressivement, un certain nombre de départements ont trouvé que le dispositif était intéressant. De ce fait, ils ont créé des mesures de placement à domicile qui permettaient à l'enfant de rester chez lui sans qu'il soit question d'un retrait a priori, avec une intervention renforcée et pluridisciplinaire des services du département. Cela concernait notamment le cas de parents qui avaient également besoin d'un accompagnement, ce qui n'était pas possible la plupart du temps dans les mesures d’AEMO.

Au final, les départements fonctionnaient de cette façon depuis une dizaine d'années. L'idée étant vraiment d'effectuer une intervention renforcée au sein de la famille, mais également de procéder suivant la pratique de « faire avec ». En d'autres termes, dans le cadre de cette mesure, les éducateurs pouvaient relayer les parents, emmener les enfants à des activités, les conduire aux rendez-vous du centre médico-psychologique. Par le biais d'une démarche extrêmement active dans la famille, ils étaient en partie dans la suppléance. Ce que ne permettait pas l’AEMO, qui est normalement circonscrite à de l'aide et des conseils.

Se sont ensuite développés les services d’AEMO renforcées. Ces services prévoient une intervention éducative beaucoup plus soutenue dans les familles, mais toujours sous le coup d'une mesure d’AEMO. Pour autant, les mesures de PEAD ont continué. Et finalement, ont en quelque sorte coexisté avec les mesures d’AEMO renforcé. Cela a créé une certaine confusion : on ne savait plus quand on était dans le cadre du placement et quand on ne l'était pas.

La Cour de cassation est venue clarifier les choses. Selon son interprétation, soit on décide d'un retrait de l'enfant de sa famille : le cas échéant, de larges droits d'hébergement des parents sont possibles, mais pas un hébergement quotidien. Sinon ce n’est plus du placement. Soit on a simplement besoin d'une intervention éducative renforcée dans la famille, parce que cette dernière a besoin d'un soutien très important pendant un temps : à ce moment-là, le cadre juridique est celui de l’AEMO renforcé.

Quelles conséquences sur le travail des juges ?

Dans un certain nombre de départements, ce fonctionnement était efficace et répondait réellement à un besoin. Mais il concernait plutôt des territoires dans lesquels il n’y avait pas de service d’AEMO renforcé, souvent parce qu'ils avaient fait le choix de développer, pour des raisons administratives et stratégiques, du PEAD plutôt que de l’AEMO renforcé. Par conséquent, dans ce type de configuration, il est vrai que les juges sont préoccupés à l'idée de voir cet outil, qu'ils estiment très pertinent, disparaître.

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Malgré tout, la décision de la Cour de cassation ne va pas s’appliquer du jour au lendemain. Ce n’est pas quelque chose qui va se mettre en œuvre immédiatement : les mesures de placement à domicile vont continuer. Le message qu’elle transmet aux départements est qu’ils vont devoir estimer dans chaque cas si la situation doit vraiment relever d’une mesure de placement ou si elle peut basculer vers de l’AEMO.

La Cour a simplement voulu remettre un peu les choses en ordre dans une situation devenue floue, et qui, en termes de droits des personnes, posait tout de même problème : placer des enfants revient théoriquement à les confier à l'aide sociale à l'enfance, alors que, paradoxalement, il n'était pas question d'un retrait des enfants de leur famille. Il s'agit donc avant tout d'essayer de mettre la prestation qu'on appelle « placement à domicile », qui correspond à un besoin réel, dans les bonnes cases juridiques. 

Au final, assiste-t-on à la fin du placement à domicile ?

Non, ce n'est pas à proprement parler la fin du placement à domicile. En pratique, on pourra continuer à confier un enfant à l'aide sociale à l'enfance, qui sera l'essentiel du temps dans sa famille. Même s'il est vrai qu'il ne pourra plus vivre à 100 % du temps chez lui.

Quel est votre positionnement par rapport à l'arrêt de la Cour de cassation ?

Je pense que la Cour de cassation est dans son rôle en rappelant les principes du droit : les constructions prétoriennes locales avaient fini par prendre le pas sur les règles de droit et sur la loi.

Notre rôle de juge consiste notamment à fixer un cadre clair sur le plan juridique. Sans compter que des questions de responsabilités parentales se posaient. Bénéficier d'une mesure d’AEMO n'est pas la même chose qu'avoir un enfant confié à l'aide sociale à l'enfance. Cette décision aura l'avantage d'éviter certaines formes de dérapage, même si certaines décisions étaient parfois prises dans l'intérêt des familles.

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