Présenté publiquement et remis au président de la République Emmanuel Macron, le rapport sur la décentralisation ne laisse pas les acteurs sociaux indifférents. Porté par l’ancien ministre et actuel député de l’Oise Eric Woerth, le document de 160 pages baptisé « Le temps de la confiance » concentre 51 préconisations sur les thèmes aussi variés que le grand âge, le logement ou l'aide sociale à l'enfance (ASE).
« On est frappé par l’étonnante stabilité des diagnostics et des difficultés de la décentralisation depuis vingt ans : enchevêtrement des compétences, instabilité du financement, inflation normative, critique du “millefeuille”, découragement des élus, déclin de la participation électorale », indiquent, en préambule, ses auteurs. « Pourtant, rares sont les domaines de l’action publique à avoir connu autant de lois au cours des deux dernières décennies, grâce à un relatif consensus politique. De là émerge un paradoxe : quarante ans après, la décentralisation a fait la preuve de son efficacité et pourtant elle semble en panne », poursuivent-ils.
Renforcer le rôle des maires
Les conclusions visent donc trois objectifs : renforcer l’action publique locale et l’efficacité démocratique, réaffirmer le rôle de chaque acteur sur les territoires et donner davantage de pouvoirs aux services déconcentrés de l’Etat. Si ces ambitions sont plébiscitées par les parties prenantes et les organisations engagées dans des missions aux échelles locales, le contenu des préconisations divise.
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En substance, la stratégie avancée passe d’abord par un renforcement du rôle des maires. Pour ce faire, l’accélération des réponses des services de l’Etat et l’aide aux démarches des usagers sont préconisées. Sur le volet logement, la place déterminante du premier élu local doit être garantie, notamment dans sa fonction d’attribution de logements sociaux.
Une structure locale unique
Autre proposition : créer un établissement public local en charge de l’ensemble des compétences sociales obligatoires. Ce « service départemental des solidarités », présidé par le président du conseil départemental, s’organiserait autour de cofinancements et d’une gouvernance partagée entre l’Etat et le département. Sur ce point, l’Unccas (Union nationale des centres communaux d’action sociale) affiche son scepticisme. Par le biais d’un communiqué daté du 30 mai, elle souligne que l’intégration à ce nouvel acteur de diverses entités comme le nouveau service public départemental de l’autonomie, les MDPH (maisons départementales des personnes handicapées), les comités départementaux de protection de l’enfance ou les futurs comités territoriaux de l’emploi compliquerait davantage l’accès aux services de droit commun pour les personnes accompagnées. « Si la coordination des politiques d’insertion et de solidarités sont une nécessité, la potentielle fusion d’entités, dont certaines sont encore en construction, ne doit pas conduire à créer une nouvelle “usine à gaz”, rendant plus complexe encore la lisibilité des services publics par les usagers », détaille l’Unccas dans son communiqué, « Présentation du rapport Woerth, une confiance à construire ».
Le grand âge réparti entre Etat et départements
Le rapport s’engage aussi sur la question de la perte d’autonomie liée au vieillissement. Ses auteurs entendent faire du département l’acteur principal de la prévention, via l’augmentation de sa compétence d’accompagnement à domicile à travers la décentralisation du dispositif MaPrimAdapt (1). Parallèlement, la recentralisation est l’option choisie pour ce qui est du financement et de la tutelle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et des foyers d’accueil médicalisés (FAM). Et ce, par un pilotage géré par les agences régionales de santé (ARS) en raison de l’accroissement de la médicalisation au sein de ces structures. « Au moins dix départements semblent vouloir se porter candidats à l’expérimentation de la fusion des sections “soins” et “dépendance” », pointe le document. Dans une même logique, les foyers d’accueil médicalisés et les centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP) seraient sous la seule tutelle des ARS. Pour leur part, les services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah) ne dépendraient plus que du département.
Recentraliser l’aide sociale à l’enfance
Parmi les changements notables, le secteur de la protection de l’enfance n’est pas en reste. « La situation particulière conduit à examiner un scénario de recentralisation de cette politique », avancent les parties prenantes au rapport. « D’une part, cette politique renvoie au principe d’égalité plutôt qu’au développement du territoire et est ainsi davantage portée politiquement par l’Etat que par les conseils départementaux. D’autre part, la volonté d’apporter des garanties homogènes de protection aux enfants et l’imbrication très forte de cette politique publique avec les compétences de l’Etat en matière de justice, de santé et d’éducation peuvent légitimement interroger sur l’exercice par les conseils départementaux de la mission de protection de l’enfance », notent-elles.
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Deux possibilités sont évoquées pour répondre aux enjeux relatifs à l’égalité des traitements réservés aux mineurs protégés. Basé sur une entière recentralisation, le premier scénario transmettrait à l’Etat la pleine responsabilité du parcours des enfants. L’efficience de la mise en œuvre de cette réforme dépendrait de multiples conditions : créer une administration nationale chargée de cette politique publique, développer les services déconcentrés départementaux en cohérence avec le périmètre actuel et adapté à la structuration des acteurs locaux, rapprocher l’ensemble des services de l’Etat chargés du sujet (protection judiciaire de la jeunesse, ARS…) et maintenir un dialogue avec le conseil départemental qui interviendra toujours sur des politiques transverses (insertion…).
Le second scénario intègrerait, quant à lui, la protection de l’enfance au « service départemental des solidarités ». « L’Etat sera ainsi mieux en capacité de suivre et contrôler cette politique publique », précise le rapport. Deux propositions laissant à penser que le retour vers une organisation semblable à celle qu’ont connu les anciennes Ddas (directions départementales des affaires sanitaires et sociales) se profile.
« Dans le domaine du social, c’est justement parce que l’Etat ne remplit pas ses missions régaliennes en matière de justice, de santé ou d’éducation que les départements sont en difficulté : ils ne peuvent pas compenser à eux seuls les défaillances de l’Etat qui ne se distingue pas non plus spécialement, dans ces trois domaines, par une parfaite homogénéité territoriale », réplique, dans un communiqué, Départements de France, dont le président François Sauvadet entend s’entretenir avec le président de la République.
Sur son profil Linkedin, le militant pour les droits des enfants Lyes Louffok se dit satisfait de cette proposition. Il indique « avoir acquis la conviction que la confiance envers l'ASE ne sera restaurée qu'avec un changement radical de son pilotage. C'est un préalable indispensable à toute réforme structurelle. »
Une gouvernance financière partagée
De manière plus structurelle, le rapport parie sur la mise en place, par la loi, d’une gouvernance durable et partagée des finances locales, associée à une loi d’orientation des finances locales et de simplification. Pour y parvenir, la création d’un observatoire des finances publiques locales serait, de fait, nécessaire. Par ailleurs, l’encadrement drastique des appels à projets nationaux à destination des collectivités territoriales est préconisé, dans l’objectif « d’en réduire le nombre et de mieux les adapter aux territoires ».
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« Nous voulons donner un nouveau souffle à la décentralisation », soulignait Eric Woerth à l’occasion d’un point presse organisé pour la sortie du rapport qu’il affirme avoir conçu « comme un projet de loi dans l'objectif de passer rapidement à la phase active ».
Sur son site, l’instance associative représentative des régions de France indique partager la conviction que la décentralisation, c’est-à-dire « le partage du pouvoir entre l’Etat et les collectivités territoriales, exige non seulement une réforme technique touchant aux compétences autant qu’aux conditions techniques, financières et règlementaires de leur exercice, qu’à l’esprit des relations entre ces différents échelons et avec les citoyens ».
(1) Depuis le 1 janvier 2024, l’aide MaPrimeAdapt finance la réalisation des travaux d’adaptation du logement pour les personnes âgées et celles en situation de handicap. Elle est également accessible aux propriétaires bailleurs.
>>Consulter le rapport Décentralisation : le temps de la confiance
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— Eric Woerth (@ericwoerth) May 30, 2024