« Etre une femme affecte considérablement les risques de subir diverses dimensions du mal-logement. » Dans son 28e rapport annuel, la Fondation Abbé-Pierre (FAP) consacre un chapitre aux inégalités générées par le genre. L’association entend documenter cette question, rarement considérée comme un facteur déclenchant ou aggravant du mal-logement.
Les femmes particulièrement touchées
Rendu public le 1er février, le document de 322 pages démontre que seuls une prise en compte institutionnelle et des changements structurels pourraient contrecarrer l’insuffisance des ressources des femmes : prestations et minima sociaux, égalité salariale... Qu’il s’agisse de jeunes personnes qui décohabitent de chez leurs parents, de femmes célibataires, de mères séparées de leur conjoint ou de veuves, aucun profil n’est épargné. Leur revenu salarial reste inférieur de 22 % à celui des hommes et sur l’ensemble des actifs, la part des emplois en temps partiel qu’elles occupent est majoritaire (28 % contre 8,3 % pour les hommes).
Le choc financier et résidentiel des séparations
Côté vie privée, la séparation conjugale déséquilibre principalement la situation matérielle de la gent féminine : leurs revenus disponibles chutent d’environ 20 % tandis que les hommes perdent 2,5 % en moyenne. Seul un cinquième des divorces font l’objet d’une mesure de prestation compensatoire…
De plus, constituées à 83 % de femmes, les familles monoparentales sont surreprésentées au sein des ménages les plus précaires : plus d'un tiers d'entre elles vit sous le seuil de pauvreté. Autre injustice notable : la probabilité d’accès au logement social diminue à mesure que croît le nombre d’enfants du foyer. « Les familles monoparentales sont souvent contraintes d’accepter un logement social avec une seule chambre, au détriment de l’intimité et du confort », souligne le rapport.
Les difficultés financières ne s’améliorent pas avec le temps. Les femmes qui ne perçoivent ni pension de retraite, ni revenu d’activité restent plus nombreuses. « Le veuvage induit aussi des conséquences économiques plus fortes. En 2021, les veuves ont un taux de pauvreté de 11,7 % tandis que celui des veufs s’élève à 3,7 % », détaille le document.
Le texte s’attaque également aux parcours résidentiels des victimes de violences conjugales. Pour permettre la décohabitation, 17 % des 210 000 femmes concernées chaque année par le phénomène ont besoin d’un hébergement. Si 9 876 places dédiées sont réservées à ce public, près de 40 % des victimes restent sans solution (chiffres Fédération nationale solidarités femmes).
Impasse pour les ménages précaires
Plus globalement, selon la FAP, l’état des lieux des politiques publiques menées pour la lutte contre l’habitat indigne reste délétère : 4,1 millions de personnes souffrent de mal-logement ou d’absence de logement personnel. Alors que l’habitat représente le premier poste de dépenses des Français, la hausse des prix de l’immobilier affecte de nombreuses régions.
L’élargissement des territoires d’exclusion a conduit la fondation à mener une enquête auprès de ménages précaires de 24 communes, en tenant compte du pouvoir d’achat. Dans l’ensemble, aucun parc locatif privé n’est accessible aux personnes seules et aux familles monoparentales ayant des revenus inférieurs à 900 €. « Dans les 13 métropoles retenues, le parc locatif privé apparaît inaccessible à la majorité des ménages-types étudiés », indiquent les résultats. Même constat pour les prix pratiqués en proche banlieue. La situation est plus contrastée dans les villes petites et moyennes. Sur le parc social, au dernier trimestre 2022, la moitié des bailleurs notaient une hausse de plus de 10 % des impayés de loyers.
Davantage de familles à la rue
En parallèle, l’augmentation du nombre de familles contraintes de vivre dehors ou dans des abris de fortune se confirme. Faute de places au sein des Siao [services intégrés d'accueil et d'orientation], un tri entre des personnes toutes prioritaires s’opère quotidiennement. « Au 19 décembre 2022, malgré l’ouverture de gymnases dans le cadre du “plan grand froid”, on comptait encore 4 029 personnes en familles refusées par le 115, dont 1 172 enfants et même 335 de moins de 3 ans », rappelle la fondation qui précise que la France compte 330 000 personnes sans domicile.
Face à l’engorgement des places d’hébergement d’urgence, la tendance à la baisse de la construction de logements sociaux se poursuit. « On est passé de 124 000 logements sociaux financés en 2016 à 95 000 en 2021 et sans doute autant en 2022. Les objectifs gouvernementaux étaient établis à 250 000 pour les deux dernières années », déplore Christophe Robert, délégué général de la FAP, lors d’une conférence de presse organisée à l’occasion de la sortie du rapport. Et ce, alors que 2,3 millions de ménages restent en attente d'un logement social.
Des politiques sociales régressives
D'autres inégalités sont pointées. Le bouclier tarifaire instauré pour faire face à l’envolée des prix de l’énergie se voit dépourvu de ciblage social. Les mesures prises pour les plus démunis telles que l’indemnité inflation ou le chèque énergie s’avèrent inconséquentes. Confirmés dans le budget gouvernemental pour 2023, « les politiques les plus régressives socialement ont perduré. En particulier, toutes les coupes sur les aides personnalisées au logement (APL) initiées pendant le quinquennat précédent, d’un montant de plus de 4 milliards d’euros par an », expose le rapport.
Dans le contexte d’affaiblissement des protections collectives dans le domaine du travail avec la réforme de l’assurance chômage et du faible développement du dispositif Logement d’abord, la Fondation Abbé-Pierre réitère sa demande de vote d’une loi de programmation pluriannuelle associée à un budget adapté aux besoins pour assurer une politique de redistribution plus juste.
En France, 15 millions de personnes subissent la crise du logement.
>> Le rapport "Etat du mal-logement" en France 2023 de la FAP.