La meilleure défense reste encore l’attaque, à en croire le timing de la communication gouvernementale. Et ce n’est pas un hasard si la ministre des Solidarités, Catherine Vautrin, a choisi de présenter son plan d’actions ce lundi 6 avril 2025, d’abord dans une interview à Libération, puis dans un brief à la presse. L’annonce intervient 24 heures avant la remise du rapport de la commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance. Et sa tonalité devrait être tout sauf tendre avec l’action menée par l’Etat ces dernières années.
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La ministre prend un temps d’avance, donc. Sans pour autant renverser la table. La stratégie ne comporte aucune mesure phare, seulement de grands enjeux, dans l’ensemble partagés par les acteurs du secteur. Surtout, elle ne comporte pour l’heure aucun engagement financier, Catherine Vautrin renvoyant ces questions – centrales – à des concertations avec les départements. Celles-ci devraient débuter fin avril.
Parmi les priorités affichées, la ministre entend favoriser la prévention, privilégier les formes d’accueil familiales, et agir en matière de santé et d’éducation.
Renforcer le soutien à la parentalité
Le constat n’est pas nouveau : la prévention, en France, demeure un champ encore trop peu investi. Catherine Vautrin, considérant que le meilleur placement est celui que l’on évite, veut la renforcer. Elle proposera un plan ciblé notamment sur la périnatalité. Et des solutions de répit pour les parents seuls. Ce soutien à la parentalité, qui peut s’accompagner de mesures de protection, doit être effectué par un ensemble de professionnels, pas forcément issus de l’aide sociale à l'enfance (ASE), explique-t-on au ministère.
Privilégier des solutions « familialisées »
Catherine Vautrin veut privilégier, lorsque le placement est inévitable, des solutions familiales, qu’il s’agisse d’accueil chez un assistant familial, dans la famille élargie ou via l’accueil durable et bénévole. « En particulier pour les enfants concernés par des placements de longue durée pour éviter les ruptures de parcours », précise son cabinet.
Hier majoritaire, l’accueil familial ne représentait plus que 38 % des placements fin 2022, contre 41 % en établissement selon les derniers chiffres de la Drees. En cause : un manque d’attractivité et une démographie peu favorable avec de nombreux départs à la retraite.
Pour y remédier, Catherine Vautrin ébauche dans l’immédiat deux solutions. D’abord, instaurer des temps de répit pour permettre aux professionnels de souffler. Ensuite, faciliter le cumul d’activité. « Si vous accueillez un tout-petit, plusieurs enfants, ou des enfants ayant besoin de soins réguliers, cela nécessite que vous y soyez à temps plein, détaille-t-elle à Libération. En revanche, quand l’enfant est scolarisé, vous pouvez le déposer à l’école le matin et le reprendre le soir, comme dans n’importe quelle famille, en travaillant en parallèle. » Cette organisation aurait l’avantage d’augmenter le nombre de professionnels et les possibilités de relayer les plus mobilisés.
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La ministre n’entend pas toutefois revaloriser les salaires. « Ce n’est pas la première revendication des représentants des assistants familiaux », assure le ministère qui renvoie les questions financières aux futures discussions avec les départements.
Catherine Vautrin a demandé à la haut-commissaire à l’enfance, Sarah El Haïry, un travail sur l’adoption, pour voir comment « accroître les chances d’adoption des enfants qui peuvent l’être ».
Afin de faire face au manque de solutions pour accompagner les enfants relevant de l’ASE et présentant dans le même temps un handicap, elle veut par ailleurs développer l’accueil thérapeutique chez des assistants familiaux.
Mieux contrôler les professionnels
Sur les contrôles de probité des professionnels, le ministère rappelle que la plateforme Honorabilité, mise en œuvre depuis septembre 2024 auprès de six premiers départements, sera généralisée à l’ensemble du territoire d’ici à la fin de l’année.
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Au 31 mars 2025, plus de 93 000 personnes ont demandé leur attestation d’honorabilité. Parmi elles, 435 personnes se sont vu refuser la délivrance de l’attestation d’honorabilité en raison de condamnations, dont 20 en raison d’infractions inscrites au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (Fijaisv).
Expérimenter les centres d’appui du professeur Greco
Les enfants placés perdent 20 ans d’espérance de vie par rapport à la moyenne, selon la littérature scientifique. Et la prise en charge demeure encore défaillante, avec des bilans de santé très inégalement réalisés. Pour y remédier, la ministre veut mettre en place un dispositif de santé renforcé pour les enfants placés. Elle s’appuie notamment sur les projets de Céline Greco, la cheffe de service de l’hôpital Necker-Enfants malades et présidente de l’association Im’pactes. Elle doit inaugurer en septembre 2025 un premier centre d’appui à l’enfance en Île-de-France et un second début 2026 dans les Hauts-de-France.
Ces centres auront deux vocations :
- garantir la réalisation systématique d’un bilan de santé physique et psychologique pour chaque enfant dès sa prise en charge par l’ASE, étape indispensable pour identifier les besoins urgents et définir un parcours de soins adapté ;
- coordonner des parcours de soins structurés et hiérarchisés selon la gravité des traumas identifiés chez les enfants, avec trois niveaux d’intervention allant de la prévention à la prise en charge des situations les plus graves.
Enfin, Céline Greco aura également pour mission de préparer la généralisation nationale du dispositif à partir de mi-2026, en s’appuyant sur les enseignements tirés de l’expérimentation régionale.
La ministre promet en parallèle l’ouverture de 25 nouvelles unités d’accueil pédiatrique pour l’enfance en danger (Uaped) d’ici la fin de l’année.
Travailler l’insertion professionnelle
Autre sujet pris à bras le corps par la professeure de médecine Céline Greco : l’éducation. La ministre, qui s’en inspire là encore, souhaite « développer une stratégie en quatre volets avec les entreprises et les associations : le mentorat, l’accès aux stages, le soutien aux études et à la culture », déclare-t-elle à Libération.
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« Souvent, les enfants ont une difficulté de projection, qui tient à l’incertitude sur leur avenir. Leur donner à voir d’autres métiers, les aider à se projeter et montrer que c’est possible est un vrai sujet », détaille son cabinet. Catherine Vautrin veut agir également sur le pécule – somme qui correspond aux allocations de rentrée scolaire qu’aurait dû percevoir la famille d’un enfant placé – en lançant une campagne d’aller vers pour faire en sorte que les jeunes puissent le récupérer.
La Ciivise prolongée
La ministre annonce enfin prolonger les missions de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) jusqu’en 2026.
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Neuf des 15 propositions émises par l’instance en mars 2025 ont fait l’objet d’un « avis favorable immédiat », notamment la généralisation des cellules de signalement dans toutes les administrations.