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« L’école ne répond pas aux inégalités sociales »

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Rachid Zerrouki

Après « Les incasables », publié en 2020, Rachid Zerrouki, professeur en section d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa) et en micro-collège, publie Les Décrochés (éd. Robert Laffont).

Crédit photo DR
Dans son dernier livre, Les décrochés, Rachid Zerrouki, professeur en Segpa, dresse une galerie de portraits de jeunes qui expose la complexité de l’échec scolaire. Il défend une école plus inclusive et plus empathique.

Actualités sociales hebdomadaires - Quels facteurs prédisposent aux décrochages scolaires ?

Rachid Zerrouki : Le décrochage scolaire est toujours multifactoriel. Parmi ces facteurs, l’origine sociale joue évidemment un rôle déterminant. Les études statistiques démontrent que le décrochage guette davantage les enfants issus de milieux défavorisés et de l’immigration. La réussite scolaire ne dépend pas uniquement des efforts des élèves mais aussi d’éléments exogènes, indépendants de leur volonté et avec lesquels ils doivent composer. Ces évidences sociologiques sont essentielles à rappeler pour dépasser l’idée d’une réussite scolaire purement méritocratique. C’est ce triste constat qui m’amène à parler de « décrochés » plutôt que de « décrocheurs ».

Pourquoi avoir voulu procéder par une série de portraits ?

Je souhaitais donner un nom à ces « profils » très largement dépeints dans la littérature sociologique. Raconter une histoire authentique a parfois plus d’impact que d’énumérer des statistiques. Mon ouvrage n’a pas une ambition scientifique, je n’ai ni les codes ni les compétences universitaires pour procéder ainsi. En revanche, je peux raconter ce que j’observe et ce que l’on me confie. C’est pourquoi ce livre est une galerie de portraits et d’entretiens visant à démontrer la complexité des récits de vie qui mènent à l’échec scolaire.

La France est-elle un mauvais élève en comparaison de ses voisins ?

L’école française n’arrive pas à répondre aux inégalités sociales. Les études du programme international du suivi des acquis des élèves (Pisa), effectuées tous les trois ans dans les pays membres de l’OCDE, le démontrent systématiquement. Mais de manière générale, le système en France n’est pas suffisamment inclusif. L’école n’individualise pas assez les parcours des élèves présentant des problématiques qui entravent leur scolarité. La section d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa), dans laquelle j’enseigne depuis plusieurs années, est une classe de remédiation qui accueille des élèves très différents les uns des autres. Leur point commun est de rencontrer des difficultés. Or, dans d’autres pays d’Europe, il existe des équivalents beaucoup plus spécifiques et dont nous pourrions nous inspirer. C’est le cas en Suisse où des classes se divisent en sous-groupes spécialisés dans la dyslexie, les troubles du déficit de l’attention avec/sans hyperactivité (TDAH), la phobie scolaire, etc. En France, bien qu’il y ait une évolution des mentalités, on cherche trop souvent à appliquer le même remède à tous les maux.

Les enseignants sont-ils suffisamment outillés pour aider les « décrochés » ?

Les professeurs savent distinguer les symptômes annonciateurs de l’échec scolaire : absentéisme perlé, désintéressement croissant, rejet de l’école, etc. Cependant, ils manquent trop souvent d’outils pour prévenir et remédier à ces situations. Toutes les personnes que j’ai rencontrées ont évoqué un manque de compréhension de l’école. Elles n’expriment pas d’animosité particulière à l’égard de l’Education nationale. En revanche, elles regrettent que l’institution n’ait pas d’empathie face à leurs difficultés. Bien souvent, ces carences sont la résultante d’un manque de moyens et de temps à accorder à chaque élève.

Quel rôle les parents jouent-ils dans la réussite scolaire de leurs enfants ?

L’opposition et l’absence de dialogue entre la cellule familiale et l’institution est la pire des situations pour un élève. L’étude récente menée par le professeur et sociologue Joël Zaffran, qui travaille sur les micro-établissements dans lesquels on tente de raccrocher des élèves ayant quitté l’école, le démontre parfaitement. Plus la famille est présente dans le dispositif, plus le taux de réussite est important et débouche sur l’obtention d’un diplôme.

L’école aménage-t-elle assez d’espace pour accueillir les familles ?

Dernièrement, j’avais le sentiment que nous étions sur une bonne lancée. Les concepts de continuité pédagogique, d’inclusion, d’échange avec les familles, étaient de plus en plus fréquents dans les politiques éducatives des établissements. Malheureusement, l’année dernière a marqué un coup d’arrêt. Dans beaucoup de structures, sous couvert de restrictions sanitaires, on a supprimé les réunions parents-professeurs. Personnellement, ces temps m’ont manqué. Pour autant, la coéducation ne se décrète pas, elle s’apprend. A titre personnel, et je pense que c’est le cas pour beaucoup de professeurs, j’ai davantage de facilité à rencontrer les familles des élèves pour qui tout va bien. C’est-à-dire les familles que théoriquement, même s’il faut évidemment consolider tous les liens, j’aurai le moins besoin de contacter. Pour les cas les plus difficiles, l’exercice est différent et nécessite plus d’implication de la part du professeur.

Vous décrivez les UPE2A comme des dispositifs demeurant propices aux décrochages. Pourquoi ?

L’unité pédagogique pour élèves allophones nouvellement arrivés (UPE2A) est une structure qui fonctionne très bien. C’est souvent là que l’on retrouve le plus de projets et de dynamisme pédagogique. Toutefois, il est criant qu’il n’y a pas suffisamment de place. Dans mon livre, le cas de Souleymane l’illustre parfaitement. S’il a dû en sortir après un an durant lequel il avait fait beaucoup de progrès, ce n’est pas parce qu’il était prêt, mais parce que la liste d’attente était importante. Institutionnellement, on peut rester deux ans au maximum en UPE2A. Aucune évaluation n’intervient pour estimer si l’élève est prêt ou non à intégrer le cursus ordinaire. Or les enfants qui arrivent dans ces classes présentent d’emblée des niveaux scolaires très hétérogènes en fonction de leur niveau initial de maîtrise du français ainsi que de leur parcours scolaire antérieur. Les seuls critères d’orientation étant la durée et le nombre de places, il est inévitable que des élèves décrochent.

Les TDAH sont également une cause de décrochage…

Pour ce qui est de ces troubles, l’Education nationale a connaissance des besoins spécifiques des élèves qui en présentent. Ils ont besoin de soutien pour les aider à maintenir leur concentration ou pour les accompagner afin de souffler un peu en dehors de la classe. Les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) maîtrisent ces missions. Seulement, ces métiers sont très précarisés et exigeants. Naturellement, les personnes souhaitant les exercer manquent. Très souvent, les notifications de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) ne sont pas appliquées, faute de professionnels. C’est une question de moyens et de valorisation salariale du métier d’AESH. Le second versant à améliorer est celui de l’accompagnement des parents. Il existe une quantité déraisonnable de preuves et de documents à fournir pour constituer le dossier de demande auprès de la MDPH. Chaque année, les familles doivent faire preuve d’insistance pour que leurs enfants continuent à bénéficier de l’aide.

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