Le projet de créer une nouvelle fonction éducative apparaît au milieu des années 1930, à la suite de grandes campagnes de presse dénonçant la violence des matons et le manque d’encadrement adapté au sein des maisons de placement pour mineurs de justice. L’idée de réformer ces institutions émane de plusieurs cercles de notables philanthropes, comme celui constitué autour du bulletin Pour l’enfance « coupable ». A partir de mai 1936, ils ouvrent leurs colonnes au commissaire général des Eclaireurs unionistes, Jacques Guérin-Desjardins, qui propose une « adaptation des méthodes scoutes aux enfants délinquants » fondée sur une pédagogie de l’action.
A l’origine, un échec
Une première session de formation pour des moniteurs-éducateurs issus du scoutisme est organisée à la prison de Fresnes fin 1936 et, dès l’année suivante, deux patrouilles sont envoyées dans les vieilles colonies de Saint-Maurice (Val-de-Marne) et de Saint-Hilaire pour tenter l’aventure. L’expérience s’avère être un fiasco : les jeunes scouts reçoivent un accueil des plus glacial de la part de surveillants peu préparés à cette ouverture.
Malgré cet échec, des initiatives sont renouvelées durant la Seconde Guerre, la plus médiatisée étant celle menée ex nihilo près de Dinan dès 1940, encensée par un jeune magistrat éclaireur de France, Henri Joubrel, dans son ouvrage Ker Goat. Le Salut des enfants perdus, publié en 1945.
« L'esprit scout »
Le creuset des premiers « chefs » éducateurs est bien le scoutisme, et nombreux sont ceux qui décident de voler au secours de la jeunesse dite « coupable » dans un esprit de service, comme en témoigne le jeune Jacques Mazé à son arrivée en poste en 1947 dans un internat près d’Orléans : « Je n’avais pas de contrat, on m’avait dit qu’il y avait besoin de quelqu’un pour s’occuper des gamins et quand Marc Nivet m’a dit, vous serez payé tant, j’ai dit, mais je ne viens pas là pour être payé, tu vois à l’époque, je venais rendre un service dans l’esprit scout. »
Une chose est de rendre service, une autre est de s’engager à long terme dans la profession. Malgré les efforts de propagande des mouvements scouts, la création d’écoles et la constitution dès 1947 d’une Association nationale des éducateurs de jeunes inadaptés (Aneji), fer de lance de ce métier, la stabilité des premières générations de professionnels est loin d’être gagnée.
Ce que révèlent les premiers numéros du bulletin Liaisons, publié par l’Aneji dans l’espoir de créer un esprit de corps. Dans le numéro de juillet 1953, Brigitte Haardt, qui coordonne une sorte de service de placement hébergé par les Eclaireurs de France, évoque ainsi le fait que « le manque d’éducateurs dans un centre est chose extrêmement fréquente », en particulier dans les établissements pour garçons, la prise en charge des filles étant assurée de manière efficace par des congrégations religieuses.
Vers 1955, une crise du recrutement
Devant la pénurie, « quand le directeur et les éducateurs en sont à se crever », elle ose suggérer la possibilité de recruter « une éducatrice », tout en regrettant l’antiféminisme ambiant. Malgré les réticences de quelques anciens qui craignent de « faire mourir l’esprit », l’Aneji s’engage alors dans un processus de normalisation de la profession, tout en pointant régulièrement le manque de candidats et le turn-over, comme dans l’éditorial du numéro d’octobre 1955 : « Depuis quelques temps déjà, il y a crise du recrutement des éducateurs… Des directeurs lancent par téléphone de véritables appels au secours. »
Il faudra pourtant attendre 1966 pour que soit signée la première convention collective et 1967 pour qu’un diplôme d’Etat soit institué.