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Du burn-out à la scène, la résilience créative de Johanna Rouillon

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Machines de guerre, un spectacle multidisciplinaire sur "la première pandémie psychiatrique" : le burn out. 

Crédit photo capture vidéo du teaser sur les Machines de guerre
[PORTRAIT] Ancienne coordinatrice dans une structure d’insertion, Johanna Rouillon a cessé de travailler en 2020 après un épisode d'épuisement professionnel. De son expérience est née la pièce Machines de guerre, un projet artistique hybride destiné à briser un tabou dans le secteur social et à mieux repérer les situations à risque.
 
 

Le 8 février 2020. Cette date, indélébile, est marquée au fer rouge dans l’esprit de Johanna Rouillon. Tatouée en caractères gras sur les étagères de sa mémoire. Bien sûr la chute a été progressive. Il y a eu la fatigue extrême, la dévalorisation, l’anxiété, le corps qui lâche… Mais le 8 février 2020 représente un point de rupture. Il sonne son arrêt de travail définitif pour burn-out. Coordinatrice dans une structure d’insertion par le logement depuis 2013, Johanna Rouillon s’occupait jusqu’alors d’encadrer des bénévoles, de développer des partenariats et d’étudier les dossiers de commissions d’attribution de logement. Un poste qui la passionnait. « J’exerçais au sein d’une association constamment dans l’innovation. Mes responsables me faisaient confiance, expose-t-elle autour d’un café pour planter le décor. Dès que je proposais quelque chose, on me disait d’y aller. » La Lilloise, assistante sociale de formation, participe rapidement à la mise en place de nouveaux projets, comme le lancement d’un tiers-lieu qui l’a beaucoup mobilisée. « Cette initiative de résidences intergénérationnelles était géniale ! Pour une grande campagne de communication autour du projet, mon travail a été mis en avant. J’avais beaucoup de reconnaissance de la part de ma hiérarchie. »

Au fur et à mesure, les dossiers s’amoncellent et la charge de travail s’accroît. Les premiers symptômes se font sentir dès 2018 : fatigue, impossibilité de récupérer au retour de congés. S’en suivent des oublis répétés, une performance réduite, des propos incohérents, des troubles de la concentration et du sommeil. Les signaux sont là, mais ne sont pas décryptés. Son champ de vision est constellé de « mouches noires » ? Johanna Rouillon consulte un spécialiste. Les céphalées à répétition ? Très certainement dues au caisson de brassage informatique situé près de son bureau. Elle le fait déplacer.
 

« Animal social »

Il lui aura fallu un premier arrêt en 2019 et les alertes de plusieurs proches et professionnels de santé pour finalement mettre des mots sur son état : syndrome d’épuisement professionnel, aussi appelé « burn-out ». « Cela a duré des mois, il y a eu une errance médicale. Jusqu’à ce qu’on pense la perdre », retrace Céline Rousseau, une amie d’enfance, qui n’aurait jamais imaginé Johanna Rouillon passer par une telle épreuve. « C’est une personne pleine de vie, avec un profil hyper dynamique. Elle voit tout le temps le bon côté des choses, ne se laisse pas aller. C’est aussi quelqu’un de très tourné vers l’autre, dans la transmission : un animal social. »

Portée par un élan cathartique, la professionnelle décide un jour de prendre la plume. « Fléchir d’un burn-out, c’est faiblir (…), c’est ressentir sa vulnérabilité au plus profond de ses organes, écrit-elle d’un jet. (…) C’est se savonner deux fois car vous avez oublié l’avoir déjà fait, c’est baisser les volets à moitié, se retrouver à mieux comprendre les familles en difficulté que vous accompagniez qui avaient tendance à laisser closes leurs persiennes (…), c’est ne plus savoir décider, c’est régresser (…), c’est remplacer le mot “frigo” par “lavabo”, “coton” par “évier”, “beurrier” par “bureau” (…) C’est apprendre à pleurer, partout, tout le temps et devant tout le monde (…), c’est se sentir mourir (…), c’est vouloir s’approcher de ses entrailles (…), c’est devenir le “patient”, l’“usager”, le “malade” pour la première fois de sa vie d’un établissement public de santé mentale… »

>>> Lire aussi : 8 conseils pour éviter les burn-out dans son équipe

Finalement publié dans une revue culturelle collaborative, son texte va devenir le point de départ d’un spectacle sur le burn-out. Après deux ans de travail étroit avec une compagnie de théâtre, naît la pièce Machines de guerre, qui expose sans détour les causes et les conséquences de ce syndrome. De la chute à la (très lente) reconstruction, le parcours de Johanna Rouillon y est incarné par trois artistes multidisciplinaires. Musiques pulsées, chorégraphies accélérées, peintures colorées, corps désarticulés, monologue effréné, acrobaties apathiques… Sur scène, se mélangent habilement la danse, le théâtre et les arts plastiques pour former une narration poétique ponctuée d’un humour désarmant. Le projet intègre également des interviews de spécialistes et des témoignages audios de personnes ayant vécues un burn-out. « Johanna ne nous a pas juste donné son texte, elle nous a guidées dans toutes les étapes de création, précise Camille Spriet, danseuse et chorégraphe au sein de la compagnie Ratibus, qui porte le projet. Elle nous a fait remarquer quand nous étions justes et quand nous l’étions moins pour retranscrire au mieux ses états. »
 

Sensibiliser le plus grand nombre

Avec ce spectacle, la Lilloise entend sensibiliser les employeurs et le grand public au syndrome d’épuisement professionnel. « Il ne s’agit ni d’une grosse fatigue, ni d’une dépression, souligne-t-elle, le regard intense, mue par un désir d’informer. Les personnes se retrouvent vraiment brûlées de l’intérieur. Certaines sont reconnues travailleurs handicapés après un burn-out, d’autres ne sont plus jamais en mesure de reprendre le travail. Si j’avais su tout cela de manière claire et précise, je me serais arrêtée avant. » Pour apporter des pistes d’amélioration concrètes, la pièce est accompagnée d’un dossier pédagogique, de conférences et de débats. L’objectif : permettre aux responsables et aux collègues de mieux repérer les signes avant-coureurs. « L’employeur doit par exemple pouvoir se dire : “Je n’accepte pas que mon salarié m’envoie des mails à minuit ou en dehors de ses jours de travail.” C’est une alerte », poursuit Johanna Rouillon qui espère, à terme, que des « personnes ressources » soient formées à ces enjeux au sein des équipes.

Une première représentation a eu lieu le 7 février dernier à l’université de Lille, et la compagnie souhaite désormais convaincre les structures du social, avec pour cœur de cible les instituts régionaux de formation sociale (IRTS), de s’emparer de cet outil de prévention. Mais la démarche semble pour le moment relever du défi. Alors que les professionnels du « care » sont particulièrement touchés par ce syndrome, de par leur investissement, leur engagement humain et la détérioration de leurs conditions de travail, l’ancienne coordinatrice explique se heurter à un « grand tabou ». « Les acteurs ne prennent pas le sujet à bras-le-corps, regrette-t-elle. Je peux concevoir qu’une grande entreprise n’assume pas cette responsabilité, mais notre secteur se doit d’être avant-gardiste. Force est de constater qu’il n’est pas évident pour nous, professionnels du social, de nous montrer vulnérables. D’accepter que ce mot ne concerne pas seulement les personnes accompagnées. Il y a la peur d’être affiché, étiqueté. Pourtant, nous pouvons être vulnérables et de super travailleurs sociaux, de super chefs de service, de super directeurs… »
 

Prendre soin de soi

S’investir pleinement dans ce projet artistique a aussi permis à Johanna Rouillon de se retrouver. « Je ne pensais pas pouvoir redire ça un jour, mais je me sens bien ! Je n’en serais pas là s’il n’y avait pas eu la pièce. » La quarantenaire parvient depuis peu à retourner dans le quartier de son ancien employeur et renoue timidement avec l’idée d’envoyer des candidatures. Toujours dans l’optique d’utiliser son savoir expérientiel, elle a récemment entamé une formation aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale (Caferuis). Elle sourit en expliquant que la thématique de son futur mémoire est déjà toute trouvée : les risques psycho-sociaux chez les professionnels du « care ». Un moyen supplémentaire pour cette passionnée de rappeler, quitte à enfoncer des portes ouvertes, que l’on ne parvient à prendre soin des autres qu’en prenant d’abord soin de soi.

>>> À voir : Le teaser des Machines de guerre

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