Actualités sociales hebdomadaires : Quelles sont les problématiques sur lesquelles vous comptez vous concentrer ?
Dominique Simonnot : Il est un peu tôt pour définir les choses formellement. Adeline Hazan, qui m’a précédée, avait mis l’accent sur la psychiatrie, et les résultats sont probants. Cela se ressent d’ailleurs sur les personnes qui nous sollicitent. De plus en plus de personnes atteintes de maladies psychologiques ou leurs proches nous écrivent. Notre vigilance va donc se poursuivre. De plus, le gouvernement va être obligé de légiférer car le Conseil constitutionnel a rendu une décision sur l’isolement et la contention en psychiatrie. Beaucoup de psychiatres et la Haute Autorité de santé (HAS) affirment que les vertus thérapeutiques de ce traitement ne sont pas prouvées. Ce n’est plus considéré comme un soin. La pratique se fait en raison du manque de personnel dans les hôpitaux souvent surchargés.
D’autre part, je souhaite me rendre dans les centres éducatifs fermés (CEF) pour m’assurer du respect de la part consacrée à l’éducation, à l’apprentissage et à la culture. Ces enfants-là ont souvent été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) avec des succès mitigés. Pour avoir suivi des comparutions immédiates pendant vingt-deux ans, je peux affirmer que la moitié des jeunes présentés à l’audience correctionnelle venaient de l’ASE. Beaucoup d’entre eux sortent de CEF, et il faut donc insister sur l’intérêt que nous leur portons. L’essentiel est de leur apporter la passion et l’envie pour un métier. Je sais que ce n’est pas simple, mais il y a énormément de possibilités d’orientation.
Par ailleurs, je compte raccourcir tous les délais, ceux des autorités gouvernementales et les nôtres, en commençant par le délai entre le jour de la visite et la publication du rapport. Avec l’équipe, nous allons voir comment y arriver. Pour l’heure, lorsqu’on termine un rapport, on l’envoie au ministre concerné, qui a deux mois pour répondre avant que nous procédions à sa publication. Nos recommandations doivent ensuite être suivies sur trois ans.
Quelles actions comptez-vous mener en priorité pour les prisons ?
D. S. : Il y a beaucoup à faire dans ce domaine. Il faut assurer aux détenus des conditions de vie dignes et s’assurer de la déflation carcérale. Actuellement, 22 maisons d’arrêt ou quartiers en centres pénitentiaires ont un taux d’occupation supérieur ou égal à 150 %, c’est loin d’être anecdotique. Après la baisse due aux libérations anticipées et au ralentissement de l’activité des juridictions justifiés par le contexte sanitaire, les incarcérations remontent. Au 1er novembre, la France comptait 62 260 détenus, alors qu’en juillet le chiffre s'élevait à 58 695. De hauts magistrats ont d’ailleurs expliqué au ministre de la Justice qu’ils n’allaient pas limiter les incarcérations en raison de l’augmentation de la délinquance. Ils ont aussi indiqué que les termes « régulation carcérale » étaient inappropriés. C’est pourtant un mécanisme logique. Lorsque quelqu’un entre, quelqu’un sort, et il ne doit pas y avoir plus de détenus que de places de prison. Les personnes qui sortent sont en fin de peine et, contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas de grands criminels, de violeurs ou de terroristes. Et l’accompagnement vers la réinsertion est optimisé quand les établissements ne sont pas surchargés.
En quoi le manque de moyens des structures a-t-il des répercussions sur le quotidien des travailleurs sociaux ?
D. S. : Je connais bien la question puisque j’ai moi-même été conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation durant dix ans. Je sais qu’aucune politique de réinsertion, de sortie anticipée ou d’alternative à l’incarcération ne peut tenir si on n’augmente pas les moyens. Les tâches sont multiples. Quand j’exerçais ce métier, la norme était de 70 dossiers par personne. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus. Cela oblige à délaisser certains détenus. Nous recevons d’ailleurs de nombreux courriers qui en témoignent. Des détenus se plaignent de ne jamais voir leur référent social.
Notez-vous des points de vigilance sur les centres de rétention administratives (CRA) ?
D. S. : Le taux d’occupation des CRA s’élève à 60 ou 70 %. Mais moins il y a de monde, mieux c’est. En raison de la vague épidémique mondiale, certains étrangers retenus ne repartiront jamais dans leur pays d’origine. Le concept de ces lieux suppose que les gens y sont pratiquement libres. Or cela s’apparente de plus en plus à une détention, et c’est d’ailleurs noté dans plusieurs rapports du CGLPL. Le système est de plus en plus restrictif, c’était moins le cas il y a dix ans.
Qu’en est-il des locaux de garde à vue ?
D. S. : J’ai effectué deux visites et j’ai pu constater que les conditions sanitaires n’étaient pas respectées. Par exemple, dans une cellule où se trouvaient deux ou trois personnes, le matelas en plastique était sale, les couvertures passaient d’une personne à l’autre sans avoir été nettoyées et les cellules ne disposaient pas d’eau. C’est totalement opposé aux discours actuels sur les mesures sanitaires. Les conditions de travail des fonctionnaires de police avec qui j’ai pu m’entretenir sont anormales. Ils m’ont confié avoir honte. Ils n’avaient même pas de mots pour décrire leur situation et celle des gardés à vue.
Combien de personnes saisissent le CGLPL ?
D. S. : Nous recevons en moyenne 3 500 courriers par an. 82 % des saisines viennent des prisons et 11 % des établissements de santé. De plus en plus de personnes atteintes de troubles mentaux nous écrivent. Je lis tous les courriers qui arrivent au pôle « saisine », c’est déchirant.