Il ne reste qu’une cinquantaine de jours avant la fin de l’année et, alors que le projet de loi de finances de la Sécurité Sociale (PLFSS) pour 2025 vient de quitter le Palais-Bourbon – où les députés n’ont pas pu s’entendre sur une trajectoire budgétaire – pour rejoindre celui du Luxembourg où les sénateurs vont en débuter l’examen à partir d’aujourd’hui, 13 novembre, les équipes du nouveau ministre des Solidarités, Paul Christophe, viennent de boucler la feuille de route de son ministère.
Budget en hausse pour les Solidarités
Un plan d'action qui s’appuie – pour l’instant, en tous cas – sur des budgets prévisionnels légèrement revus à la hausse pour 2025. Avec une dotation annoncée de 42,4 milliards pour la branche autonomie de la Sécurité sociale, 30,4 milliards pour les politiques de solidarité et quelques enveloppes thématiques renforcées (300,2 millions pour le grand âge, 270 millions pour financer les 15 000 premières initiatives du plan « 50 000 solutions », 100 millions de soutien aux départements pour favoriser la mobilité des aides à domicile, 140 millions pour moderniser les Ehpad, etc.), « mon budget sera augmenté de 4,2 milliards l’an dernier par rapport à 2024 », indiquait le principal intéressé le 12 novembre à l’occasion d’une rencontre avec l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis).
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Les Ehpad, "lieux de vie"
La méthode ? « Introduire une horizontalité des politiques publiques et travailler avec plus d’efficience comme nous l’a demandé Michel Barnier » a détaillé Paul Christophe. Concrètement, cette ambition pourrait se traduire par une forme de dé-silotation des dossiers pour les traiter de façon transversale. En transformant par exemple les Ehpad en lieux de vie sur les territoires ouverts non seulement aux personnes âgées dépendantes, mais aussi aux mineurs non-accompagnés, aux crèches, aux services d’aides à domicile, aux personnes en situation de handicap et, pourquoi pas, à des étudiants en résidence. De quoi permettre d’assurer une mixité des populations, mais aussi d’offrir aux salariés de ces établissements des opportunités de passerelles entre les carrières.
Sur le papier, l’intention est louable. Mais sa mise en musique risque de coincer. Surtout alors qu’aucune ligne budgétaire n’est prévue en 2025 pour financer France VAE, ce dispositif expérimental qui se propose justement de simplifier et faciliter la reconnaissance des acquis de l’expérience pour diplômer des salariés des métiers du soin et de l’accompagnement. Un chantier sur lequel Paul Christophe entend bien revenir. « J’étais très attaché à ce dispositif et j’aimerais que l’on puisse intégrer davantage de reconnaissance de l’ancienneté dans les passerelles entre carrières ». Pour l’instant, cependant, le projet reste au point mort en l’absence de tout schéma financier à la main du ministre pour relancer la machine…
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Tensions avec les départements
En attendant 2025, toutefois, plusieurs dossiers sensibles s'accumulent sur son bureau. A commencer par celui des dotations aux collectivités départementales que le gouvernement a prévu d’amputer de 2,2 milliards l’an prochain, soit autant de coups de rabot à venir sur leurs politiques de soutien de l’action sociale. Et alors que s’ouvre, à Angers, un congrès des départements où le gouvernement risque d’être particulièrement chahuté, le torchon brûle entre Matignon et Départements de France, les DMTO (droits de mutation à titre onéreux), ces subsides sur les transactions immobilières qui constituent la principale rentrée fiscale des collectivités départementales, ont diminué d’environ 30% ces deux dernières années sous l’effet des fluctuations du marché du bâti.
Or, s’il semble peu probable que l’exécutif revoie sensiblement sa copie budgétaire d’ici la fin du débat parlementaire, Michel Barnier pourrait bien se présenter vendredi devant les départements porteur de bonnes nouvelles. Pas forcément l’annonce d’un fléchage d’un point de CSG vers ces collectivités comme le réclame François Sauvadet, président de Département de France, mais peut-être celle d’une révision à la hausse de la part des DMTO affectée au budget des collectivités. « Sur ce point, le gouvernement pourrait bouger », annonce Paul Christophe. A voir si l’avenir le confirme.
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RSA: une généralisation régulée par les flux entrants-sortants?
Car même si l’objectif du plein-emploi à l’horizon 2027 promis par Emmanuel Macron semble avoir été mis de côté par Michel Barnier, l’un des dispositifs emblématiques déployé à cette fin, à savoir la généralisation de « l’accompagnement renforcé » des allocataires du RSA à compter du 1er janvier prochain, reste toujours d’actualité. Et les départements, comme France Travail, tous deux affectés par les coupes budgétaires annoncées, seront en première ligne de cette mesure-phare du quinquennat, particulièrement dans la période de remontée du chômage qui s’annonce. Pour Paul Christophe, autrefois rapporteur de la loi pour le plein-emploi, il pourrait y avoir moyen d’alléger la facture des différents opérateurs en adoptant de facto une forme de généralisation différée qui, selon lui, s’effectuera de toutes façons par paliers.
« Parmi les bénéficiaires du RSA, on en compte 30% qui reviennent vite à l’emploi et pour qui le RSA n’est qu’un soutien très temporaire sans qu’ils aient besoin du plafond de 15 heures d’activité hebdomadaires que prévoit la loi. 40% qui partent de plus loin mais qu’un accompagnement permet de faire revenir sur le chemin de l’emploi et 30% pour qui c’est très compliqué à cause des freins périphériques – mobilité, santé, garde d’enfants, addictions… - qui s’opposent à leur retour à l’emploi. Ce sont surtout ceux-là qui mobiliseront les moyens de France Travail et des travailleurs sociaux des départements affectés à leur accompagnement. Sans oublier que le RSA obéit à une logique de flux. Quand certains y rentrent, d’autres en sortent. L’entrée différée des allocataires dans le dispositif est déjà une réalité ».
Autre point d'achoppement
L’autre sujet qui plombe les relations Etats-Départements, c’est évidemment l’application des différentes revalorisations salariales (Ségur de la santé, Avenant 43…) théoriquement applicables aux salariés du sanitaire, social et médico-social à but non-lucratif dont les départements sont censés assumer le coût auprès des employeurs associatifs. Théoriquement car, depuis l’été dernier, une majorité de collectivités assument de ne pas verser les sommes exigées – qui se chiffrent en milliards d’euros - au titre de l’accord « Ségur » du 4 juin 2024 faute de compensations suffisantes de la part de l’Etat et ce, malgré la menace des fédérations patronales du secteur de les traîner devant les tribunaux administratifs. Sur ce point, peu de chance que l’exécutif remette au pot : « L’Etat a pris sa part. 300 millions supplémentaires sont entre les mains des ARS aujourd’hui », affirme Paul Christophe.
Mais là aussi, des scénarios visant à soulager la trésorerie des collectivités départementales et à écarter les risques de contentieux sont en réflexion. Qui pourraient passer par exemple par une restructuration des 13 concours de la CNSA en direction de ces collectivités et par la mise en place d’une forme de péréquation entre départements. « Certains départements sont compensés à 32%, d’autres à 56% et je ne m’explique pas pourquoi. Il faut rétablir l’équité et la confiance », affirme le ministre. Mais sans s’avancer sur un calendrier ou une méthode.
Esat, jour férié, remboursement des fauteuils roulants, Sérafin-PH...
Et c’est sans compter sur tous les autres sujets dans le périmètre de son ministère. La publication des décrets sur la protection sociale et l’augmentation jusqu’au SMIC des travailleurs des ESAT ? Renvoyés aux conclusions d’une mission commune des Inspections générales des finances (IGF) et des affaires sociales (Igas) qui doit proposer des pistes de faisabilité. La suppression d’un deuxième jour férié pour financer la solidarité ? « Je ne pense pas que cela soit la solution, mais on peut y réfléchir ». Le remboursement par la Sécu des fauteuils roulants pour les handicapés absent du PLFSS ? Le projet est toujours en débat entre l’Etat, les constructeurs, les distributeurs et les mutuelles pour rendre son coût soutenable par les organismes de Sécurité sociale. Les augmentations de charges sur les rémunérations proches du SMIC dont se plaignent aussi les employeurs du secteur social ? L’affaire se joue désormais entre le Sénat et le ministère du Travail. La recentralisation générale du RSA à l’image de l’expérimentation menée en Seine-Saint-Denis ? Difficilement jouable à l’échelle nationale.
Le financement des dépenses d’autonomie des Ehpad par la 5e branche de la Sécu ? A l’essai dans 23 prochainement, mais plus vraisemblablement pour une durée de deux ans que de quatre comme initialement prévu. L’application de la réforme Sérafin-PH sur la mise en place d’nouveau dispositif d’allocation de ressources aux services et établissements médico-sociaux qui accompagnent les personnes en situation de handicap ? « Ce sera plutôt dans la trajectoire 2026 ». A suivre, donc.
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