Micro-crèches, maxi-contraintes ? En présentant, la semaine dernière, à l’occasion d’une réunion du comité de filière de la petite enfance, un projet de décret visant à renforcer la réglementation sur les micro-crèches, la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a provoqué un vent de panique chez les organisations d’employeurs de ces petites structures de proximité, calibrées pour accueillir moins de douze enfants et relevant le plus souvent du secteur privé (lucratif ou non).
Suivant les préconisations d’un rapport conjoint, daté de mars 2024, des Inspections générales des finances (IGF) et des affaires sociales (Igas) sur les modalités de financement et la qualité de l’accueil de ces établissements, le texte, déjà examiné par le Conseil d’Etat et soumis pour avis au conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) le 3 décembre, prévoit de durcir leurs conditions d’exercice.
"Temps de direction" à la hausse
Parmi les principales mesures qui font bondir les employeurs, l’administration prévoit notamment d’augmenter significativement la durée hebdomadaire que les dirigeants de ces établissements – des dirigeantes pour l’essentiel – doivent consacrer à des tâches de gestion. Si, jusqu’à présent, ce « temps de direction » était limité à 0,2 équivalent temps plein (ETP), il pourrait passer au 1er janvier 2026 – date annoncée d’entrée en vigueur du décret – à 0,5 ETP. Soit, selon les calculs patronaux, l’équivalent de deux jours et demi de travail sur une semaine, au lieu d’une seule journée de sept heures.
« Une aberration en termes d’organisation et d’efficacité lorsqu’il est question de structures aussi petites », assure Maud Collomb, conseillère petite enfance au sein de la Fédésap (fédération des services à la personne et de proximité), l’un des syndicats d’employeurs du secteur.
Un diplômé en travail social par structure
Autre disposition de nature à compliquer la gestion de ces petites structures, l’obligation de compter au moins une personne disposant d’une qualification de catégorie 1 – le plus souvent un diplôme d’éducateur de jeunes enfants (EJE) ou d’auxiliaire de puériculture – dans l’effectif de chaque micro-crèche. Là où la réglementation actuelle n’impose que la présence de personnels titulaires de diplômes de catégorie 2, généralement des CAP d’accompagnant éducatif de la petite enfance (AEPE).
Un vrai coup de bambou pour les employeurs de micro-crèches, étant donné que la branche compte, sur ses 35 000 salariés, environ 15 000 de ces titulaires de CAP dont certains exercent des fonctions qui, selon les termes du décret, relèveront demain de la catégorie 1. Or, « avec une nouvelle réglementation devant entrer en vigueur début 2026 et sachant qu’il faut en moyenne trois ans pour passer un diplôme de première catégorie, nous ne serons jamais en mesure de qualifier le personnel nécessaire dans les temps impartis. Surtout qu’aucune annonce concernant des moyens supplémentaires alloués à la formation ne nous a été faite par la Cnaf », alerte Maud Collomb.
La situation est d’autant plus tendue aux yeux des employeurs que la valeur indiciaire du complément de libre choix du modèle de garde (CMG) sur lequel s’appuie le modèle économique des micro-crèches privées, essentiellement financées par la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), reste bloquée à 10 € de l’heure depuis une dizaine d’années, sans prise en compte de l’inflation et de l’augmentation du coût de la vie. là où la prestation de service unique (PSU), qui finance les crèches publiques et certaines structures associatives, grimpe aujourd’hui à 12 €. « Il est évident que l’administration veut privilégier le modèle des crèches publiques et aligner le statut des micro-crèches sur celui des petites crèches [qui accueillent entre 13 et 20 enfants]. Mais elle oublie que si le nombre de places en crèches a augmenté ces dernières années, c’est uniquement grâce à l’ouverture de nombreuses micro-crèches », déplore un représentant des employeurs.
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"Le plus grand plan social"
Il n’en fallait pas plus pour que les organisations d’employeurs déterrent la hache de guerre. Dans une tribune commune, quatre d’entre elles, la Fédésap, la Fédération des services à la personne (FESP), la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC) et le Regroupement des entreprises de micro-crèches (Rémi) dénoncent « le plus grand plan social » que la parution du décret risque d’entraîner pour le secteur. Selon les calculs patronaux, ce sont ainsi près de 15 000 emplois qui pourraient être menacés par le renforcement des obligations légales pesant sur ces 6 500 structures, dont les salariés n’avaient d’ailleurs pas bénéficié de la revalorisation salariale de 150 € par mois accordée au secteur public et associatif non lucratif en mars dernier. Et cela, « sans compter l’impact pour l’ensemble des familles dont de nombreuses ne pourront plus exercer leur activité professionnelle faute de solutions d’accueil », avertissent les organisations patronales.
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"Un chantage pas constructif"
Du côté des syndicats de salariés, cependant, on relativise la réaction des employeurs. « Toutes ces préconisations étaient contenues dans le rapport Igas-IGF. Ils ne peuvent pas faire semblant de les découvrir et crier au loup aujourd’hui ! », avance Cyrille Godfroy, cosecrétaire général du Syndicat national des professionnels de la petite enfance (SNPPE).
Chez les représentants des salariés, on se réjouit plutôt de ce renforcement des exigences réglementaires en matière d’obligation de diplômes et de temps nécessairement consacré aux obligations administratives des directrices de micro-crèches. Le SNPPE, qui réclamait d’ailleurs la présence d’au moins deux professionnels de catégorie 1 dans les effectifs de chaque structure, n’a pas été suivi par la DGCS sur ce point. « De nombreux employeurs se servaient de cette disposition sur le temps administratif pour laisser les directrices de micro-crèches gérer plusieurs structures, parfois jusqu’à trois en même temps ! Cette mesure concernant l’augmentation du temps de gestion ne peut que renforcer la qualité de l’accueil, ce que préconise d’ailleurs le rapport des inspecteurs », ajoute le syndicaliste. Qui déplore qu’avant même d’avoir engagé la moindre concertation avec la Cnaf pour tenter de négocier des moyens supplémentaires pour la formation des salariés et leur montée en qualification, le patronat préfère « crier au loup et agiter la menace de la fermeture de crèches. C’est une forme de chantage absolument pas constructive. »
A voir cependant ce que deviendra le projet de décret, avec la chute du gouvernement Barnier. Après tout, d’autres textes, comme ceux liés à la loi « plein emploi » de décembre 2023 visant à instaurer le service public de la petite enfance au 1er janvier 2025, sont encore en attente de publication…
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