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« Les annonces d’Elisabeth Borne ne sont pas du tout à la hauteur des besoins » (Michel Ménard, Loire-Atlantique)

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Pour Michel Ménard : « Si la décentralisation n’est pas aboutie aujourd’hui, c’est parce que l’Etat ne décentralise jamais complètement les compétences. »

Crédit photo © Christiane Blanchard_Département de Loire-Atlantique.
Au lendemain des Assises des Départements de France, Michel Ménard, président (PS) de la Loire-Atlantique, exprime sa « prudence » face aux annonces de la Première ministre. Il revient aussi sur la réorganisation territoriale et l’expérimentation RSA dans son département.

Une enveloppe de près de 150 millions d’euros débloquée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), 100 millions pour les départements en difficulté et un budget pour les mineurs non accompagnés (MNA) porté à 100 millions, Elisabeth Borne n’a pas été avare d’annonces et de financements lors des Assises des Départements de France à Strasbourg le 10 novembre 2023… Mais ce festival de millions a pourtant laissé de nombreux présidents des départements sur leur faim.

Car, notamment pour les élus de gauche, le compte n’y est pas et les intentions ne suffisent plus comme l’explique le socialiste Michel Ménard, président de la Loire-Atlantique.

ASH : Comment réagissez-vous aux annonces d’Elisabeth Borne ?

Michel Ménard : Avec beaucoup de prudence. D’abord, nous souhaitons analyser précisément ce qu’elle nous a dit. Tout n’est pas clair dans les différents chiffres énoncés. Nous allons vérifier qu’il n’y a pas de recyclage d’enveloppes financières déjà programmées ou en discussion. Et demander des précisions auprès des ministères. Ensuite, les annonces ne sont pas du tout à la hauteur des besoins. Les départements sont la seule collectivité à ne plus avoir de levier fiscal et donc de marge de manœuvre si nécessaire. C’est une vraie difficulté au moment où les besoins de la protection de l’enfance, et de manière générale du bloc social, augmentent. D’autant plus que nos recettes se réduisent : la perte de revenus liée au ralentissement du marché de l’immobilier, et donc aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO), devrait représenter cette année 3 milliards d’euros au niveau national. Soit 20 % en moins dans notre budget. Il n’est pas possible d’asseoir les finances de l’action sociale sur les marchés de l’immobilier. C’est un problème majeur.

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150 millions pour l’autonomie, en priorité aux départements en difficulté, n’est-ce pas une réponse ?

De façon générale, dès que des moyens supplémentaires sont accordés, ils le sont aux départements les plus en difficulté. Mais la plupart le seront vu la dégradation brutale de nos finances. Cette approche qui consiste à privilégier les territoires les plus en difficulté, c’est surtout une manière de ne pas mettre beaucoup d’argent. En Loire-Atlantique, l’aide de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) couvre actuellement 35 % de nos dépenses. Elle doit passer a minima à 40 %. C’est une première marche pour atteindre 50-50 d’ici 2030. Mais qui semble insuffisante.

Et augmenter d’un tiers, pour la porter à 100 millions d’euros, l’aide de l’Etat en faveur des mineurs non accompagnés ?

Le compte n’y est pas. Avec l’augmentation actuelle du nombre de MNA, le financement de leur accueil sur une année coûterait 500 millions en plus. Et l’Etat annonce une enveloppe globale de 100 millions d’euros. Cela illustre bien le niveau d’engagement relatif de l’Etat. J’estime – les présidents des départements sont partagés sur cette question – que, tant que les enfants n’ont pas été évalués, ils devraient être pris en charge par l’Etat. D’autant qu’entre 70 % et 80 % des jeunes sont reconnus majeurs à l’évaluation.

Puisque la loi prévoit que la mise à l’abri incombe aux départements, nous la mettons en œuvre. En août et septembre, l’ensemble des départements a connu une augmentation significative du nombre d’arrivées. En Loire-Atlantique, nous avons pris des dispositions pour les mettre à l’abri immédiatement. Nous avons financé des postes supplémentaires d’évaluateurs pour accélérer les délais de traitement des dossiers, passés de six à trois semaines.

La réorganisation territoriale demeure d’actualité, malgré la promesse de ne pas supprimer les départements. En quoi sont-ils un bon échelon pour l’action sociale ?

Ils le sont sur les solidarités humaines, mais aussi territoriales. Sans eux, beaucoup de territoires ruraux n’auraient pas les moyens d’assurer leurs missions de service public. Des voix ont émis l’hypothèse de recentraliser la protection de l’enfance. Mais qu’on nous fasse la preuve que les Ddass (ex-directions départementales des affaires sanitaires et sociales supprimées en 2010, ndlr) faisaient mieux leur travail. Ce qu’on demande, ce sont des moyens pour exercer cette politique décentralisée.

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Et elle ne doit pas être abordée sous l’angle du nombre de strates. Il s’agit de savoir qui fait quoi et d’assurer des moyens financiers à la hauteur des compétences exercées. Si la décentralisation n’est pas aboutie aujourd’hui, c’est parce que l’Etat ne décentralise jamais complètement les compétences. Il contrôle largement les départements – ce qui est nécessaire mais la Cour des comptes et ses chambres régionales savent le faire – qui demandent à être pleinement responsables.

La Loire-Atlantique est l’un des trois départements de gauche à avoir lancé l’expérimentation RSA, comment la mettez-vous en œuvre ?

Dès le départ, avec la métropole du Grand Lyon et le département d’Ille-et-Vilaine (la Seine-Saint-Denis a retiré sa candidature en mars 2023, ndlr), nous avons accueilli cette expérimentation en affichant le refus de toute conditionnalité. Nous sommes preneurs de moyens pour mieux accompagner, mais il n’est pas question de conditionner le versement des allocations à un nombre d’heures d’activité.

L’expérimentation a débuté en septembre, sur le bassin de Saint-Nazaire. La moitié des 2 900 allocataires va bénéficier, sur la base du volontariat, de ce dispositif d’accompagnement renforcé. Les moyens alloués (+ 1,7 million d’euros sur le département) permettent d’avoir un professionnel pour suivre 50 allocataires alors qu’en moyenne, le rapport est de un pour 100. Et l’offre d’activités de soutien et d’insertion (immersion en entreprise, apprentissage de la langue, permis de conduire, etc.) est considérablement élargie. A ce jour, près de 20 % des allocataires ont été accompagnés. L’ensemble aura intégré le dispositif d’ici fin février. Les premiers retours sont positifs : les délais d’obtention d’un premier rendez-vous ont été divisés par quatre. Et les allocataires ont le sentiment qu’on s’occupe d’eux. C’est un enjeu important pour les aider à rebondir.

Comment comptez-vous convaincre l’Etat du bien-fondé de votre approche ?

L’expérimentation sera évaluée fin 2024, avec un groupe témoin pour mesurer les effets. Nous espérons pouvoir apporter la preuve que, sans menace ni sanction, l’accompagnement peut être plus efficace. Et nous avons conscience de la difficulté : il ne s’agira pas simplement d’évaluer le nombre de personnes qui auront trouvé un emploi. Le bien-être, la dignité et la confiance des allocataires sont des indicateurs difficiles à mesurer. Mais nous irons chercher des témoignages s’il le faut.

Au final, les thématiques de l’action sociale, dont les départements sont chefs de file, ont-elles été réellement portées par ces Assises ?

En partie, mais il faut reconnaître que la question de la protection de l’enfance n’a quasiment pas été abordée. Les présidents de droite, qui maîtrisent l’ordre du jour, n’ont pas fait ce choix. Le sujet des mineurs non accompagnés a souvent été abordé comme une question relevant de l’immigration. Alors que pour les départements de gauche, elle relève de la protection de l’enfance, dès lors que ceux-ci sont reconnus mineurs. Tous les départements n’ont pas le même entrain sur le volet solidarité, mais l’Etat n’en a pas beaucoup non plus.

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