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Propriétaires de chiens à la rue : « S’appuyer sur la plus-value que représente l’animal »

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Le sociologue Christophe Blanchard est maître-chien de formation.

Crédit photo : DR
Enseignant-chercheur à l’université Sorbonne Paris Nord, Christophe Blanchard a consacré sa thèse (1) aux propriétaires à la rue accompagnés de chiens. Pour les ASH, le sociologue revient sur le lien qui unit ces publics et leur animal et invite le travail social à s’emparer pleinement de ces enjeux.

ASH Le Mag : Qu’est-ce qui pousse ces publics déjà précaires à prendre un animal ?

Christophe Blanchard : Il s’agit d’une question de culture partagée vis-à-vis de l’animal de compagnie en France. Même si elles sont marginalisées, les personnes à la rue partagent les mêmes codes et les mêmes goûts que le reste de la société. Elles ont donc les mêmes motivations que les propriétaires socialement intégrés. Mais en raison de leur fragilité et de leur vulnérabilité, l’animal leur apporte une plus-value encore plus importante.

Le chien représente un retour immédiat sur investissement émotionnel. Il restitue une compensation affective, identitaire, voire narcissique. Les propriétaires d’animaux à la rue se sentent exister car le chien les regarde, non pas comme des marginaux, mais comme des humains bienveillants. L’animal est une sorte de bouée sociale. Avec lui, réapparaît une capacité à tisser du lien avec un autre être vivant et par voie de conséquence avec d'autres êtres humains, puisque le chien permet d’améliorer les contacts sociaux. Dans la rue, l'animal joue un rôle « structurant ».

C’est-à-dire ?

Des alliances se créent entre les individus par chien interposé. Chaque chiot qui naît dans la rue est confié à des personnes à la rue et se voit attribuer un parrain ou une marraine qui sont là pour compenser les défaillances éventuelles du maître. Quand un individu est hospitalisé, il peut s’appuyer sur la solidarité du réseau de ses pairs. Ces alliances permettent aussi d’être moins esseulé. Or, c’est cette solitude qui broie les personnes à la rue.

Lire aussi notre reportage : SoliVet aide les structures sociales à mieux prendre en charge les propriétaires d’animaux

Ne pas bien prendre en compte ce paramètre en travail social, c’est rater une démarche dans l’accompagnement. On ne peut pas isoler des individus dans une prise en charge sans avoir en tête qu’ils sont intégrés à un groupe finalement beaucoup plus structuré qu’on ne l’imagine.

Vous parlez de « techniciens canins actifs » pourquoi ?

Le sens commun fait passer ce public pour des personnes passives. En réalité, il faut de nombreuses compétences techniques pour gérer un animal dans l’espace public au quotidien. D’autant plus quand on en a plusieurs. Je mets au défi n’importe quel propriétaire de passer une semaine à la rue avec son chien d’appartement. Il se rendra vite compte à quel point c’est compliqué d’évoluer avec son animal dans cet environnement. Toutes ces compétences, les personnes les acquièrent au fil de leur parcours et de leurs échanges avec d’anciens de la rue. Ils ne réinventent pas des techniques tous les jours, c’est un système D qui s’institutionnalise.

Le nom que les maîtres donnent à leur chien est également révélateur sur le plan sociologique ?

Là encore, cela nous montre que les personnes à la rue n’évoluent pas hors de la société. Aujourd’hui, l’animal de compagnie a totalement intégré le cercle intime des propriétaires. Tous les maîtres, qu’ils soient socialement intégrés ou non, ont l’habitude de donner à leurs animaux des noms caractéristiques de leurs goûts. Ce n’était pas le cas il y a cinquante ans. A l’époque, il n’y avait pas de singularisation de l’animal à travers son nom. Pour un propriétaire à la rue, la particularité est que ce nom fait souvent référence à des éléments caractéristiques de son parcours de vie. En travaillant cet aspect, il est possible de mieux connaître ces publics, car il existe toujours une référence à un élément biographique de la vie du maître.

L’animal représente, selon vous, un véritable levier dans le travail social…

Lorsqu’on saisit la complexité de la relation qui unit la maîtresse ou le maître à ses chiens, on comprend des cheminements biographiques qui n’apparaissent pas jusqu’alors. Cela permet de travailler plus en nuances l’accompagnement, car beaucoup de transfert est réalisé sur l’animal. Quand on aborde par exemple tel problème de santé du chien, cela peut ouvrir un point de dialogue sur la santé humaine. Le chien permet de travailler des problématiques que le propriétaire n’entendrait pas forcément de la même façon si le professionnel focalisait sur lui. Par ailleurs, le mieux-être qu’apporte un animal pour la santé, en termes de réduction du stress et de diminution de l’anxiété, est aujourd’hui prouvé scientifiquement.

Quel regard porte le secteur sur ces enjeux ?

Le sujet n’est pas pris au sérieux dans le travail social. Il est considéré comme connexe. Dans les cursus de formation, les questions de médiation animale sont vues comme des animations. Or, si vous n’êtes pas formé à cette compréhension, vous ne pouvez pas agir correctement. Les réponses sont inadaptées et l’arrivée d’un chien dans une structure est évidemment perçue comme un problème. En sortie d’école, les professionnels ont bénéficié de modules de formation sur l’alcool, les maladies sexuellement transmissibles... Il s’agit de réalités qu’ils doivent maitriser pour accompagner au mieux les publics. Sans cela, ils seraient démunis. Les enjeux sont les mêmes pour la question animale.

Je rencontre des travailleurs sociaux qui, soit ont peur des animaux, soit ne savent pas comment se positionner, soit se disent « ce n’est pas mon boulot, je ne suis pas vétérinaire ». Mais ce n’est pas aux personnes en difficultés de s’adapter, c’est au travail social. C’est ce qui justifie sa raison d’être.

Sur le terrain, des professionnels s’intéressent toutefois à ces questions…

Il existe, ici ou là, des solutions très pertinentes, comme par exemple l’action de SoliVet à Lyon, qui émane du travail vétérinaire. Mais ces initiatives durent le temps des bonnes volontés présentes pour les porter. Aujourd’hui, il n’y a pas de politique publique ambitieuse qui pense de façon systématique cet accompagnement. Pourquoi ne réussirait-on pas à s’appuyer sur cette plus-value que représente l’animal dans le parcours de ces publics ? Pour moi, c’est une faute. En mettant en coordination des partenaires pluridisciplinaires, nous nous apercevons que ce qui est perçu comme un frein peut devenir un levier pour l’accompagnement.

(1) « Entre Crocs et Kros : analyse sociologique du compagnonnage entre l'exclu et son chien »

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