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Après l'affaire Orpéa, les limites du contrôle systématique des Ehpad

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Crédit photo Thierry ZOCCOLAN / AFP
Pour les directeurs d’établissement, la grande campagne de contrôle systématique lancée en février dernier par les autorités sur les structures accueillant les personnes âgées ne va pas réellement changer la donne. En revanche, elle renforce leur inquiétude sur le manque de prise en compte des problèmes structurels.

Un « vaste plan de contrôle » de 7 500 Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) en deux ans. Voilà l’une des mesures phares annoncée par l’exécutif après le scandale du groupe d’Ehpad privé Orpea, révélé par le livre-enquête Les fossoyeurs du journaliste Victor Castanet (éd. Fayard). « Ce choc de transparence est la condition d’une confiance retrouvée et d’une réponse à la hauteur des attentes des familles et des résidents », déclarait en mars dernier Brigitte Bourguignon, alors ministre déléguée chargée de l’autonomie. Tous les Ehpad, qu’ils soient privés, associatifs ou publics, sont ciblés par cette vaste campagne pilotée par les autorités compétentes, agences régionales de santé (ARS) et conseils départementaux en tête.

Lors d’une conférence organisée en mai dernier par le think tank Matières grises, réunissant les poids lourds du secteur, Virginie Lasserre, directrice générale de la cohésion sociale, a rappelé le périmètre de ces nouvelles inspections : la vérification des « sujets de gouvernance », la « prise en charge des résidents », les « fonctions support », la « gestion des ressources humaines », la « gestion budgétaire » ou encore la « relation des établissements avec l’extérieur ». La finalité ? S’assurer de la « conformité », « contribuer à l’amélioration de la qualité » et « faire cesser des dysfonctionnements ».

Pas de grands bouleversements

Cependant, aussi déterminé soit l’Etat, pas de grandes modifications en vue dans les méthodes, selon Yann Reboulleau, président du groupe privé Philogeris Résidences. L’un des 17 Ehpad du groupe a vu ces dernières semaines la visite, en son sein, de plusieurs contrôleurs : « Il s’agit des mêmes techniques qu’auparavant. » Les autorités viennent évaluer les procédures, la qualité d’entretien des locaux, le nombre d’employés présents, leurs qualifications… « L’équipe déroule son processus de contrôle dans la journée », précise-t-il. Un constat confirmé par le directeur de l’autonomie de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes, Raphaël Glabi, qui assure que, si quatre fois plus d’inspections devraient avoir lieu dans sa région, il n’y a aucun « changement de paradigme » sur le fond. D’après lui, ce sont surtout les « modalités de déploiement de ces contrôles » qui changent, lesquelles évolueront graduellement en fonction des problématiques.

Mais quel impact sur les équipes ? Tous les responsables de structures anticipent leur forte mobilisation. Les cadres, d’abord, mais aussi les salariés qui seront interrogés. « Les cadres vont être tout particulièrement accaparés car beaucoup d’éléments vont leur être réclamés, notamment des pièces complémentaires », raconte Yann Zenatti, directeur général de l’Adapei (Association départementale de parents et d’amis des personnes handicapées mentales) dans le Morbihan. Celui-ci vient d’être informé de l’inspection prochaine d’un de ses foyers d’accueil médicalisé pour personnes âgées et handicapées. La directrice de pôle de l’association et la directrice de l’établissement sont déjà sur la brèche. Des allers-retours avec l’administration seront en outre prévisibles pour répondre aux points soulevés. En effet, à l’issue d’un premier rapport rédigé par les autorités, un certain nombre d’éclairages s’avèrent souvent nécessaires, pièces justificatives à l’appui, pour s’assurer que toutes les dimensions ont bien été prises en compte.

Des contrôles tous azimuts

Un temps non négligeable. « Pour un directeur d’établissement déjà débordé au quotidien, lui prendre une journée représente beaucoup », déplore Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). D’autant que, selon lui, ces contrôles systématiques sont loin de garantir un meilleur suivi des résidents et d’éviter les problèmes de maltraitance. « Faut-il réellement mettre un “gendarme” derrière chaque conducteur ? Qu’il y ait des contrôles par l’administration lorsque existent des fautes ou des dysfonctionnements certains, rien de plus normal. Mais l’Etat veut effectuer des vérifications tous azimuts qui n’ont aucun sens alors qu’il faut nous donner les moyens de fonctionner », assure-t-il. D’autant que les structures rencontrant des problèmes manifestes sont déjà bien souvent repérées sur le terrain et que le scandale des Ehpad Orpea n’a guère surpris les professionnels. « On pense qu’en soulevant des couvercles, on va se rendre compte d’un seul coup des difficultés. Or on les connaît déjà, elles ne sont peut-être pas appréciées dans le détail mais ce n’est pas quelque chose qu’on découvre », estime pour sa part Roland Dysli, directeur du pôle médico-éducatif de la Fondation Arc-en-Ciel dans le Territoire de Belfort.

Une certaine incohérence

Une chose est sûre, pour les responsables d’établissement, les questions de maltraitance sont – en grande majorité – davantage liées aux difficultés structurelles rencontrées par les professionnels qu’au pilotage des structures. Pour cause : budgets restreints, tensions de recrutement… constituent encore des sujets loin d’être réglés. « La stratégie de l’Etat n’a pas été une stratégie de résolution du problème sociétal mais de résolution du problème de crise. C’est une réponse à court terme. L’objet n’est pas d’améliorer en l’espèce la vie des personnes âgées mais d’éteindre l’incendie pour que personne, ou des proches, ne puisse dire que l’Etat est responsable », pointe Pascal Champvert. Et d’ajouter, avec un brin d’ironie : « Tout se terminera avec un directeur devant rédiger des documents pour expliquer tout ce qu’il n’a pas fait avec l’argent qu’on ne lui a pas donné. » Même état d’esprit chez Yann Zenatti : « C’est toute l’incohérence de ces contrôles qui vont toucher des situations où le financeur fixe lui-même les règles du jeu. »

A ceci s’ajoute l’inquiétude que ces inspections puissent nuire au partenariat entre les établissements et les autorités tarificatrices. « Compte tenu de la mobilisation attendue dans les ARS et les conseils départementaux, on risque de basculer dans un dialogue concentré uniquement sur les contrôles. Les échanges qui pouvaient exister dans les contrats pluriannuels d’objectif et de moyens, dans la mise en œuvre de certaines politiques, dans des projets attachés à tel ou tel établissement, vont passer au second plan. Je crains que l’on s’installe dans une dynamique de risque de sanction », prévient Yann Reboulleau. Soit un réel effet pervers pour une stratégie de contrôle qui a ses limites. Avec la menace de ne pas réellement prendre en compte la situation dans sa globalité. « L’enjeu est surtout de savoir comment toutes ces interventions s’organisent sur le territoire, comment l’Etat et le département travaillent avec les acteurs de terrain dans une vision plus large ? Nous défendons aujourd’hui une logique de parcours, mais on ne cernera que 10 % de la problématique en contrôlant uniquement les établissements », affirme Roland Dysli.

Des étoiles pour comparer l’offre

Pour répondre au besoin de transparence en matière de qualité des services, l’AD-PA milite depuis plusieurs années pour publier une information lisible par le grand public. Selon cette association, il s’agit là d’une des clés pour que le système s’auto-régule en profondeur. « Pourquoi ce qui s’est passé avec Orpea n’est-il pas possible dans le secteur de l’hôtellerie ? Pourquoi ne pouvez-vous pas vendre des prestations d’une étoile à des tarifs de cinq étoiles ? Précisément parce que la profession et l’Etat se sont mis d’accord pour mettre en place ce système d’étoiles », déclare Pascal Champvert. L’association propose ainsi de s’inspirer de cette méthode pour que les établissements soient évalués par un corps indépendant selon quatre systèmes d’étoiles dédiés respectivement à l’hôtellerie-restauration, la qualité de vie, l’animation et aux métiers des soins. Pour le président de l’AD-PA, « cela ferait apparaître que, compte tenu des budgets alloués actuellement par l’Etat dans tous les établissements publics et associatifs, les prestations sont à une ou deux étoiles au maximum ». De quoi faire bouger les lignes. A contrario, dans le privé, si les tarifs ne sont pas à la hauteur des prestations, les établissements seraient alors forcés de baisser leurs prix ou d’améliorer leurs services. Depuis mars dernier, le gouvernement prévoit de rendre publics annuellement dix indicateurs-clés supplémentaires sur la fiche d’information de chaque établissement (taux d’encadrement, rotation des personnels, absentéisme, date de la dernière évaluation de la qualité, présence ou non d’un plateau technique…).

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