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« Les femmes handicapées se méfient des institutions »

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Les professionnels du secteur médico-social se trouvent très souvent démunis face aux violences sexistes et sexuelles dont sont victimes les femmes en situation de handicap. Selon la sociologue Johanna Dagorn, auteure d’un rapport sur la question, l’accent est d’abord à mettre sur la formation.

Actualités sociales hebdomadaires - Le problème des violences faites aux femmes handicapées est connu. Qu’apportez-vous de nouveau ?

Johanna Dagorn : Ce qui m’a frappée à l’issue de mon enquête, menée de janvier à septembre 2021, et que je n’avais jamais lu nulle part ailleurs, c’est l’extrême embarras des professionnels médico-sociaux confrontés à des femmes en situation de handicap victimes de violences. La quasi-totalité d’entre eux se demandent quand ils doivent « casser le secret partagé » et « trahir la confiance des personnes accompagnées ». Ils se retrouvent face à un dilemme éthique et moral. Ce qui est, selon moi, incroyable, car la loi du 30 juillet 2020 sur le secret professionnel est très claire : elle énonce que tout professionnel dépositaire d’une information à caractère pénal est autorisé à porter à la connaissance du procureur de la République les violences subies par la victime. Ce cadre légal devrait écarter ce type de questionnement et de gêne. Si on ne connaît pas la loi, on ne peut pas l’appliquer.

Y aurait-il donc un déficit de formation des professionnels ?

Face à un cas de femme handicapée victime de violences, les professionnels ont, pour la grande majorité d’entre eux, le réflexe d’en informer leur hiérarchie. Tous ceux que j’ai interrogés sont très investis dans leur travail et se sentent concernés par cette question, mais ils ne savent pas comment réagir. Il y a deux urgences : la première est d’être en mesure de repérer les femmes victimes de violence qui, souvent, n’en font pas état ; la seconde, de pouvoir les orienter. Tout cela passe par la formation, c’est l’une des préconisations de mon rapport. Si l’on n’est pas sensibilisé, on ne voit pas les violences. C’est la raison pour laquelle il est utile de systématiser les questionnements dans les entretiens de suivi, de former les cadres et les personnels des structures, d’alerter les équipes de direction sur les procédures… Il faudrait également désigner des référents au sein des établissements et services sociaux et médico-sociaux dont la mission serait de recueillir le témoignage et d’aiguiller toute personne qui déclarerait avoir été victime d’agression.

Quid du rôle des associations ?

Ces femmes vont finalement assez peu consulter des associations dédiées au handicap, qui elles-mêmes ne se sont pas forcément approprié cette problématique. Tout comme les associations d’aide aux femmes victimes de violences ne sont pas formées au handicap. Très rares sont les associations qui traitent les trois paramètres – femmes, violences, handicap –, comme Femmes pour le dire, femmes pour agir(1). Le nombre de femmes en situation de handicap victimes de violences est donc largement sous-estimé. Déjà en 2007, un rapport du Parlement européen indiquait que 80 % d’entre elles seraient soumises à des violences psychologiques et physiques.

L’un des points saillants de votre enquête est le manque de confiance de ce public envers les institutions. Comment l’expliquez-vous ?

Il existe chez ces femmes une défiance globale vis-à-vis des institutions, alors qu’elles qui en ont le plus besoin. Beaucoup d’entre elles ont été maltraitées, et bien souvent dès la prime enfance, victimes de harcèlement à l’école, brusquées sur le plan médical et gynécologique, qu’elles ont peur du commissariat, du dépôt de plainte… Il existe chez elles une appréhension à se tourner vers une institution. Lorsque les femmes portent un handicap mental et psychique, un problème supplémentaire se pose : leur parole peut être mise en doute. Or il n’y a rien de pire pour une victime que de parler et de ne pas être entendue. Il suffit qu’elle ne soit pas crue une seule fois pour ne plus jamais se tourner vers un dispositif ou un autre. Je constate trois facteurs principaux à cette défiance : l’existence d’une culture de la soumission, la crainte de ne pas être entendu et de mauvaises expériences précédentes avec les autorités et les institutions. C’est un cercle vicieux qui débouche sur une violence symbolique très importante.

La crise du Covid-19 a-t-elle eu un effet délétère sur l’accompagnement ?

Les femmes en situation de handicap ont subi beaucoup plus de violences que les autres pendant le confinement. Celles-ci ont augmenté pour près de 20 % d’entre elles contre 7 % en moyenne pour les autres femmes. Les institutions portent une part de responsabilité. A titre d’exemple, une infirmière psychiatrique que j’ai interrogée soulignait qu’il était difficile, lorsqu’il s’agit de handicap mental, de mesurer la véracité de la parole de ces femmes. Elle avait l’habitude d’aborder ces cas précis lors de réunions d’équipe, mais ces moments de concertation ont été supprimés avec la crise sanitaire. Elle avouait donc s’abstenir depuis de tout signalement, dans le doute.

Vous écrivez que si le handicap accroît le risque de violences, les violences augmentent également le handicap…

J’ai rencontré deux sortes de femmes victimes de violences en situation de handicap : celles qui sont devenues handicapées après des violences et celles qui ont subi des violences en raison de leur handicap. Leurs parcours sont différents : les premières n’ont pas forcément subi autant de violences symboliques que les autres. L’impact psychotraumatique qui en résulte reste souvent méconnu : cette question commence tout juste à émerger chez les chercheurs et les professionnels. Le psychotrauma concerne toutes les femmes victimes de violences. Mais pas à ce point-là et pas dans toutes les sphères. Pour les femmes en situation de handicap, tant la fréquence que l’intensité des violences subies m’ont vraiment alertée. Elles m’ont toutes, sans exception, parlé de suicide. J’ai rencontré des femmes violentées dans toutes les sphères de leur vie : au travail, à l’école, dans la famille, dans la rue… Elles finissaient par me dire : « ça va, je n’ai pas à me plaindre, il y a pire. » Leur capacité de résistance et de « faire avec » m’a énormément étonnée. C’est la première fois dans mes recherches que je retrouve une adéquation totale entre la parole des victimes et la parole des professionnels. En général, il y a toujours une distorsion des points de vue. Cela montre la totale véracité de ce que les personnes concernées ont pu révéler.

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