Des structures à haute densité éthique
Le profil des personnes qui vivent ou séjournent en établissements sociaux ou médico-sociaux est du fait de leur dépendance ou de leur handicap, ou de leur situation d’exclusion sociale particulièrement exposé.
Pour les structures concernant les personnes âgées ou porteuses d’un handicap en particulier, la réalité des questions éthiques est telle qu’il serait nécessaire que les personnes aidées, leurs proches, les professionnels puissent véritablement être formés et que ces activités et ces compétences réflexives et discursives leur soient reconnues pour pouvoir aborder la complexité et les nuances de ces questions.
Les questions éthiques peuvent concerner le respect de l’autonomie de décision des personnes. Ce n’est en effet pas parce qu’une personne âgée est dépendante qu’elle ne peut plus faire de choix, et décider pour elle-même. Ce n’est pas parce qu’une personne âgée a des troubles cognitifs ou parce qu’une personne est porteuse d’un handicap psychique que l’on doit la considérer comme n’ayant aucune autonomie. De fait, la capacité de comprendre et de décider est altérée, mais elle est rarement totalement abolie. Elle est d’autant moins abolie lorsque l’on parle à ces personnes, qu’on les considère comme des sujets qui, au travers de leur expression, nous disent quelque chose de ce qu’elles ressentent et de ce qu’elles pensent.
Les questions éthiques peuvent concerner le niveau des soins et l’anticipation. En effet lorsqu’une personne âgée dépendante est prise en charge dans une structure médico-sociale, l’avenir et les questions qui vont probablement se poser doivent être envisagés. L’enjeu est de considérer la pertinence de certains traitements en cas d’apparition de complications ou de comorbidités interrogeant le pronostic vital, ou la qualité de vie ou le sens de la vie pour la personne.
Toutes ces interrogations sont souvent en rapport avec la réalité ou la perspective de situations relatives à la fin de vie. Elles peuvent conduire, au terme d’un cheminement avec la personne âgée ou porteuse d’un handicap, à l’écriture de directives anticipées. A défaut de pouvoir être écrites, ces orientations devraient figurer dans le dossier médical pour guider les actions des professionnels. Dans le même registre, la désignation d’une personne de confiance pour aider à cette anticipation et, le cas échant, à des décisions en situation difficile lorsque le principal intéressé ne peut exprimer sa volonté est essentielle.
Face à des situations complexes
Lorsque les personnes présentent ce que l’on nomme parfois des « troubles du comportement » – ces troubles devraient être renommés comme étant des modes d’expression difficiles à comprendre pour les interlocuteurs proches et professionnels – qui peuvent parfois conduire à poser des questions relatives à la privation de liberté d’aller et venir, voire relatives à la contrainte, à la contention.
On voit bien que ces questions sont à la fois très fréquentes (pour ne pas dire quotidiennes) et très complexes ; qu’elles appellent, parce qu’elles sont complexes et que les personnes sont en situation de vulnérabilité, une grande prudence pour éviter toute forme d’irrespect ou de maltraitance.
On sait que pour limiter ces risques, il faut que les proches et les professionnels qui prennent soin de ces publics particulièrement exposés soient disponibles, qu’ils disposent de temps, qu’ils sachent au quotidien échanger, entre eux, douter, re-questionner, collaborer autant que possible et en particulier dans les situations les plus complexes avec des référents extérieurs à l’équipe ou à l’établissement comme les équipes mobiles de gériatrie ou de soins palliatifs, les services d’hospitalisation à domicile (à condition que celles-ci soient formées au questionnement éthique).
Il faudrait pour cela que des temps de formation soient régulièrement organisés autour des analyses de situation, en lien avec ces équipes mobiles par exemple. Il faudrait que ce temps de formation soit reconnu comme un véritable temps de travail. Il serait souhaitable que ces établissements aient, en lien avec d’autres structures médico-sociales ou sanitaires un accès à un comité d’éthique pour qu’une casuistique élargie à des compétences juridiques, philosophiques par exemple soit possible.
Ce n’est malheureusement pas souvent le cas. Les professionnels manquent clairement de temps et de formation. La culture de l’interdisciplinarité, l’intégration de représentants des usagers dans ces discussions n’est pas encore acquise, les collaborations avec des équipes extérieures sont encore insuffisantes. Du chemin reste à faire.
L’appel du CCNE
Le Conseil consultatif national éthique, dans ses derniers avis [1], en appelle à des modifications profondes dans la valorisation et la tarification de ces actions, dans la reconnaissance des professionnels qui côtoient chaque jour ses situations complexes et singulières…Qu’attendons-nous pour nous mobiliser et changer notre façon de travailler encore beaucoup trop « refermée sur soi » ?
(1) Avis 139 : questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité rendu public le 13 septembre 2022 ; avis 140 : repenser le système de soins sur un fondement éthique. Leçons de la crise sanitaire et hospitalière, diagnostic et perspectives, adopté lors du Comité Plénier du CCNE, le 20 octobre 2022,
Notre série sur l'éthique en établissement
Bienvenue dans le monde des injonctions paradoxales (1/5)
« Ne faites rien pour nous sans nous » (2/5)
Du temps, de la formation et une autre culture (3/5)
« Mais Madame, on n'a pas le temps » (4/5)
Médocs à gogo et doudous régressifs (5/5)
Ce texte est extrait du hors-série sur « La réflexion éthique en établissement, retrouver du sens ». Pour vous abonner aux hors-séries ASH, c’est ici.