« “Tu cherches quoi ? Un plan ? Moi, je te propose un plan mais pas celui auquel tu penses. Un plan réduction des risques”… » Julien Dugrosprez, éducateur spécialisé, a testé un peu toutes les techniques pour entrer en contact sur Grindr, site de rencontres prisé par la communauté LGBTQ+. Il a essayé l’humour, la flatterie, saluant les profils pour mieux lancer la conversation. Il a parlé de la pluie et du beau temps. Avec des résultats variables. « On sait très rapidement si ça marche ou pas, explique-t-il. L’important, c’est d’instaurer un climat de confiance, d’être honnête dès le début, et d’adapter son propos au fur et à mesure de l’échange. Le reste, c’est propre à chacun. »
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Julien Dugrosprez a commencé les maraudes numériques en 2020. Il travaillait alors au Caarud, le Centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues, de Saint-Quentin dans l’Aisne. Une structure portée en groupement de coopération par les associations Le Mail et Sato Picardie. « On avait un local d’accueil mais on ne voyait personne », explique-t-il. D’où l’idée de compléter son travail, en présentiel, de réduction des risques, lié tant aux pratiques sexuelles qu’à la consommation de drogues, par des maraudes numériques.
Chemsex
Il se lance sur Badoo, Grindr, le très controversé tchat Coco (désormais fermé depuis le 25 juin 2024), mais aussi des sites d’escorting. Chacun a ses contraintes propres. Sur Grindr, il contacte le site, qui lui rétorque assurer lui-même un service de prévention. Pour se conformer à ses exigences, il doit publier une photo de son visage, sans quoi son compte sera bloqué. Il s’arrange pour le placer en hauteur et être le moins visible possible. Et choisit pour pseudo : « Caarud 02 ».
Il n’utilise pas Tinder, dont le coût lui paraît trop onéreux, mais opte pour Badoo : 180€ pour un abonnement à vie… « On m’avait dit, d’expérience, que je toucherais plus de personnes concernées par des consommations sur Badoo », précise-t-il.
Ses maraudes numériques lui donnent accès à des adeptes du chemsex, pratique associant drogues et sexe. « C’est une communauté complexe à approcher, qui prend des risques énormes, lors de marathon sexuel qui peuvent durer 24h voire 72h non stop », explique Julien Dugrosprez. Il a pu faire de la prévention sur les consommations, proposer un accès à du matériel propre, à des tests de dépistage…
Sur Coco tchat, il accompagne des personnes transgenres, en situation de prostitution. Parfois elles sont étrangères et il traduit les messages grâce à Google Traduction. Et au cas par cas, il accompagne chez le médecin, oriente vers des traitements préventifs contre le VIH, aide à l’obtention de papiers…
Sur les sites d’escorting, il se plie aux conditions : SMS ou appel téléphonique, prénom, âge, etc. « Soit je me prenais un blanc direct avant d’être black listé. Soit, les gens étaient réceptifs : on pouvait échanger de vive voix, voire se rencontrer », explique Julien Dugrosprez. Mais l’approche, là encore, est complexe. Il n’est pas client et les proxénètes ne sont jamais très loin. Les uns font office de secrétaire et orientent son appel, les autres estiment qu’il casse le chiffre d’affaires. Tout reste affaire de tact, et avant tout d’opportunité. Numérique ou pas.
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