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Qualité de vie au travail : lutter contre l’isolement professionnel

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Aide à domicile accompagnement

Photo d'illustration

Crédit photo Virginie Merle / Hans Lucas via AFP
Ils travaillent chez les particuliers ou seuls, la nuit, assurant la sécurité des résidents hébergés au sein de divers types d’établissements. Au risque d’éprouver un fort sentiment de solitude. Cette donnée doit être prise en compte par leurs managers. Mais les initiatives sont peu nombreuses.

Comment inclure dans un collectif de travail des professionnels exerçant « hors les murs » de leurs établissements et favoriser un sentiment d’appartenance à des équipes dont ils sont éloignés ? Dans le domaine de l’aide à domicile en particulier, la préoccupation s’avère prégnante. « Cette question représente un enjeu fort de qualité de vie au travail, souligne Amélie Gillette, responsable du développement des ressources humaines au réseau de l’UNA (Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles), et doit être comptabilisée parmi les risques professionnels. Le fort absentéisme, les problèmes d’attractivité du métier, les enjeux de fidélisation doivent inciter à l’action les structures et les financeurs. » Les rapports s’enchaînent, préconisant une remise à plat urgente des statuts et des conditions de travail de ces salariés « de première ligne » en souffrance. Parmi eux, l’avis du 9 décembre 2020 du Cese (Conseil économique, social et environnemental) dans le cadre de la saisine « Les métiers de service à domicile, métiers du lien social », qui constate : « L’isolement est une des caractéristiques de l’exercice des métiers du lien auprès des personnes vulnérables. Or, au quotidien, les personnels concernés doivent partager des informations avec d’autres professionnels, qui exercent des activités de soin conjointes ou des fonctions de prescription et de contrôle. Cela est particulièrement le cas des aides à domicile, qui ont besoin de connaître le terrain médico-social des usagers, alors qu’elles n’ont pas en principe accès à leur dossier médical. » Pour Christelle Avril, sociologue et maîtresse de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, auditionnée dans le cadre de ce travail du Cese, l’isolement de ces salariées est multiforme : « Il s’agit d’un métier à cheval sur le sanitaire et le social. Les aides à domicile auraient besoin de contacts avec les autres professionnels qui accompagnent les personnes vulnérables avec lesquelles elles travaillent – infirmières, assistantes sociales… – autrement que par le seul cahier de liaison, face auquel elles se retrouvent bien seules, n’ayant pas toujours les mots pour décrire les situations. » Parallèlement, les rencontres avec les employeurs ou collègues sont trop souvent réduites à la portion congrue. Or « elles ont tellement besoin d’échanger sur les situations, poursuit la sociologue. J’ai pu constater que quand elles ont l’occasion de se retrouver dans le cadre d’une formation, les temps de pause s’allongent, et les intervenantes peinent parfois à canaliser la parole. »

Face à cette situation, « même si ces temps sont considérés comme nécessaires, les établissements ne disposent pas toujours des fonds qui leur permettraient de les financer. Certains ont passé des accords avec des mairies par exemple, qui leur prêtent un local pour qu’elles puissent se retrouver… » Si la prise de conscience est bel et bien présente, si des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens prévoient « une extension de ces heures non présentielles », comme le souligne Amélie Gillette, « les initiatives restent souvent le fait de structures qui ont intégré ce facteur dans une politique plus globale d’innovation managériale. C’est un virage à prendre, mais les contraintes financières font que cela reste encore trop marginal. »

Considérant les risques spécifiques des salariés du secteur, la branche de l’aide, de l’accompagnement, des soins et des services à domicile a mis en place un service d’écoute et de soutien psychologique à l’intention des salariés, sur la plateforme pros-consulte.com.

Quand « l’aller vers » concerne aussi les salariés

Tous les métiers de l’accompagnement à domicile sont en effet susceptibles d’être concernés par les risques liés à l’isolement. A l’heure où « l’aller vers » les bénéficiaires devient presque une injonction, de plus en plus de professionnels risquent de se retrouver confrontés à une pesante solitude, quand la majorité de leur temps de travail se déroule loin de leur établissement, voire totalement « hors les murs ». Pour l’association Maison Saint-Joseph, qui accompagne des familles et enfants suivis par l’aide sociale à l’enfance (ASE) en Dordogne, « la question de l’isolement s’est posée dès la création du service de placement éducatif à domicile, explique Pierre-Manuel Béraud, son directeur. Nous ne nous sommes pas seulement penchés sur l’organisation du travail, mais avons aussi pris en compte l’impact émotionnel des éducateurs, par exemple après une visite à domicile difficile.« L’association n’a plus de bureaux en propre, les éducateurs étant affectés sur des territoires proches de leur domicile et pouvant bénéficier de tiers lieux au besoin. Outils numériques de pointe, possibilité de joindre à tout moment, en visio, son manager et/ou un psychologue, organisation de réunions régulières sur le thème de la gestion des émotions… sont complétés par des déplacements des managers eux-mêmes, par exemple pour signer les nouveaux contrats de séjour dans les familles », précise Nathalie Kuntz, directrice adjointe. Une implication essentielle du management, quand la crise sanitaire a produit des effets parfois néfastes en généralisant les échanges à distance. « Nous analysons actuellement l’impact du numérique sur les conditions de travail des aides à domicile, explique ainsi Isabelle Roudil, auxiliaire de vie sociale chargée du secteur de l’aide à domicile à but non lucratif à la fédération FNAS-FO (Fédération nationale action sociale-FO). « Elles sont de plus en plus averties des changements de planning par un SMS, alors qu’auparavant elles pouvaient échanger avec leur hiérarchie… »

De « surveillant » à « bienveilleur », un virage à prendre

Autre contexte, mais problématique identique : bien présents, eux, dans les murs des établissements, les surveillants de nuit restent encore dans l’ombre, même si la spécificité de leur métier a été reconnue par un accord de branche en 2002. Mais pas toujours par leurs employeurs, bien qu’une évolution semble aller dans le bon sens. « Une certification est de plus en plus demandée, constate ainsi Denis Dardenne, directeur des formations de l’Iris (Institut de ressources en intervention sociale), qui propose une formation qualifiante de surveillants de nuit. Une façon de favoriser cette reconnaissance professionnelle qui leur manque tant. Leur sentiment d’isolement tient beaucoup à une méconnaissance du contenu de leur travail et de leurs responsabilités, qui sont grandes et en font de véritables travailleurs sociaux. »

Pour Anna, surveillante de nuit dans un foyer d’hébergement d’urgence de mineurs depuis dix ans, récemment victime d’un burn-out, la coupe est pleine. « La nuit, les angoisses des enfants remontent, il y a un besoin d’être formé et surtout de pouvoir échanger pour faire face à ce que l’on vit. Ce n’est plus le cas. Quand je suis arrivée dans ce foyer, nous avions une réunion mensuelle avec les autres veilleurs de nuit, et une réunion générale avec tous les salariés. Notre chef organisait les plannings avec nous, nous consultait, en concertation avec les autres veilleurs. » Après le départ de cette cheffe de service, les occasions d’échanges ont disparu, les plannings, voire les changements de services, ont été imposés. Les relais avec l’équipe de jour sont trop brefs (15 minutes le matin et 15 minutes le soir). « Cela devrait être un travail d’équipe, on se retrouve face à des situations qu’il est impossible de gérer seule », témoigne-t-elle. Pour reconnaître leur rôle et donner à ces salariés le sentiment de faire partie d’une équipe, le Manoir Georges Guénier, foyer de vie pour aveugles et malvoyants situé à Vaudrimesnil (Manche), a choisi, pour désigner ses trois surveillants, l’expression « bienveilleur de nuit »(1) et entend favoriser leur inclusion dans le collectif de travail. Des rencontres quotidiennes – de 30 minutes, 1 heure 30 le week-end – sont organisées entre équipe de jour et équipe de nuit, avec possibilité, le soir, de prendre un repas en commun, sans que cela grève le budget. « Nous avons pu négocier avec le département 0,25 équivalent temps plein supplémentaire pour financer ce temps », explique Thierry Lebreton, directeur du foyer. Intégrés également aux réunions de l’ensemble des salariés toutes les cinq à six semaines, les veilleurs sont ainsi totalement inclus dans l’équipe, et participent aux séances d’analyses de pratiques. « Ils ont des responsabilités très importantes, précise le directeur. Notamment celle de veiller seuls à la sécurité de 30 résidents alors que le jour nous avons une équipe de 15 salariés. » Ce poids, Matthieu, qui travaille de nuit dans un foyer pour adolescents, en a mesuré les effets. Sans formation initiale spécifique, mais avec une expérience de « faisant fonction » d’éducateur, il a senti très vite la nécessité de nouer des liens avec l’établissement pour bien exercer son métier, qui, selon lui, va plus loin que la veille sur la sécurité des résidents. « Je me suis senti en difficulté quand les jeunes m’ont testé, la nuit, que j’étais seul et qu’il a fallu faire face, comme un éducateur. La direction n’avait pas pensé à impliquer les surveillants de nuit dans l’équipe, c’était ainsi depuis toujours. Mon arrivée et mes demandes d’échanges avec mes collègues présents en journée lui ont ouvert les yeux. » Sortir de l’ombre en faisant reconnaître sa place au sein d’un collectif, voilà bien l’enjeu de fonctions qui, structurellement vouées à un certain isolement, n’en sont pas moins indispensables à la bonne marche des établissements.

Notes

(1) Voir ASH n° 3174 du 4-09-20, p. 40.

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