Si la pandémie a rendu encore plus criants les besoins de compétences du secteur sanitaire, social et médico-social, les différents acteurs sont en tous les cas bien décidés à ne pas rester l’arme au pied… Car si nul ne conteste l’importance accordée à la formation des salariés et à la mise en avant des diplômes d’Etat, véritables sésames pour exercer nombre de professions, ils ne peuvent plus être les seuls leviers sur lesquels s’appuyer : trop longs, trop rigides, ils sont un frein à l’embauche comme à l’évolution de carrière au moment où les employeurs vont devoir séduire un public nouveau qui n’entend pas faire du surplace pendant toute sa vie professionnelle. « Il va aussi falloir affronter la digitalisation et prendre la mesure de l’évolution des pratiques en raison de l’automatisation d’un certain nombre de tâches. Sans parler des mutations technologiques mais aussi des nouvelles problématiques : bientraitance, risques psycho-sociaux, accompagnement des personnes âgées vieillissantes, partenariat renforcé avec les familles… », énumère Aurélien Connan, fondateur et dirigeant de l’organisme de formation Socialys.
« Nous mesurons déjà les limites du système actuel, car nous recrutons non pas des collaborateurs possédant les diplômes idoines mais des “faisant fonction de”, pointe Maryse Bastin, directrice générale d’Ocellia, centre de formation en travail social basé en Auvergne-Rhône-Alpes, et secrétaire nationale de la Fédération des acteurs de la solidarité (Fas). Cette situation s’explique par des raisons budgétaires mais aussi par les difficultés à attirer des candidats déjà formés à nos métiers. Nous devons aller vers une simplification en introduisant plus de flexibilité pour intéresser ceux qui frappent à notre porte. » En matière de développement de la formation tout au long de la vie, les secteurs sanitaire, social et médico-social ont aussi du chemin à parcourir pour sortir des seules formations obligatoires… A l’heure où certains opérateurs commencent à réfléchir à ce que pourrait être une formation « low cost », la responsable estime que les employeurs comme les organismes ont entre leurs mains des outils pour améliorer l’efficacité du système sans déroger à la qualité des programmes proposés. Et elle n’est pas la seule…
VAE et blocs de compétences
La loi dite « pour choisir son avenir professionnel » de 2018 ouvre en effet le champ des possibles. « Nous travaillons notamment sur le découpage de diplômes en blocs de compétences, principalement au niveau licence : assistante sociale, éducateur spécialisé, éducateur de jeunes enfants… », explique Anne-Myrtille Robion-Dubois, directrice générale adjointe à l’IRTS Parmentier. Concrètement, il s’agit de scinder le déroulé de ces cursus en un certain nombre de modules cohérents, pouvant être suivis l’un après l’autre et sur plusieurs années si nécessaire afin d’étaler la formation dans le temps. « La possibilité de nous appuyer sur l’expérience passée des candidats pour valider des compétences permettrait par ailleurs d’en réduire la durée » ajoute-t-elle. Une approche retenue également par l’APF France handicap. « Depuis deux ans, nous accompagnons des collaborateurs pour qu’ils accèdent à un premier niveau de diplôme ou se réorientent. C’est un moyen de faciliter leur insertion et leur employabilité mais aussi de prévenir les risques d’inaptitude », souligne Gregory Vlamynck, directeur du développement RH.
Cette logique de parcours peut en outre s’articuler avec le compte personnel de formation (CPF), un autre dispositif dont la philosophie a été modifiée par la réforme : désormais à la main du salarié, celui-ci peut sans prévenir son employeur suivre la formation de son choix hors temps de travail à condition qu’elle soit certifiante ou qualifiante et qu’elle ne dépasse pas le montant dont il dispose sur son compte. Il suffirait donc de rendre éligibles ces blocs de compétences pour orienter la cagnotte détenue par le collaborateur vers le suivi d’une formation qui ait du sens pour lui mais aussi pour son employeur.
Cap sur les certifications
C’est pourquoi les cogitations pour transformer ce droit individuel en dispositif gagnant-gagnant vont bon train : en échange de la mobilisation de son CPF, le salarié pourrait bénéficier d’un co-investissement de la part de son employeur qui prendrait à sa charge les modules restants pour obtenir le diplôme visé. « Cette politique de co-investissement est au centre des réflexions de nos adhérents, mentionne Valentin Dubourguier, responsable emploi-formation chez Nexem. Pour être efficace, une telle politique nécessite la mise en œuvre d’un dialogue avec les partenaires sociaux afin de conclure un accord d’entreprise permettant de structurer cette politique. Un tel accord peut mobiliser plusieurs leviers : que ce soit un abondement financier du CPF par l’employeur et/ou bien faciliter le déroulement de la formation sur le temps de travail, ce qui peut devenir un élément incitatif. »
Intéressante pour faciliter l’acquisition du diplôme nécessaire à l’entrée dans la profession ou pour changer de catégorie, cette logique de blocs de compétences en lien avec l’utilisation du CPF est également une opportunité pour réfléchir à l’évolution professionnelle des salariés non seulement verticale mais aussi horizontale. « Nous nous fixons comme objectif de poursuivre l’articulation en blocs de compétences des certifications que nous développerons paritairement. Dans le cadre de ces réflexions, nous souhaitons, quand cela est pertinent, travailler avec d’autres secteurs sur l’élaboration de certification commune, favorisant les passerelles entre secteurs », affirme Valentin Dubourguier. « Si tel était le cas, ce serait un moyen de créer des passerelles entre nos métiers », poursuit-il.
Mais le plus important débouché des certifications attendu à court terme concerne les salariés pour lesquels la marche du diplôme d’Etat est parfois trop haute. L’idée serait de permettre à chacun de suivre une formation débouchant sur une nouvelle compétence pointue qui serait reconnue par une certification ad hoc. A l’image du travail lancé par l’Unaforis (Union nationale des acteurs de la formation et de la recherche en intervention sociale) qui a créé quatre premières certifications de ce type dans des domaines variés tels que l’intervention auprès des personnes avec troubles du spectre de l’autisme, l’exercice d’une mission de référent de parcours santé sociale, l’accueil et l’accompagnement dans des espaces digitalisés, et l’engagement de dynamiques de projet avec les acteurs d’un territoire dans une optique de développement social(1).
Réflexions préalables
Tous les besoins n’étant pas nécessairement susceptibles de déboucher sur des certifications – France compétences veille au grain… – les opérateurs de compétences (Opco) du secteur proposent des formations collectives financées par les fonds mutualisés de la branche, particulièrement appréciées. D’autres dispositifs, issus de la réforme, représentent également des opportunités pour les employeurs, à l’image de l’Afest (action de formation en situation de travail). Sur le papier, c’est séduisant car quoi de plus opérationnel que d’apprendre sur le terrain ? « C’est notre chantier pour 2021, insiste Maryse Bastin. Mais ce n’est pas facile à mettre en place… Il faut, sur place, un tuteur qui soit capable de décortiquer les compétences acquises par le salarié. » Pas plus simple non plus le découpage des formations en blocs de compétences, la mobilisation du CPF ou de la validation des acquis de l’expérience (VAE).
Conséquence : la transformation engagée risque d’être longue. C’est pourquoi, avant de se jeter à l’eau, Louisa Tlilane, adjointe à la directrice du pôle « affaires sociales » de Nexem préconise aux acteurs d’être d’abord au clair sur leurs besoins à moyen terme en élaborant leur gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC). Quitte ensuite à les accompagner à l’aide des outils adaptés afin de transformer leurs axes stratégiques en plans de formation plus souples et plus individualisés désormais en leur possession. Une tâche pour laquelle les Opco sont aussi prêts à prêter main-forte, rappelant à tous les intéressés les enquêtes prospectives sur l’emploi qu’ils effectuent pour dégager les grandes problématiques du secteur. Bonne nouvelle : la prochaine va démarrer à la fin du premier semestre et sera renouvelée tous les deux ans…
L’alternance, la nouvelle frontière ?
Voulu par les pouvoirs publics, le développement de l’apprentissage et au-delà de l’alternance avec les contrats de professionnalisation intéresse aussi les acteurs du secteur. L’APF handicap l’a placé au centre de sa marque employeur. L’Institut régional de travail social (IRTS) Parmentier vient de créer son CFA qui sera lancé à la rentrée prochaine. Maryse Bastin, sa directrice générale adjointe, travaille pour sa part avec un groupement d’employeurs sur la possibilité de proposer un contrat pro à de futures recrues. « L’accord sur la formation et le développement des compétences dans le secteur sanitaire, social et médico-social privé à but non lucratif que nous avons signé au niveau de notre branche en septembre dernier va nous permettre d’appuyer cette dynamique », explique Valentin Dubourguier, de chez Nexem. Cette effervescence est d’autant plus remarquable que ces secteurs n’avaient aucune culture en matière de formation par apprentissage. « Certes, c’est un nouveau moyen d’attirer des candidats dans nos métiers mais ce n’est pas toujours efficace de former des jeunes qui ne les connaissent pas et qu’en plus nous n’avons pas pu sélectionner. Le taux d’abandon est élevé », reconnaît Maryse Bastin. « Nous devons aussi nous attaquer à la question du financement, car aujourd’hui les employeurs de notre branche ne peuvent pas bénéficier des aides de l’Etat s’ils n’atteignent pas le pourcentage d’apprentis requis pour être éligibles », s’inquiète toutefois Gregory Vlamynck d’APF France handicap.