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Axelle de Russé, photographe : “Des vies de solitude, de détresse totale”

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Pour son reportage « Dehors », Axelle de Russé a reçu le prix Pierre et Alexandra Boulat 2019 au festival Visa pour l’image de Perpignan.

Crédit photo DR
Pendant trois ans, la photographe Axelle de Russé a suivi le quotidien de cinq femmes sorties du centre de détention de Joux-la-Ville (Yonne). Baptisé « Dehors » et récompensé au festival international de photojournalisme Visa pour l’image de Perpignan en 2019, son projet illustre leur (très) difficile retour dans la société.

 

Comment avez-vous réussi à tisser une relation de confiance avec ces cinq femmes âgées de 20 ans à 56 ans ?

Nous nous sommes rencontrées à la prison de Joux-la-Ville lorsque je suis venue pour photographier les coulisses d’un tournage de fiction dont les comédiennes étaient les femmes détenues. Pendant quinze jours, j’y suis allée tous les jours de 8 heures à 17 heures. Entre chaque prise, nous nous sommes mises à échanger. Comme elles n’avaient aucun contact avec l’extérieur, nos discussions leur ont fait du bien et un climat de confiance s’est vite instauré. J’ai été touchée par leur situation, cela a été un coup de cœur mutuel. Je ne les ai pas vues comme des criminelles, mais comme des personnes effrayées par ce qui les attendait, par le fait de sortir de prison. Leur inquiétude première était de renouer avec leurs enfants, savoir si elles allaient être acceptées et comment elles allaient pouvoir récupérer ceux qui étaient placés. Nous sommes restées en contact et je leur ai dit de m’appeler à leur sortie. Ce sont clairement elles qui m’ont donné l’idée de ce projet photographique.

 

Une fois dehors, à quoi leur vie ressemble-t-elle ?

En commençant ce projet, je pensais parler de réinsertion, mais je me suis vite aperçue que le sujet était plutôt la non-réinsertion… Ce sont des vies de solitude et de détresse totale que j’ai pu observer. Il faut savoir que pendant leur détention ces femmes ont été marginalisées, exclues, aux niveaux géographique, social et familial. Il n’y a que cinq centres de détention pour femmes en France métropolitaine, elles se retrouvent de fait très loin de leurs familles et ont très peu de visites. Une fois dehors, leur quotidien relève avant tout de la survie. Elles doivent faire face seules à la réalité, s’inscrire à la caisse d’allocations familiales, trouver un emploi et un appartement. Pour le logement, il leur faut une caution, autrement dit des fonds qu’elles n’ont pas. Même si les problèmes rencontrés sont légèrement différents d’une situation de vie à une autre, les parcours de ces cinq femmes se ressemblent beaucoup. Très souvent, comme elles n’ont plus de liens familiaux et personne vers qui se tourner, elles recontactent leurs anciens réseaux, qui les ont sans doute amenées à faire de la prison.

 

Bénéficient-elles d’un suivi ?

Ces femmes ont eu des « sorties sèches » [sorties de prison sans aménagement de peine, ndlr]. Elles se sont retrouvées à repartir seules de zéro, sans accompagnement. Adeline, qui était enceinte et n’avait pas de logement, s’est tournée vers un foyer. Elle m’a dit que ça l’avait aidée dans son parcours à un moment donné. Elle considère cela comme une forme d’accompagnement, mais ce n’était pas quelque chose d’organisé, c’est elle qui en a fait la demande. Rahmouna, qui ne s’en sortait plus, est allée frapper à la porte d’un Spip [service pénitentiaire d’insertion et de probation]. On lui a alors répondu qu’on ne pouvait pas l’aider car elle avait purgé sa peine et était dispensée de tout suivi. Maintenant, elle voit une assistante sociale, mais il ne s’agit pas d’un accompagnement spécialement lié à sa sortie de prison.

 

Les femmes font-elles face à des difficultés spécifiques ?

Contrairement aux femmes, les hommes réussissent généralement à garder des liens familiaux. En détention, les femmes qui leur sont proches viennent les voir et le jour de leur sortie, les hommes sont attendus. Au parloir, je peux vous dire que cette différence est très marquée. D’autre part, les hommes sont orientés vers le marché du travail en prison, ils ont davantage d’aménagement de peine que les femmes et sont majoritairement bénéficiaires du régime de semi-liberté qui leur permet de travailler la journée et de dormir en prison. Les femmes, elles, sont orientées vers un foyer. Elles vont peut-être sortir plus tôt, en liberté conditionnelle, mais c’est pour s’occuper de leurs enfants, récupérer un enfant placé…

 

Pourquoi n’évoquez-vous pas les raisons de leur détention ?

C’est voulu et assumé. Nous en avions parlé au début du projet, elles préféraient que ce ne soit pas dit. Et moi non plus. Je ne souhaite pas qu’on les identifie à ce qu’elles ont fait. Tout l’objet de ce travail est justement de leur donner une chance de se réinsérer et qu’on ne les regarde pas comme des criminelles. Elles ont été jugées et effectué leur peine. Aujourd’hui, elles veulent vivre de façon anonyme sans avoir cette étiquette sur le visage. Avec ce projet, j’essaye de mettre en lumière l’importance de réhabiliter ces femmes, de leur donner une deuxième chance. C’est aussi une opportunité pour nous de ne pas les juger. Nous avons des préjugés sur la détention et j’aimerais que ce travail amène à poser un autre regard, vierge de tout jugement. Je voudrais aussi montrer qu’il s’agit de profils qui ne sont pas préparés à retourner dans la société. La prison infantilise, il y a des horaires pour se réveiller, sortir, se coucher… Tout est très cadré. Quand les détenues se retrouvent seules, sans aucune aide, le décalage est énorme. Je regrette l’impuissance des pouvoirs publics. Ces femmes sont des oubliées du système. Aucune mesure n’est prise spécifiquement pour elles, car elles sont à peine 3 000, soit 3,5 % de la population carcérale.

 

Vos photos sont toutes en noir et blanc. Que cela traduit-il ?

Au départ, cela traduisait la dichotomie entre le dedans et le dehors, car le projet incluait alors des photos prises à l’intérieur de la prison. Et puis ma démarche a évolué. Lorsque j’ai commencé à les suivre à leur sortie, j’ai remarqué qu’elles avaient des modes de vie très proches de ceux en incarcération. Elles restaient beaucoup chez elles, mettaient la télévision tout le temps pour avoir une présence. Les bruits de portes pouvaient les faire sursauter. C’était comme si la prison continuait après la sortie. Le noir et blanc est devenu un moyen de représenter ce confinement, cette continuité entre le dedans et le dehors. Par ailleurs, le noir et blanc s’inscrit dans la culture de la photographie humaniste à laquelle je m’identifie. Cela permet de ne pas se laisser corrompre par la couleur ou les détails et de se concentrer sur l’essentiel : leur visage, leurs émotions, leur humanité.

 

Prévoyez-vous de continuer à travailler avec ces femmes ?

J’aimerais les suivre au moins cinq ans, c’est la durée moyenne pour savoir la réinsertion est réussie. 65 % des détenus libérés après une sortie sèche retournent en prison dans les cinq années qui suivent leur sortie. Avec l’une des femmes que j’ai photographiée, nous aimerions travailler avec des associations pour que de futures expositions soient accompagnées de discussions autour de la réinsertion.

 

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