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Socio-esthétique : un outil précieux dans l’accompagnement des résidents

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La professionnelle prodigue ses soins aux résidents de la maison Yersin - Ici, Dominique Roger

Crédit photo Marta NASCIMENTO
A Paris, dans la maison pour personnes âgées Yersin gérée par Les Petits Frères des pauvres, les résidents ont la possibilité, dans le cadre de leur suivi individualisé, d’être reçues par Ariane Rose, socio-esthéticienne. Les soins qu’elle prodigue permettent de travailler des questions d’isolement, de confiance, d’estime de soi… et font de cette professionnelle un membre à part entière de l’équipe de l’établissement.

Bien campée devant la porte au bout du couloir, trois étages au-dessus de sa chambre, appuyée sur son déambulateur, Jeannine Macera attend. Et râle immédiatement à la vue d’Ariane Rose : « Vous êtes en retard ! » La professionnelle, qui était à l’heure, a cru bon d’aller chercher la bénéficiaire dans sa chambre. Mais celle-ci, comme l’écrasante majorité des usagers venus ce jour-là, est en fait arrivée en avance, seule. Socio-esthéticienne, Ariane aide Jeannine à s’installer dans le fauteuil de soins. Et lance la playlist préférée de celle à qui elle va prodiguer un soin esthétique. « Je suis aussi un peu DJ, s’amuse-t-elle. Et quand madame Macera vient ici, elle a aussi rendez-vous avec Charles… n’est-ce pas ? » « Oh oui, je suis fan ! », répond celle-ci, tandis que les premières mesures d’une chanson d’amour d’Aznavour se font entendre, très fort, pour passer outre les difficultés auditives de la vieille dame.

Jeannine Macera ignore depuis quand, précisément, elle vit dans cette résidence gérée par Les Petits Frères des pauvres. Elle peine aussi à indiquer son âge, précisant seulement être née en 1942 – charge à son interlocuteur de faire le calcul… En revanche, elle sait parfaitement venir régulièrement voir Ariane Rose, et apprécie la tranquillité. « Et puis les gens sont agréables ici. » Elle fait partie de ceux qu’Ariane a dû apprivoiser. Elle tient à être maquillée, parfumée. « De toute façon, y’a personne à draguer, ici », plaisante cette ex-Rouennaise qui, même lorsqu’elle fait une blague, ne sourit pas. Alors on imagine assez aisément de quelle main de maîtresse femme le restaurant qu’elle a possédé un temps.

 

Gagner la confiance

D’ailleurs, dans cette résidence, elle se lie avec très peu de personnes et la socio-esthétique peut aider à travailler sur cette question de l’isolement. Car la grande salle rectangulaire de réunion utilisée par Ariane Rose pour ses interventions au centre Yersin, aux portes sud de Paris, n’est pas un salon d’esthétique. En arrivant, elle a bien sûr tenté d’organiser l’espace « de façon harmonieuse », poussant une chaise ici, une autre là, baissant les stores, ouvrant les fenêtres et posant dans un coin sa valise de matériel. Mais, ici, le soin esthétique est un prétexte, une porte d’entrée pour communiquer avec les résidents et les aider à traiter des difficultés de tous ordres, physiques aussi bien que psychologiques. Tout en lui appliquant le masque, Ariane questionne Jeannine : « Ça va les bandes, vous les mettez bien tous les jours ? » « Oui, mais je ne sais pas à quoi elles servent. » « Et vos yeux, vous êtes allée voir un ophtalmo ? Cela fait longtemps qu’on en parle… » « Oui, j’ai des gouttes mais je peine à les mettre. »

« La socio-esthétique, c’est une attention personnalisée à chacun », commente la praticienne. « Elle vous connaît bien, ma main », sourit Martial Lucas, 82 ans, lorsque Ariane entreprend de lui couper les ongles, et qu’il lui abandonne cette main gauche si douloureuse depuis qu’un accident vasculaire cérébral l’a laissé hémiplégique. Elle a gagné sa confiance : « Au début, vous aviez peur que je vous fasse mal, vous vous rappelez ? » Oui, il se souvient. « Souvent, le soin des mains est le premier que l’on parvient à réaliser. » « Selon que vous vous êtes rongé ou non les ongles de la main gauche, je peux savoir si vous vous êtes énervée cette semaine, Madame Roger… » Agée de 63 ans, Dominique Roger a, de même, mis du temps à se laisser approcher et n’accepte d’être maquillée que depuis deux séances. « Les personnes sont souvent timides au début », justifie la socio-esthéticienne. Mais une fois que le lien est étali, il produit des résultats concrets. En matière d’estime de soi, par exemple : sitôt sortie de la salle et montée dans l’ascenseur, la peu loquace Dominique Roger s’admire dans la glace…

A l’inverse des activités de pur loisir, qui sont proposées par ailleurs aux résidents, la socio-esthétique compte parmi les modes d’accompagnement des personnes. « Nous pouvons faciliter le travail du reste de l’équipe, détaille Ariane Rose. Par exemple, nous allons employer des chemins détournés pour sensibiliser à l’hygiène. Dans des ateliers collectifs, je peux leur apprendre à fabriquer du savon. Cela prend du temps, mais on peut montrer que l’on se sent mieux avec les autres quand on est propre. » Pour lutter contre l’isolement, les socio-esthéticiennes travaillent le lien, la confiance, en soi comme en les autres. Tout un travail de maintien et de stimulation de l’autonomie peut aussi être effectué : ainsi Jeannine Macera a-t-elle elle-même appliqué son mascara. L’estime de soi compte parmi les priorités. « Il faut faire comprendre à la personne qu’elle a sa propre identité, résume Ariane Rose. Il convient de la faire avancer, en ayant conscience de son parcours et de ses difficultés. »

 

Un accompagnement global

Cet accompagnement global et au plus près des histoires et des besoins de chacun, voilà ce que cherchait à réaliser Ariane Rose, 49 ans aujourd’hui, lorsqu’elle a voulu se reconvertir. Auparavant cadre dans une banque, spécialisée en gestion du patrimoine, elle a suivi une formation de quinze mois au sein d’une école de socio-esthétique dont elle est sortie diplômée en 2015. Elle y a reçu des cours de pratique esthétique, mais aussi d’addictologie, de psychologie…

 

« Une partenaire, pas une activité »

A la voir aussi souriante et bienveillante avec les bénéficiaires, aucun doute n’est permis sur le fait qu’elle aime son nouveau métier, même si elle confie que travailler avec des personnes aussi fragilisées peut s’avérer compliqué. Lorsque, entre autres, il faut supporter des odeurs corporelles incommodantes, faute d’hygiène ou du fait d’une incontinence, ou encore choisir de recevoir tel bénéficiaire plutôt l’après-midi que le matin en raison de ses problèmes de dépendance à l’alcool. « Ce qui me plaît, c’est d’avoir affaire à différents publics, parce qu’il faut s’adapter. L’adaptation, c’est le maître-mot de la socio-esthétique : aux personnes, aux structures où l’on intervient, aux équipes qui nous accueillent… »

Chaque jeudi depuis trois ans, Ariane Rose prodigue ses soins à la maison Yersin. Elle y a trouvé sa place parmi les autres professionnels, présents quant à eux tous les jours. « On discute des personnes. Après chaque séance, je note dans un cahier comment cela s’est passé et, une fois par mois, je transmets des observations à l’équipe. Maintenant qu’il y a plus de demandes que de créneaux disponibles, nous choisissons ensemble les bénéficiaires parmi ceux qui paraissent prioritaires et en fonction du travail que le toucher va permettre de réaliser – par exemple, pour lutter contre une perte de confiance, des angoisses, un laisser-aller en matière de soin de soi ou l’isolement. Certaines personnes ne quittent leur appartement que pour venir me voir. » « Ariane, chez nous, c’est une partenaire, pas une activité, complète Roseline Voisset, cheffe de service. Quand je ne parviens pas à lever un frein ou une difficulté chez un résident, je lui demande d’intervenir. Cela accélère considérablement les choses. » Pour autant, Roseline Voisset sait que le temps compte parmi les ingrédients de la réussite de l’intégration d’une personne à la résidence : « Il ne suffit pas de remettre un trousseau de clés. Il faut donner du temps aux résidents, sinon ils n’adhéreront à rien et n’accepteront pas nos propositions. Ce sont des adultes qui, avant d’arriver ici, avaient leurs goûts, leurs habitudes. Le fait, par exemple, de disposer d’une douche à eux et de pouvoir en prendre une quand ils veulent représente pour beaucoup un sacré chamboulement ! »

Un autre bouleversement, mais pour Ariane cette fois, s’est fait jour lors de la crise sanitaire du Covid-19. « Je me suis posé beaucoup de questions pendant le confinement sur la façon dont j’allais pouvoir faire mon métier, tellement fondé sur le toucher… » Aujourd’hui, les activités reprennent, progressivement. A Yersin, les soins individuels ont précédé les ateliers collectifs, pas encore d’actualité en juin. Et la professionnelle intervient en blouse, masquée, mais sans gants. Entre chaque rendez-vous, elle désinfecte le siège, qui a été changé pour l’occasion afin de troquer le tissu contre une surface imperméable. Elle passe aussi les pinceaux et produits au virucide. Tout cela, bien souvent, sous l’œil du bénéficiaire suivant, à ce point impatient de recevoir le soin qu’il est arrivé en avance. « Peu d’entre eux se décommandent », observe Ariane Rose. Pourtant, la professionnelle étant rémunérée par la structure, les soins sont gratuits et donc finalement peu engageants pour les personnes.

Arrive le tour de Dominique Lesner, 69 ans, qui va clore la journée de travail d’Ariane Rose. En recevant un soin du visage sur fond de jazz, il est aux anges, et son sourire le dit autant que ses mots, quelque peu difficilement articulés : « C’est bon, ce que vous me faites, Rose ! » Il confond le nom et le prénom de la praticienne, elle ne relève pas. Elle l’écoute, surtout. Il précise : « Le plaisir de s’entretenir, ça fait du bien à la tête. » « Et cela permet de se reconnecter à soi-même ? », propose Ariane Rose. Il acquiesce. Comme les autres avant lui, au moment du massage, après gommage et masque, la parole s’éteint, les yeux se ferment, la bouche s’entrouvre, dans une position de détente absolue. Difficile pour lui, le soin terminé par son habituel « sent bon » – comme il aime à qualifier l’eau de toilette –, de reprendre ses esprits et de quitter la pièce, canne en main. « Il faut revenir sur terre, Monsieur Lesner… » Même si c’est pour terminer ce dessin, commencé juste avant de venir, de deux oiseaux qui piquent sur la mer et tentent d’attraper des poissons…


Un lien entre socio-esthéticiennes

Massivement féminine, la profession s’est dotée d’un organisme, la Fédération nationale de socio-esthétique (FNSE), pour faire connaître la pratique aux structures susceptibles d’y recourir, créer du lien entre les professionnels et leur apporter une reconnaissance. FNSE : 12, rue des Réservoirs – 78510 Triel-sur-Seine – Tél. 06 12 95 76 26 – www.facebook.com/fnse.fr.


Carte d’identité

Du nom de la place voisine, la maison pour personnes âgées Yersin, gérée par Les Petits Frères des pauvres, a ouvert ses portes dans le XIIIe arrondissement de Paris au printemps 2016. Elle héberge aujourd’hui 62 résidents, répartis en trois dispositifs d’accueil : une petite unité de vie, Ehpad à statut dérogatoire, où les soins à domicile sont réalisés par des prestataires extérieurs ; une pension de famille à destination de personnes de plus de 50 ans arrivées après avoir été signalées par des travailleurs sociaux (après avoir vécu à la rue, par exemple) ; et enfin, pour des personnes plus indépendantes, une résidence autonomie. « Nombre de nos résidents rencontrent des problèmes psychiatriques, indique Oriane Thomassin, la directrice. Nous travaillons étroitement avec la psychiatrie de secteur. » De façon plus large, l’état de santé des habitants (majoritairement des hommes) est dégradé par des parcours de vie chaotiques et par la précarité. L’âge moyen dans la petite unité de vie s’établit à 71 ans, contre plus de 80 ans dans les Ehpad classiques : la rue les a vieillis. A leurs côtés, œuvrent en permanence 18 professionnels : 9 auxiliaires de vie et aides-soignants, 2 cuisiniers, un intendant, une comptable, la directrice et son assistante de direction, un travailleur social, une animatrice et une chef de service.

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