Pour les employeurs de la branche associative, sanitaire, sociale et médico-sociale (Bass), le coup est rude. Dans un courrier qu’il leur a adressé hier, 29 février, à l’issue de la conférence salariale annuelle des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), l’exécutif leur a fait connaître son refus d’agréer la recommandation que la principale plateforme patronale du secteur, Axess (qui regroupe Nexem et la Fehap), lui avait soumis le 29 janvier dernier. Motif avancé par les équipes de Catherine Vautrin pour justifier ce refus : les propositions patronales en faveur d’une révision à la hausse de 1,3 % des bas salaires de la branche et la transposition dans le secteur associatif des mesures, applicables depuis le 1er janvier dernier dans la fonction publique, sur le travail de nuit, du dimanche ou les jours fériés, écartent de facto 20 % des salariés de la branche de leur bénéfice.
De nouvelles négos... dans un calendrier contraint
Au lieu de quoi le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités enjoint aux partenaires sociaux d'engager deux négociations, dans un timing serré. La première, qui doit être bouclée « avant la fin du mois de novembre 2024 » devrait aboutir, selon le gouvernement, à un « accord portant a minima sur les classifications, les rémunérations et les congés ». La seconde, dont les conclusions doivent tomber « avant la fin du mois de juin », devra porter sur la revalorisation des bas salaires de la branche, avec une attention toute particulière portée aux « oubliés de la prime Ségur ». Ces 92 400 salariés, relevant le plus souvent des fonctions supports des établissements, qui ont été exclus de l’augmentation générale de 183 € décidée en 2020.
« Chantage »
Mais, du côté des partenaires sociaux, la pilule ne passe pas. A la Fehap, on a sorti la calculette pour évaluer les conséquences de ce refus d’agrément. Pour un salarié gagnant 23 486 € annuels bruts, l’adjonction de la revalorisation salariale de 1,3 % et de la prime bas salaire se serait ainsi traduit par un gain brut de 632 € sur les six premiers mois de 2023 et de 1 265 € en 2024. Incompréhensible pour les employeurs qui cherchent à revaloriser leurs métiers pour susciter des vocations. Conséquence : « Les écarts entre la fonction publique et le secteur associatif vont se creuser. Pour preuve, on constate un écart d’environ 4 300 € annuels bruts entre une aide-soignante du secteur public et une aide-soignante qui dépend de la CCN 51 en début de carrière ».
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A la CGT, le refus d’agrément est surtout perçu comme une forme de « chantage » afin de pousser syndicats et organisations patronales à se remettre de force sur une négociation sur la convention collective unique étendue (CCUE) qui avait capoté l’an dernier. A l’époque, les syndicats majoritaires – CGT, FO et Sud – avaient bloqué sur la restriction de la négociation sur les seules questions salariales pour exiger, à la place, de balayer l’ensemble du spectre des thématiques d’une convention collective. « Une convention collective, ce n'est pas que les classifications et les rémunérations. Ce sont aussi les conditions de travail, l’égalité hommes-femmes, la protection sociale, la prévention, les complémentaires… Tous les sujets doivent être mis sur la table ! », explique Julie Massieu, de la CGT Santé-Sociaux. Et sans contraintes calendaires fixées par l’exécutif. « C’est un travail de longue haleine que de repenser une convention collective. Cela peut prendre des années s’il le faut et on refuse de s'y engager à marche forcée », rappelle la cégétiste.
« Aucune augmentation concrète »
L’injonction est d’autant plus pressante que le montant des enveloppes mises sur la table à l’occasion de la conférence salariale du 28 février n’est, selon les syndicats, pas à la hauteur des enjeux. 300 millions d’euros en faveur des bas salaires. 80 millions dédiés à la revalorisation des heures de travail de nuit – sur le modèle de la fonction publique mais sans les mesures spécifiques aux dimanches et jours fériés –, 100 millions d’aide versés par la CNSA aux conseils départementaux dans le cadre de l’avenant mobilité de la branche de l’aide à domicile (BAD) pour aider les salariés à se procurer un véhicule, 72 millions de GVT pour les branches BAD et Bass… Soit, sur ce dernier point, « à peine de quoi couvrir les évolutions salariales dues à l’ancienneté », soupire Pascal Corbex, de la Fnas-FO. Conséquences directes du coup de rabot annoncé la semaine dernière par Bercy dans son plan de 10 milliards d’économie ? A la DGCS (Direction générale de la cohésion sociale), on s’en défend, arguant que les enveloppes sont conformes aux prévisions du dernier PLFSS. Du côté des partenaires sociaux, en revanche, on veut y voir l’influence des récentes décisions de l’exécutif. « On ne nous a présenté aucune augmentation concrète dans un contexte marqué par la reprise de l’inflation. C’est dur de ne pas faire la corrélation avec des éléments d’économies budgétaires », confie Pascal Corbex.
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Les syndicats qui avaient déjà refusé la CCUE l’an passé restent sur leur position. A l'exception de la CFDT – favorable au principe d'une négociation – et de la CFE-CGC – qui garde le silence –, la CGT, FO et Sud, constitués en intersyndicale et rejointes par la CFTC (non-représentative dans le secteur), ont réitéré leurs exigences : extension de l’augmentation de 183 € à l’ensemble des salariés de la branche, retrait du décret n° 2024-124 par lequel le gouvernement programme cette année une économie sur son budget de 10 milliards d’euros, augmentation générale des salaires dans toutes les conventions collectives des branches du champ social et médico-social associatif et mise en place d’un grand plan d’urgence afin de permettre recrutements et meilleures conditions de travail. En face, le ministère campe sur son attitude marmoréenne. Faute d’une reprise rapide de la négociation, « chaque partie sera amenée à prendre ses responsabilités, s’agissant notamment de l’avenir des conventions collectives en vigueur », prévient-il.