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Insertion : « Un chez-soi d’abord » pour sortir de la rue

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Wilfried Kost, médiateur de santé, rend visite à Sonia, locataire.

Crédit photo Pascal Bastien
Inspiré du concept Housing First, « Un chez-soi d’abord » mise sur l’accès direct à un appartement pour réinsérer des personnes sans abri. Un pari réussi : implanté à Strasbourg fin 2019, le dispositif compte déjà 46 bénéficiaires dont la majorité souffrent de schizophrénie.

« Vous voulez des pains au chocolat ? S’il vous plaît, acceptez, ça me ferait tellement plaisir », s’enthousiasme Sonia. Après deux ans passés à la rue et un an et demi en hôpital psychiatrique, cette Strasbourgeoise s’est installée il y a quatre mois dans son appartement, avec le soutien du dispositif « Un chez-soi d’abord ». Ce matin, elle reçoit dans son intérieur rudimentaire mais propret ses deux invités du jour : Wilfried Kost et François Vincent, de l’équipe locale du dispositif, qui lui rendent une visite hebdomadaire.

Lancé à Strasbourg en novembre 2019, « Un chez-soi d’abord » accompagne déjà 46 anciens sans-abri avec troubles psychiatriques dans leur réinsertion. La majorité d’entre eux souffrent de schizophrénie, les autres de bipolarité et, dans de plus rares cas, d’autisme. A terme, une centaine devraient être intégrés. Hérité du concept nord-américain « Housing First », son pari consiste à miser sur l’accès au logement autonome comme porte d’entrée vers le rétablissement en santé mentale. Introduit en France il y a dix ans, le modèle essaime désormais sous l’impulsion de la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal). C’est ce concept qui a inspiré la politique actuelle du « Logement d’abord », l’insertion des précaires par l’accès direct au logement individuel sans passer par les structures d’hébergement collectif. L’Etat vise son implantation dans 16 villes d’ici 2022, pour atteindre 2 000 bénéficiaires.

A Strasbourg, « Un chez-soi d’abord » est porté par trois organismes constitués en groupement de coopération sociale et médico-sociale : l’association d’intermédiation locative Arsea-Gala, qui a la responsabilité morale et sous-loue les appartements aux locataires ; l’hôpital psychiatrique d’Erstein (Bas-Rhin) ; et le centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (Csapa) ALT. Les personnes accompagnées peuvent être orientées par les trois hôpitaux psychiatriques du secteur, par des structures d’accueil d’urgence ou par des Csapa. Leur admission est soumise à trois critères : relever du droit commun, avoir vécu à la rue plus de sept jours et souffrir d’une pathologie psychiatrique. Aucune autre condition, ni contrat d’entrée. « Nous faisons le pari que toute personne peut trouver des capacités à habiter, sans passer par les étapes de suivi social classique. C’est parfois une grosse claque d’observer des gens que j’ai croisés ailleurs dans mon parcours professionnel et dont je n’imaginais pas qu’ils pouvaient sortir de la rue », résume François Vincent, cadre coordinateur du dispositif.

Sonia a besoin d’aide pour déboucher son évier et sa baignoire. Les deux travailleurs sociaux ont acheté du Destop sur leur chemin. S’ils ne parviennent pas à résoudre le problème, ils avertiront leurs collègues gestionnaires locatifs pour qu’ils interviennent auprès du propriétaire. Eux sont surtout là pour accompagner la jeune femme dans son rétablissement. « Elle est déjà très autonome dans son suivi médical. Elle se donne les moyens et ses progrès sont flagrants », se félicite François Vincent. Désormais sortie d’une logique de survie, la locataire s’est d’abord occupée de ses multiples problèmes de santé. Elle ne manque aucun rendez-vous avec sa psychiatre et prend scrupuleusement ses médicaments. Partiellement paraplégique, elle vient enfin de s’équiper d’un fauteuil roulant. « Mes semelles orthopédiques seront bientôt prêtes », ajoute-t-elle. Sonia prévoit aussi un bilan neurologique pour établir ses capacités. Car son rêve serait de travailler dans la petite enfance. « Mais je ne suis pas sûre que mon physique suive », appréhende-t-elle.

« Vivre décemment avec sa maladie »

François Vincent lui propose de la mettre en lien avec une association d’aide à l’emploi des personnes handicapées. « Nous n’entendons pas nous substituer à ce qui existe déjà. Nous cherchons toujours à mobiliser des ressources extérieures. » Ce matin, Sonia se projette : aux beaux jours, elle ira pique-niquer avec une amie sur le bord du canal voisin. Elles donneront à manger aux canards.

Au total, le dispositif compte 16 professionnels. Parmi eux, des éducateurs, des infirmiers, des conseillers en économie sociale et familiale, un médecin psychiatre et des médiateurs de santé pairs, passés par un parcours de toxicomanie. Ils se partagent deux missions distinctes : l’accompagnement au rétablissement en santé mentale et la gestion locative. « En plus des visites rituelles, on garde évidemment une marge dans nos plannings pour répondre aux besoins urgents », stipule François Vincent. La répartition des visites à domicile s’organise au jour le jour. Les locataires n’ont pas de référent. « Cela permet d’éviter qu’ils soient captifs du regard d’un seul intervenant », défend-il. Sur le terrain, les membres de l’équipe ne se présentent pas aux locataires avec leur qualification. Les rôles sont indifférenciés, sauf en cas de besoins spécifiques. Ils s’efforcent aussi d’être authentiques : « Il n’y a pas de refuge possible derrière une distance professionnelle. On entre dans l’intimité des personnes, il faut un minimum de réciprocité. »

« A chaque déplacement, on sait qui on va voir, mais jamais ce qui va se passer », témoigne Wilfried Kost, ancien toxicomane devenu médiateur en santé pair. En plus de leurs troubles psychiatriques, la majorité des locataires souffrent d’addictions sévères. Sorti d’affaire quant à lui en 2018, il a été repéré par son Csapa pour participer à l’aventure. « Je n’avais qu’une seule envie : apporter de l’espoir à ces personnes, confie-t-il. Les voir rebondir, c’est génial. Elles me reconnaissent. On a des mots qu’on ne trouve pas autrement, une approche plus directe. » Mais dans sa voiture, en route pour le siège du dispositif, François Vincent prévient : « La visite chez Sonia est une visite bonheur. Ce n’est pas toujours comme ça. Parfois, la situation psychique des personnes ne leur permet pas d’avancer. Dans ces moments, nous nous sentons impuissants. »

La veille, deux accompagnants ont trouvé Fabien complètement déprimé. Alors, ils l’ont emmené en ballade sur les hauteurs arborées du mont Sainte-Odile, à trois quarts d’heure au sud-ouest de Strasbourg. Deux autres ont indiqué à Georges les associations caritatives où se nourrir. Chez Serge, d’autres ont joué aux échecs. Ils lui ont suggéré de rejoindre un club. Mais le locataire hésite. Il ne souhaite pas jouer en tournoi. La nuit dernière, les deux professionnels d’astreinte ont répondu à l’appel d’Anour, qui rencontre en ce moment des « anges » une fois le soleil couché. Pour autant, ils notent qu’il vient d’ouvrir de lui-même un compte en banque. « Le rétablissement en santé mentale n’est pas la guérison. C’est le fait de pouvoir vivre décemment avec sa maladie. Entendre des voix n’empêche pas d’habiter un logement, de payer des factures et de mener une vie malgré tout agréable », explique Johan Seichepine, infirmier.

Le principe du dispositif est de réhabiliter les personnes dans leurs propres capacités d’agir. A elles de définir les critères d’une vie satisfaisante. Pour les soutenir, l’équipe dispose de plusieurs outils. Dans les locaux de l’organisme, les rêves de chacun sont inscrits au tableau de la vaste salle de réunion : avoir un chien, partir en mission humanitaire en Asie, s’acheter un camion… Les aspirations sont variées. « Elles offrent un fil rouge qui donne de l’air par rapport aux problématiques plus terre à terre, note François Vincent. Ce sont des projets qui tiennent les gens et leur permettent même de réaliser des économies. En empruntant un chemin, on peut en trouver un autre. » Locataires et professionnels établissent également un plan de crise conjoint pour déterminer les éléments annonciateurs d’une crise et identifier ensemble les ressources que la personne pourra alors mobiliser. « C’est le locataire qui donne des indications à l’équipe pour qu’elle sache comment réagir au mieux. »

Prime d’installation

Cet après-midi, Aurélia doit visiter un appartement. Il y a un mois, l’ami chez qui elle logeait l’a mise à la porte. Puis le SIAO (service intégré de l’accueil et de l’orientation) l’a installé à l’hôtel en attendant qu’« Un chez-soi d’abord » lui trouve le logement promis. C’est son Csapa qui l’a orientée vers le dispositif. Aurélia est à bout. Ce matin, la pression est montée. En pleine crise d’angoisse, elle a appelé l’équipe, ne sachant plus si elle devait maintenir la visite. Benoît Brun a alors repris sa casquette de psychiatre pour la recevoir. La priorité de la jeune femme est de pouvoir rester avec son chien, dans un lieu calme.

Sur place, Emilie Gervais et Gaël Bruneau l’attendent. Ces éducateurs spécialisés sont gestionnaires locatifs. Ils s’occupent de tout ce qui a trait au logement des bénéficiaires, de la captation d’appartements aux soucis techniques, en passant par les relations avec l’assurance ou encore par la demande d’aide personnalisée au logement (APL). Emilie Gervais et Gaël Bruneau ne participent aux visites à domicile que lorsque celles-ci ont pour objet ces questions. Parfois, il leur revient aussi d’effectuer une médiation entre les locataires et leur voisins, pour trouver un juste équilibre entre éducation à la discrétion et plaidoyer pour la différence.

Les deux éducateurs présentent à Aurélia un studio en rez-de-chaussée. La fenêtre donne sur une pelouse. L’appartement est minuscule, mais complètement rénové. « Cela n’arrive pas souvent », prévient Emilie Gervais. Aurélia imagine déjà son chien accéder à l’extérieur. Très concentrée, elle photographie tous les recoins de la pièce avec son téléphone. Au loyer de 440 € s’ajouteraient 65 € de charges. Pour la jeune femme qui vit du RSA (revenu de solidarité active), la part résiduelle serait de 100 €. En théorie, les locataires participent au paiement de leur loyer à hauteur du tiers de leurs ressources. Dans la majorité des cas, l’allocation aux adultes handicapés (AAH) le permet. Mais pour ceux qui ne perçoivent que les subsides de la caisse d’allocations familiales, « Un chez-soi d’abord » apporte le complément. Les éducateurs indiquent à Aurélia qu’ils pourront lui montrer un autre logement la semaine prochaine. Mais Aurélia est pressée. « On y va ! », annonce-t-elle fermement. Déjà, la future locataire se propulse. Pour s’équiper comme elle l’entend, le dispositif va lui octroyer une prime d’installation de 1 000 € et l’aider à transporter ses meubles. En cette période de crise sanitaire, la fermeture de la célèbre enseigne scandinave tombe mal. Mais Aurélia s’en moque, elle achètera ses meubles sur Internet. « Je suis soulagée », lâche-t-elle avec confiance.

Trouver des appartements corrects s’avère fastidieux. Pour l’heure, la grande majorité des propriétaires qui acceptent de jouer le jeu sont privés. « Cela en inquiète beaucoup, souligne Gaël Bruneau. Là, on commence à rentrer des meublés parce qu’ils n’arrivent plus à les louer en Airbnb à cause de la crise sanitaire. Mais pendant des mois, ça a été très compliqué. » En moyenne, une fois admis dans le dispositif, les locataires accèdent à un logement en huit semaines. En attendant, la structure peut au besoin les mettre à l’abri dans un hôtel.

« Nous ne prétendons pas être l’unique modèle, prévient François Vincent. Quand leur tentative d’autonomie ne les satisfait pas, nous pouvons toujours réorienter les personnes vers des structures d’hébergement collectif à leur demande. Dans tous les cas, ce test est au moins une étape de plus sur leur chemin. »

En dix ans d’existence sur le plan national, « Un chez-soi d’abord » a toutefois démontré ses bienfaits : 80 % des locataires habitent toujours leur logement deux ans après leur installation. Les incarcérations et les séjours en hôpital sont drastiquement diminués. Avec une moyenne de 14 000 € par an et par locataire, le suivi dans le logement coûte aux caisses publiques deux fois moins qu’une prise en charge en centre d’hébergement et de réinsertion sociale ou que des hospitalisations répétées. Et les locataires peuvent rester aussi longtemps qu’ils le souhaitent.

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