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Accès à l’eau dans les bidonvilles et les squats : ce qui change en 2023

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TRIBUNE - Environ 80 % des bidonvilles et squats n’ont aucun accès à l’eau sur site, privant leurs occupants d’un droit humain fondamental. Une directive européenne, transposée en droit français en décembre 2022, impose aux Etats membres d’améliorer l’accès à l’eau des personnes vulnérables et marginalisées. La juriste Elise Duloutre revient sur cette avancée législative.

« Saluée par les organisations de la société civile engagées sur le droit à l’eau, la directive européenne « Eau potable » révisée en décembre 2020(1) a finalement été transposée en droit français. Une ordonnance et un décret publiés en décembre 2022 reconnaissent désormais l’existence de personnes vulnérables et marginalisées vivant sans accès à l’eau sur leur lieu de vie(2). Aujourd’hui en France, la précarité en eau concerne principalement les personnes vivant dans des squats, des bidonvilles, des tentes ou à la rue. En mars 2023, environ 80 % des bidonvilles et squats n’ont aucun accès à l’eau sur site. Les 330 000 personnes sans domicile et les 100 000 personnes vivant dans des habitats de fortune ne disposent donc pas, pour la plupart, d’un raccordement à l’eau potable, contrairement au reste de la population française. Le droit à l’eau constitue un droit humain fondamental pour l’Organisation des Nations unies depuis 2010(3) mais n’est que très peu retranscrit au niveau national. Pourtant, avoir accès à de l’eau potable est intrinsèquement lié à de nombreux droits fondamentaux : le droit de vivre dans un environnement sain, le droit à la dignité, à une vie privée et familiale ou encore les droits de l’enfant.

L’eau, un besoin essentiel

L’eau se trouve à la base des besoins humains, ne serait-ce que pour boire. Elle est également indispensable pour une multitude d’usages du quotidien : cuisiner, faire la vaisselle, prendre une douche, se laver les mains, assurer la propreté de son domicile ou encore laver ses vêtements.

A la rue, dans les squats, les bidonvilles et les campements, les personnes font face à de nombreuses barrières d’accès à cette ressource. Les hommes, les femmes et les enfants vivant dans ces habitats précaires sont contraints de recourir à des solutions d’approvisionnement alternatives : puisage à des fontaines publiques, robinets de cimetières ou de stades, ouverture de bornes incendie, achat de bouteilles d’eau, utilisation de l’eau de rivières, canaux ou flaques.

Ces situations constituent un enjeu majeur de santé, du fait de l’utilisation fréquente d’eau non potable ou contaminée par des agents pathogènes présents lors du puisage, du transport ou du stockage de l’eau dans des contenants sales et non protégés. En outre, l’impossibilité de mettre en œuvre des mesures minimales d’hygiène augmente les risques de contracter et de propager une maladie. Par ailleurs, ces solutions présentent des risques pour la sécurité physique (trajets dangereux pour aller chercher de l’eau) et juridique (poursuites pénales pour ouverture de points d’eau incendie et vol de fluide, risques de harcèlement policier) des personnes concernées.

L’eau pour toutes et tous

Pendant des années, des associations ont demandé aux collectivités territoriales la mise en place de points d’eau dans les squats et les bidonvilles. Elles se sont pourtant vu opposer des refus quasi systématiques de la part des pouvoirs publics, arguant tour à tour de difficultés techniques, de la menace d’“appel d’air” ou encore du risque de pérennisation des sites d’habitats précaires.

Alors que les espoirs étaient au point mort, la pandémie de Covid-19 a fait bouger les lignes. Les restrictions sanitaires ont mis en évidence les barrières d’accès subies par les habitants de squats et bidonvilles. De nombreux points d’eau sont devenus inaccessibles et aller chercher de l’eau à plus d’un kilomètre de son lieu de vie est devenu impossible. C’est dans ce contexte que l’ONG Solidarités International a développé ses activités en France, en partenariat avec les associations locales et nationales travaillant déjà avec ces publics. Depuis mars 2020, l’ONG a raccordé, grâce à l’engagement de certaines collectivités locales ainsi que de leurs régies ou délégataires, une centaine de sites d’habitats précaires en France métropolitaine via des installations de dessertes hors sol et des points d’eau collectifs. Ces actions directes sur les sites ont notamment permis de démontrer aux acteurs publics la faisabilité technique, le coût peu élevé et la simplicité d’installer de telles infrastructures.

La directive européenne « Eau potable » révisée a marqué un tournant dans la reconnaissance du droit à l’eau. L’article 16 impose aux Etats membres de prendre des mesures pour améliorer l’accès à l’eau des groupes vulnérables et marginalisés. Cet article a été transposé en droit français via l’ordonnance et le décret de fin 2022 précités. On assiste à la première reconnaissance en droit de l’existence en France de personnes non raccordées à l’eau. Alors que jusqu’ici il n’existait aucune norme permettant de définir un “accès suffisant à l’eau”, les textes fixent une quantité minimale d’eau nécessaire par jour et par personne pour couvrir les besoins essentiels (entre 50 et 100 litres). A titre de comparaison, la consommation journalière moyenne d’un Français s’élève aujourd’hui à 146 litres. Les textes viennent également répondre à l’absence de définition de responsabilité concernant l’accès à l’eau de ces publics. La présence d’un point d’eau sur un squat ou un bidonville était jusqu’ici laissée au libre arbitre des collectivités, la plupart du temps très réfractaires et répressives à l’égard des habitants de ces lieux. Ainsi, l’ordonnance vient étendre les responsabilités des communes et de leurs établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), les enjoignant de réaliser un diagnostic pour objectiver la précarité en eau via le recensement et l’identification des personnes ayant des difficultés d’accès. Les collectivités locales pourront ensuite opter pour différentes solutions, telles que le raccordement à l’eau des lieux de vie, la mise à disposition de rampes d’eau ou encore l’installation de fontaines publiques(4).

Améliorer les conditions de vie et les trajectoires

La fourniture d’un accès à l’eau sur les sites d’habitat précaire constitue un élément clé de l’amélioration des conditions de vie et de la salubrité sur ces lieux de vie(5). Pouvoir se laver, nettoyer ses vêtements et ses chaussures participe au sentiment de dignité des personnes et favorise leur insertion sociale et professionnelle. En témoignent les discours de nombreux parents vivant en squat et bidonville, qui racontent leur sentiment de honte d’envoyer leurs enfants à l’école avec des vêtements sales et sans qu’ils n’aient pu se laver. Couplé à un accompagnement social, l’accès à l’eau permet aux personnes de se projeter au-delà de leurs besoins immédiats et joue ainsi un rôle clé en matière d’assiduité scolaire, d’insertion professionnelle, etc. La possibilité d’avoir accès, sans restriction sur son lieu de vie, à de l’eau potable en quantité suffisante fait donc partie intégrante de la politique publique de résorption, en ce qu’elle maximise la possibilité pour les personnes concernées d’entrevoir une stratégie de sortie du bidonville.

Une effectivité à accompagner

S’il faut se réjouir de ces avancées législatives et règlementaires, ces textes comportent des limites. Parmi elles, on peut citer leurs délais d’application. Les communes et leurs EPCI ont jusqu’en 2025 pour réaliser le diagnostic et jusqu’en 2028 pour mettre en œuvre des mesures. Cette temporalité est en inadéquation totale avec la réalité des besoins perçus et remontés par les associations. Le besoin en eau n’attend pas.

Le combat n’est donc pas gagné. Il appartient aux collectivités compétentes, mais aussi aux acteurs de terrain, de se saisir de ces nouvelles dispositions. Comme pour le travail social ou la médiation scolaire, qui ont progressé ces dernières années, l’application de ces nouveaux textes passera par les personnes concernées et les associations de terrain. Loin de se reposer après cette victoire, les associations ont un rôle essentiel à jouer pour continuer à faire remonter les situations de terrain et encourager l’information des personnes concernées, afin qu’elles puissent se saisir de ces nouveaux droits. »

Notes

(1) Directive du Parlement européen et du Conseil n° 2020/2184/UE du 16 décembre 2020.

(2) Ordonnance n° 2022-1611 du 22 décembre 2022 ; décret n° 2022-1721, 29 décembre 2022.

(3) Résolution ONU n° 64/292 28 juillet 2010, disponible sur un.org.

(4) Décret n° 2022-1721, 29 décembre 2022, relatif à l’amélioration des conditions d’accès de tous à l’eau destinée à la consommation humaine, art. 2 (CGCT, art. R. 2225-5-5 nouv.).

(5) La mise en place de mesures d’hygiène et d’un accès à l’eau fait partie des actions permettant la sécurisation des conditions de vie mentionnées dans la circulaire du 25 janvier 2018 « visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles ».

Pour aller plus loin : debat.ash@info6tm.com

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