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Jeunes en grande exclusion : le Spot, pour forger des envies d’avenir

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"Le métal ne doit pas chauffer au-delà de 1 000°C", prévient Rhésus Choteau, l'animateur forgeron du centre socio-culturel

Crédit photo Pascal Bastien
Renouer le dialogue et redonner des perspectives aux décrocheurs du système scolaire ainsi qu’aux jeunes sans emploi et inconnus des travailleurs sociaux. Tel est l’objectif du Spot, un dispositif ambulant qui les invite à s’initier à la forge. Et plus si affinités.

Devant l’entrée des terrains enneigés de foot et de basket du City Stade de Thann (Haut-Rhin), Résus Choteau, animateur du centre socio-culturel de cette commune de 8 000 habitants, a, comme chaque semaine, garé son camion, Le Spot, et sorti sa forge ambulante. « Dans le foyer de chauffe, le métal ne doit pas dépasser 1 000 °C », prévient l’artisan reconverti devant les quelques jeunes venus à sa rencontre en ce froid après-midi d’hiver. « Au-delà, il fondrait », leur explique-t-il consciencieusement, en sortant une épaisse tige rougie qui doit devenir un couteau à fromage.

Capter l’attention

Le Spot, fruit d’un partenariat avec le centre socio-culturel de Thann, est la première concrétisation du projet de « plateforme d’accroche des invisibles » de la mission locale de Thur Doller, qui couvre 46 communes des vallées rurales de la Thur et de la Doller, à l’ouest de Mulhouse. Au pied d’une tour de cité ou au bord d’un skatepark, Résus Choteau et son camion prennent leurs quartiers trois fois par semaine dans des lieux stratégiques de la couronne sud de la ville. En battant méticuleusement l’enclume, l’animateur y assure le spectacle pour petits et grands et tente de capter l’attention de jeunes en mal d’insertion. Une entrée par l’artisanat pour délier les langues, prévenir le décrochage scolaire des uns et faire raccrocher les autres à un stage ou à un accompagnement.

« Ne descends pas plus bas que la table ! Profite du rebond de l’enclume », encourage Résus Choteau à l’adresse du premier volontaire du jour, Noé Archambault, 25 ans, venu en atelier découverte avec la mission locale pour s’essayer au travail manuel. « C’est assez intuitif et, en même temps, je n’y serais pas arrivé sans l’expérience de Résus », commente-t-il avec satisfaction. Noé Archambault se prépare justement pour un stage en ferronnerie d’art. « C’est un bon point de départ », apprécie le jeune homme à la fibre artistique, qui a déjà mûri sa réflexion : « L’artisanat en général, et peut-être à terme pour moi la chaudronnerie, me semble une bonne façon de lier un métier stable et intéressant, de rattacher des compétences artistiques à une part de réalisme. »

« Beaucoup de jeunes sont découragés face au discours selon lequel il faut faire de grandes études, analyse l’intervenant social, qui a vécu du métier de forgeron pendant des années. Ils perdent énormément de temps alors qu’on peut s’épanouir assez vite dans l’artisanat et devenir très bons très tôt. » Pour lui, la mission est taillée sur mesure. « Faire ce qui m’anime, le faire bien et pouvoir le transmettre : la boucle est bouclée », se satisfait Résus Choteau, qui défend la valeur du travail comme celle de la « rigueur volontaire ». « Des jeunes vont venir sur ma forge pour cogner sur l’enclume. D’autres, pour repartir avec un objet fini », accepte l’animateur, qui propose également de la couture sur cuir. Instrument après instrument, Résus Choteau interroge son assistance. « Vous savez comment ça s’appelle ? », demande-t-il en tendant la tenaille. « Et ça ? Un billot. » Comme son propre formateur avant lui, un vieil artisan aux méthodes ancestrales, il entend prendre ses protégés au sérieux. « Certains pourraient bien devenir nos patrons plus tard », est-il convaincu.

Public d’« invisibles »

« Je vois des jeunes qui ont perdu confiance en eux. Ils savent qu’il faut qu’ils bossent mais n’ont pas d’idées, observe l’animateur. J’ai l’impression que leurs rêves ont été tués dans l’œuf. Alors ils préfèrent aller sur les réseaux sociaux en se racontant qu’ils vont devenir des influenceurs. Ils ne se posent même pas la question du futur, ni sur le plan professionnel, ni sur le plan personnel. Ils vivent au jour le jour et ne commencent à s’interroger que quand ils n’arrivent pas à consommer comme les copains. Alors, dans mes discussions avec eux, je renverse la question et leur demande : “Qu’est-ce que tu ne veux pas faire ?” »

A Thann comme dans tout le Pays Thur Doller, pas de centre d’information et d’orientation pour les jeunes en questionnement. Les plus proches sont à 25 km, à Guebwiller et à Mulhouse. Les établissements secondaires de Thann et alentour accueillent nombre d’élèves en difficulté scolaire, parfois arrivés de Mulhouse par défaut car leurs vœux initiaux d’orientation ont été écartés. De jeunes adultes précaires suivis par des structures sociales en ville atterrissent aussi dans cette périphérie rurale pourvoyeuse d’hébergements accessibles. Tout un public d’« invisibles » que la mission locale cherche à approcher en faisant le pari de l’« aller vers ». « Ces jeunes n’étant pas rattachés aux communes du secteur, les chiffres manquent pour mesurer les réels besoins du territoire en matière d’accompagnement », explique Sam Petitdemange, directeur de la mission locale de Thur Doller. « L’objectif premier du Spot, c’est la relation qui se noue avec Résus, explique-t-il. Le jeune observe, revient. D’où l’importance d’une permanence régulière. On est à mi-chemin entre le parrainage et le travail d’éducateur. C’est d’abord le partage d’une expérience de vie. » Ce que l’intéressé résume ainsi : « Je veux leur montrer qu’on peut les aider à retrouver l’envie et à ne rien lâcher, même si c’est lent et qu’il y a des murs. »

Mettre en confiance

De sa rencontre avec Résus Choteau, Maheva, 16 ans, a gardé le souci de se tenir au plus près de ses outils quand elle plâtre des murs, qu’elle en refait les peintures ou qu’elle y dessine des motifs. « Il m’a donné l’envie et la confiance de travailler avec mes mains », le remercie la jeune fille, aujourd’hui en première année de CAP « peinture en bâtiment ». « Il explique les choses et nous laisse apprendre de nos erreurs jusqu’à ce qu’on ait les bons gestes. » Scolarisée l’an passé en Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté) au collège de Thann, l’adolescente n’avait trouvé d’intérêt à aucune des activités proposées dans les ateliers de son cursus. L’année filait sans grandes perspectives. Pour elle, Le Spot a d’abord été un lieu de décompression. « Je m’arrêtais un peu après les cours », se souvient-elle. Le goût de la peinture se dessine dans les discussions. Jusqu’à ce que, pressée de trouver un stage pour amorcer une suite à sa scolarité, elle sollicite ouvertement le forgeron. L’artisan active son réseau pour trouver un peintre en bâtiment prêt à accueillir la collégienne. « Il ne s’est pas contenté de me donner un numéro, appuie-t-elle. Avant d’appeler, on a fait des exercices de respiration ensemble pour éviter que je panique. » Après plusieurs stages, la jeune fille va pouvoir poursuivre son CAP en apprentissage à la rentrée prochaine.

La mission locale avait perdu de vue Logan. Deux ans plus tard, le passage régulier de la forge de Résus Choteau en bas des tours de sa cité l’a raccroché à l’emploi. A 23 ans, le jeune homme exerce depuis six mois comme agent d’entretien d’espaces verts, employé en CDD d’insertion par une association locale. Après une orientation vers un bac professionnel filière « systèmes électroniques et numériques », qui ne correspondait en rien à ses vœux, le jeune homme n’avait pas réussi à rebondir à l’issue de son engagement dans le dispositif « garantie jeunes », aujourd’hui remplacé par le contrat d’engagement jeune. Mais, pour lui, il n’était plus question de retourner frapper à la porte de la mission locale. « Je m’y sentais oppressé », confie-t-il en repensant aux cours en groupe, assis dans une salle, et aux rendez-vous individuels avec son conseiller dans un bureau. « Je ne comprenais pas tout, mais je n’osais pas le dire. Ça me faisait beaucoup penser à l’école, où j’allais la boule au ventre. » Logan a saisi la perche que lui a tendue Résus Choteau. Son soutien sans pression ni engagement a su le mettre en confiance. « Je savais que je pouvais venir lui parler librement, sans y être obligé », résume-t-il.

Au rythme de la personne

De semaine en semaine, un projet se dégage. Entre deux coups de marteau sur l’enclume, le jeune homme présente à Résus un CV propre. Leurs discussions dégagent finalement deux pistes : l’animation et les espaces verts. « J’étais un peu perdu dans ce que je voulais faire. Je pensais que je n’y arriverais jamais, se remémore Logan. En parlant avec Résus, j’ai identifié que j’aimais m’occuper des gens, rendre service et être en contact avec la nature. Il m’a encouragé à me concentrer sur un métier précis plutôt que de chercher dans tous les sens, puis à cibler les entreprises, à compléter mon CV avec les compétences adaptées et à rédiger des lettres de motivation. » Le jeune homme salue le forgeron : « Je me sentais moins seul dans ma démarche. S’il ne m’avait pas aidé, j’aurais vraiment galéré, je n’aurais pas eu suffisamment confiance en moi, rien que pour le français. » Avant de conclure : « Il m’a dit que j’allais prendre de l’expérience et qu’il ne faut jamais laisser tomber. »

« La priorité de cette démarche d’“aller vers” est de faire comprendre à ces jeunes que la qualification est indispensable et qu’il n’y a pas forcément besoin d’être assis à l’école pour y arriver », explique Sam Petitdemange. Une fois par semaine, Jean-Christophe Bourgalle, conseiller d’insertion de la mission locale, accompagne Résus Choteau dans son étape au City Stade de Thann. Une présence attentive, sans rien brusquer, pour laisser la possibilité aux intéressés de s’engager un peu plus dans leur réflexion. Le cas échéant, rendez-vous peut être pris dans les locaux de son service ou bien ailleurs, là où le jeune se sentira à l’aise. « Il s’agit d’aller au rythme de la personne, puis de relativiser ses échecs passés et de la déculpabiliser par rapport à ses envies personnelles, qui ne correspondent pas forcément à ce qui a été attendu d’elle », défend Jean-Christophe Bourgalle.

Depuis les débuts du Spot en septembre 2020, ralentis par les soubresauts de la crise du Covid, une centaine de jeunes Neet(1) de 16 à 25 ans ont été approchés par le dispositif sur ses trois points d’arrêt dans la communauté de communes de Thann-Cernay. Au-delà, Le Spot fait halte dans toutes les grandes manifestations du secteur. En attendant de nouer des partenariats avec des institutions comme Pôle emploi ou l’Education nationale, la mission locale de Thur Doller continue de développer ses maraudes. Un nouveau camion devrait bientôt arpenter les abords de la commune de Saint-Amarin, en partenariat avec une association. Cette fois, ce sont les métiers de la culture qui seront mis à l’honneur pour éveiller les vocations. Des entreprises commencent aussi à se manifester auprès de la mission locale dans l’idée de présenter leurs métiers par le biais de ce dispositif mobile.

Notes

(1) Not in Education, Employment or Training (« ni en études, ni en emploi, ni en formation »).

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