Un bloc de mousse verte en main, Aude Couturier y plante délicatement des tiges de fleurs et de feuilles séchées. Autour d’une grande table de cuisine, trois femmes reproduisent minutieusement son geste. Le thème de l’atelier du jour : la confection de bouquets sous globe à partir de végétaux sauvés de la poubelle. « Nous avons un partenariat avec un crématorium. Avec les fleurs que les gens ont laissées, nous réalisons des compositions pour la décoration de restaurants de la ville ou pour la vente dans notre bar à fleurs », détaille l’éducatrice spécialisée, l’une des deux fondatrices de La Brocante verte. Pionnière, cette association créée à Nantes en février 2021, relève un double défi : donner une seconde chance tant aux plantes qu’aux personnes en grande exclusion, en combinant réemploi de végétaux et atelier d’insertion. « En France, la ressourcerie végétale germe un peu partout, mais aucune ne propose en parallèle d’accompagner des personnes éloignées de l’emploi. Or, c’est d’abord cette mission qui nous a guidées », développe sa complice, Solène Mahé, rencontrée à l’école sociale.
Le temps de se former aux rudiments du jardinage et d’obtenir le conventionnement « atelier et chantier d’insertion » (ACI) de l’Etat, les deux trentenaires accueillent leur première promotion en septembre 2022. Au total, cinq salariés issus de la rue ou sans domicile fixe. Parmi eux, sont privilégiées les personnes en situation d’addiction ayant entamé des soins. L’association s’inspire du dispositif parisien « Premières heures », qui permet une reprise en douceur d’une activité professionnelle. « Le salarié démarre avec six heures hebdomadaires. Chaque mois, si tout va bien, on ajoute trois heures jusqu’à atteindre 20 heures par semaine. C’est idéal pour les personnes très éloignées de l’emploi ou celles qui ont beaucoup de rendez-vous par ailleurs », justifie Solène Mahé. D’une durée de six mois à un an, l’accompagnement se veut global. Aussi, à l’exception du logement qui reste la compétence de l’assistante sociale référente, les deux éducatrices y consacrent-elles une partie importante de leur temps, en parallèle de l’activité de revalorisation. « Ici, c’est le travail qui s’adapte aux bénéficiaires et non l’inverse. Un rendez-vous manqué ? On décale à la semaine suivante. On sait bien que la sortie de rue est complexe. Autant faire preuve de flexibilité », soutient Aude Couturier.
Cercle vertueux
Dès son ouverture, La Brocante verte fait mouche. L’activité anti-gaspillage végétal attire et ne déçoit pas. « Mettre les mains dans la terre m’apaise. C’est pour moi un super moyen de me reconnecter avec le vivant et de ne penser à rien d’autre », confirme Paul, l’un des salariés, un grand sourire aux lèvres. Sous la serre et sur le parking extérieur qui jouxte le tiers-lieu abritant l’association, des plantes par centaine. Certaines ont besoin d’un coup de sécateur, d’autres d’un rempotage ou ont simplement soif… Seuls quelques rares spécimens finissent à la benne. Car une fois passées entre les mains des apprentis jardiniers, elles sont vendues à bas prix dans la boutique accessible au grand public. Un cercle vertueux qui a de quoi plaire aux jardineries, pépinières, supermarchés ou fleuristes, en quête de solutions pour traiter leurs déchets végétaux. « On leur fait gagner un temps précieux. Sans compter que cela leur donne une belle image auprès du public », se félicite Solène Mahé. Dans ce réseau d’une vingtaine de partenaires, l’intervenante sociale compte trouver de futurs alliés pour placer ses protégés en stage. « C’est un secteur à fort besoin en main-d’œuvre mais encore peu coutumier de l’insertion, informe la jeune femme. A nous de les accompagner pour la rendre possible et, qui sait, permettre à au moins un de nos salariés de décrocher un emploi. »