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Accompagnant-biographe : un nouveau métier pour laisser une trace de vie

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Accompagnant-biographe

Extrait du documentaire "A la mort, à la vie" de Thibaut Sève qui dresse le portrait de Christelle Cuinet, accompagnant-biographe auprès de public en fin de vie

Crédit photo Bellota Films
L’écriture comme outil de transmission, tel est le leitmotiv de Traces de Vies. Depuis 2021, cette association jurassienne forme au métier – pas encore reconnu – d’accompagnant-biographe, dont le but est de recueillir l’histoire d’une personne gravement malade ou en fin de vie afin que ses proches aient un souvenir d’elle après son décès.

Votre vie mérite-t-elle un livre ? Que reste-t-il à l’heure du bilan ? Etes-vous prêt à raconter votre histoire ? Ces questions, Christelle Cuinet les pose régulièrement depuis près de quinze ans. Pionnière en son genre, elle exerce le métier de biographe de fin de vie. Elle enregistre la parole de personnes, enfants comme adultes, proches de la mort pour en faire un livre qui sera ensuite offert à leurs proches. Au sein des services de soins palliatifs ou au domicile des patients, elle permet à ces personnes de se raconter, de laisser un témoignage de leur passage, une marque. Son histoire, elle aussi l’a racontée dans « A la mort, à la vie », un documentaire de Thibaut Sève diffusé en 2019, qui a rencontré un franc succès. Depuis, les demandes de biographie explosent. Mais, exerçant seule en Bourgogne-Franche-Comté, elle ne peut répondre à toutes. C’est pourquoi elle a décidé de lancer, par le biais de son association Traces de Vies, la formation « Accompagner une personne malade ou en fin de vie dans l’écriture de sa biographie ».

« J’y pensais depuis des années, mais la sortie du film a accéléré les choses, confie-t-elle. Avec près de deux demandes par jour, je ne pouvais plus être seule sur le terrain. J’ai donc imaginé cet enseignement comme une sorte de transfert de savoir-faire. » En 2020, Traces de Vies et le cabinet Formaction Partenaires (spécialisé dans le développement des compétences managériales, pédagogiques et soignantes) s’associent pour déployer cette formation qui se veut certifiante. Avec pour double ambition la reconnaissance de ce métier émergent et l’évolution des pratiques. Dispensée à Dole (Jura) pour la première fois en janvier 2021, au sein du centre hospitalier Saint-Ylie Jura, elle est composée de sept modules qui vont de l’accompagnement de l’enfant et de l’adulte en soins palliatifs à l’écoute et la transcription d’un enregistrement, la restitution d’un entretien et l’apprentissage de certaines techniques de communication (mener un entretien, apprendre à écouter, gérer les silences…).

Au total, les apprentis biographes suivent 94 heures d’apports théoriques, réparties sur plusieurs sessions de deux ou trois jours entre janvier et juin. Coût : 2 000 €, entièrement à la charge de la personne. « L’idée n’est pas de les former en deux mois et de les envoyer directement sur le terrain, explique Christelle Cuinet. Les modules sont assez lourds, notamment celui des soins palliatifs en pédiatrie. Ces coupures permettent à chacun de réfléchir au métier, d’en analyser les ressorts. » Selon Christelle Pigeard, membre de la promotion 2021 et désormais accompagnante-biographe à Nantes et à La Baule, en Loire-Atlantique, cette formation « ne sert pas à guérir ses blessures. D’où l’importance pour l’association de sélectionner des personnes équilibrées, stables, qui possèdent un vrai recul sur leur vécu ». En plus d’un CV et d’une lettre de motivation, les candidats doivent avoir une expérience significative de l’accompagnement, de l’aide ou du soin mais aussi certaines prédispositions à l’écriture, à la relation et à la communication (écoute, empathie…). Mais il n’y a pas de profil-type. Au contraire, les postulants proviennent d’horizons différents : bibliothécaire, assistante sociale, médecin, sophrologue, psychiatre, professeure des écoles, conteuse en hôpital, patiente ressource…

Beaucoup de candidats, peu d’élus

Sur une centaine de candidatures, seulement huit sont retenues. Après deux sessions, douze personnes – des femmes exclusivement – ont été diplômées ; quatre n’ont pas terminé la première session, notamment en raison de la crise sanitaire. L’enseignement est essentiellement dispensé par des professionnels de santé : des médecins, une infirmière coordinatrice en équipe mobile de soins palliatifs, des psychologues, un infirmier en psychiatrie, une pédiatre en soins palliatifs… « Mon cours n’est pas universitaire. Je ne m’appuie pas sur des slides ou des PowerPoint. Je suis une professionnelle qui partage son expérience. Je m’adapte au profil de chacun. C’est une intervention vivante, un travail d’équipe », assure Maud Dal Molin, infirmière au sein de l’équipe mobile de soins palliatifs des Hospices civils de Beaune (Côte-d’Or), et formatrice pour Traces de Vies. « Je ne suis pas là pour les noter, poursuit-elle. Le but est de leur faire comprendre, en dédramatisant au maximum, l’essence même des soins palliatifs, de leur enseigner comment intervenir auprès des patients avec beaucoup d’humilité et de respect. L’état de santé des personnes dont ils retracent l’histoire peut évoluer défavorablement du jour au lendemain. Nous les préparons à cet ajustement permanent. »

Une grande partie du cursus consiste à aider les futurs biographes à accompagner la fin de vie, appréhender le deuil, faire face à la mort. Et s’il s’agit de les sensibiliser à la biographie, l’apprentissage de styles d’écriture n’est pas forcément utile. « On nous explique ce qui se joue au cours d’un entretien, comment appréhender les silences, réaliser la première interview, avoir la juste distance avec la personne. Il faut lui laisser la place de transmettre ce qu’elle veut », détaille Eléonore Kurtovic-Boyer, accompagnante-biographe à Besançon (Doubs), formée par l’association.

« Il n’y a pas de recette magique, de techniques toutes faites, poursuit Christelle Pigeard. Souvent, le plus important n’est pas tant ce que la personne dit que la manière dont elle l’exprime. L’émotion, le souffle permettent de travailler la ponctuation, de trouver les mots justes et de faire en sorte que le texte final soit vraiment le sien et non une interprétation. Nous devons nous effacer derrière la personne. En ce sens, chaque accompagnement est unique. » Ainsi, la vie d’une même personne peut faire l’objet de vingt livres totalement dissemblables en fonction de la manière dont l’entretien est mené et les propos retranscrits. « Ce n’est pas si simple, prévient Christelle Cuinet, qui a déjà rédigé plus de 150 biographies. C’est sur cette partie que les élèves sont le plus en difficulté. Ils ont tendance à vouloir trop bien faire, trop bien écrire ou à garder un discours oral qui ne sera pas plaisant à lire. » Le travail terminé, le biographe imprime dix exemplaires du livre qu’il remet gratuitement à la famille et aux proches de la personne.

Un travail thérapeutique

Pratique oblige, les élèves s’entraînent à leur première biographie au cours de leur cursus. « L’idée n’est pas d’écrire un beau texte. Un livre est réussi quand les proches reconnaissent immédiatement la personne qui en est l’héroïne à travers ses traits de caractère ou ses expressions », souligne Eléonore Kurtovic-Boyer. A l’issue de la formation, pendant deux jours, les élèves passent un examen au cours duquel ils seront évalués sur la qualité de leur premier ouvrage mais aussi sur la manière dont ils mènent leurs entretiens. Face à eux, un comédien joue une personne en fin de vie. Devant un jury, les apprentis biographes doivent démontrer qu’ils arrivent à instaurer une relation de confiance, à libérer la parole de la personne. « Ce n’est pas un interrogatoire, pointe Eléonore Kurtovic-Boyer. Nos questions doivent permettre d’approfondir certains détails en veillant à ne pas être trop intrusif. » La formation au métier de biographe de fin de vie, dont la troisième session débute en janvier 2023, n’est pas encore reconnue par l’Etat mais l’association espère qu’elle le sera d’ici 2024. « Le métier en tant que tel n’existe pas encore. Mais en formant huit personnes par an, nous avons bon espoir d’arriver à nos fins. Nous ne sommes pas des bénévoles mais bien des professionnels », soutient Christelle Cuinet qui envisage une collaboration régulière avec les résidents en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). « Parfois, les personnes ont besoin de se raconter, de nous confier des moments importants de leur existence, qui elles ont été, quels ont été leurs combats, leurs victoires, leurs joies, leurs tristesses, leurs regrets… détaille Maud Dal Molin. En ce sens, le livre s’avère thérapeutique. C’est un soin complémentaire. »

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