« Outre le besoin flagrant de reconnaissance d’un secteur encore peu lisible auprès de la population, il reste difficile, pour la plupart des professionnels de l’action sociale, de nommer leurs compétences et d’en parler. S’il leur est aisé d’évoquer entre eux leurs missions et les moyens qu’ils se donnent pour y parvenir, définir plus clairement leurs compétences et leurs spécificités apparaît comme un exercice complexe – comme si leurs actions allaient de soi et pouvaient se passer d’explications précises. Par ailleurs, les exigences inhérentes à ce métier ne permettent pas toujours, aujourd’hui, de prendre le temps d’avoir une posture réflexive sur ces compétences et la façon dont les professionnels mettent en œuvre leurs pratiques et les élaborent.
Or comment valoriser et faciliter la reconnaissance d’une profession si ceux qui l’exercent ne sont pas en mesure d’expliciter leurs savoir-faire et leurs qualifications ? Ainsi, pour valoriser les compétences des travailleurs sociaux en milieu ouvert, il est essentiel avant tout de prendre le temps de formuler, décrire, exprimer et énoncer ces compétences.
Nous assistons aujourd’hui à d’importants bouleversements dans le monde associatif. Les professionnels du milieu ouvert en protection de l’enfance, qui interviennent dans les familles, peuvent se sentir délaissés ou malmenés par des politiques publiques où les coûts semblent avoir plus d’importance que l’action de terrain censée soutenir les bénéficiaires. Mais les enjeux qui conduisent à rationaliser toujours plus le travail social ne doivent pas faire oublier les spécificités de leurs interventions et les valeurs que ces professionnels souhaitent défendre. A l’heure de la libéralisation du travail social, de l’expansion de l’évaluation et où les dépenses publiques sont de plus en plus conditionnées, prendre le temps de s’interroger sur leurs pratiques éducatives, leurs savoir-faire et leurs “savoir être” semble constituer un préalable nécessaire à la poursuite de leurs actions, et ce, dans l’intérêt des publics qu’ils accompagnent.
En 2019, Adrien Taquet, alors secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance, commande une démarche de consensus ayant vocation à rassembler l’ensemble des connaissances relatives à la protection des enfants à domicile. Il s’agit de disposer d’une lisibilité des pratiques qui spécifient les différentes interventions : action éducative en milieu ouvert (AEMO), action éducative à domicile (AED) – existant en version “renforcée” –, accompagnement en économie sociale et familiale (AESF), mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial (MJAGBF), mais aussi technicien de l’intervention sociale et familiale (TISF), placement séquentiel et “placement à domicile”.
Une revue des recherches engagées à compter des années 1980 montre que les travaux sont peu nombreux, anciens et consacrés principalement à l’AEMO. Il en ressort que la tradition française d’intervention reste en majorité inspirée par des modèles de type psychothérapeutique : chaque intervention apparaît totalement singulière (le fameux “ça dépend” des travailleurs sociaux) et sans méthode objectivable, ce qui contribue fortement à l’indicibilité des pratiques professionnelles. L’un des défis qui émerge pour les travailleurs sociaux – dès lors qu’ils désireraient dire quelque chose de leur travail autrement qu’à travers des indicateurs d’activité – est de parvenir à objectiver, d’une manière ou d’une autre, leurs pratiques. Ceci nécessite de faire un retour sur soi pour sortir des objectifs assignés et rendre compte de son action en tant qu’auteur. Vaste programme qui, a fortiori dans le contexte actuel, ne peut s’envisager sans le soutien déterminé des associations.
Dans l’esprit de donner une impulsion, une rencontre est initiée ce mois-ci par le groupe régional Bourgogne Franche-Comté du Cnaemo (Carrefour national de l’action éducative en milieu ouvert)(1). Constituée de professionnels qui interviennent dans différents services d’AEMO de la région, elle a pour but de permettre les échanges entre professionnels de terrain et de conduire différents travaux en lien avec les enjeux inhérents à l’intervention éducative en milieu ouvert en protection de l’enfance. Dans le cadre de ses travaux, le groupe régional a souhaité initier une action qui permette aux professionnels, modestement, de faire un pas de côté et d’initier une réflexion sur ce qui se joue dans la relation éducative, en prenant comme porte d’entrée les compétences mobilisées dans ce travail d’accompagnement auprès des familles.
L’objectif principal de cette journée est de réfléchir à des réponses et à des solutions pour faciliter la reconnaissance, capitaliser et apporter des témoignages, en y intégrant les spécificités du milieu ouvert. Une table ronde intégrant des professionnels et des bénéficiaires d’un accompagnement éducatif permettra d’engager une réflexion sur les compétences mobilisées par les professionnels dans le cadre de leur action. La création d’ateliers dynamiques dans la deuxième partie de la journée, avec l’objectif de favoriser les échanges entre les professionnels de terrain, accompagnera la mise en évidence de ces compétences, et ce, dans trois domaines : l’identité professionnelle, l’accompagnement éducatif et le contexte d’intervention des travailleurs sociaux. Les professionnels souhaitent, par cet événement, faciliter le travail introspectif sur ce qui fonde le métier de travailleur social en milieu ouvert et sur les compétences mobilisées, dans un souci de reconnaissance qui fait aujourd’hui défaut à la profession.
Il s’agira, en outre, d’accorder une place importante à la capitalisation des informations recueillies au cours de la journée, dans l’optique de rendre concret le travail engagé dès l’issue des travaux, grâce à un support visuel. Il apparaît également important de faciliter cette capitalisation en la partageant dans les différentes structures pour permettre sa diffusion.
Ce travail ne prétend pas bouleverser et résoudre la problématique de la visibilité de l’accompagnement éducatif en milieu ouvert. Il constitue une tentative des acteurs de terrain de se mettre en mouvement, d’être force de proposition et de tenter de produire plus de lisibilité. Cette démarche est d’autant plus importante, alors même que la dénonciation des écueils prend plus de place que la reconnaissance des professionnels qui travaillent en protection de l’enfance et contribuent, dans un contexte peu favorable, à la bonne évolution des enfants accompagnés, en lien avec leur famille. »
(1) « Travailleurs sociaux du milieu ouvert : et si on parlait de nos compétences ? » – Journée d’étude organisée à Dijon le 22 novembre 2022 par le Cnaemo, en partenariat avec l’Irtess de Bourgogne.
Pour aller plus loin :