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Mineurs non accompagnés : comment mieux maîtriser le volet juridique

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Crédit photo Alain Le Bot / Photononstop via AFP
De plus en plus nombreux sur le territoire, les mineurs non accompagnés (MNA) requièrent une prise en charge spécifique. Point névralgique de leur accompagnement : la régularisation administrative qui conditionne la suite de leur parcours d’insertion en France. Pour aider les travailleurs sociaux du département de Paris à mieux appréhender ces enjeux, la plateforme René Cassin, portée par Apprentis d’Auteuil, mise sur une permanence téléphonique et différents modules de formation. Consolidation de l’état civil, régularisation du droit au séjour, procédure du droit d’asile, démarches de la vie quotidienne… Autant de mises à jour essentielles pour les professionnels, estime Mariam Sy, cheffe de service de la plateforme, alors que le cadre légal évolue rapidement et que les politiques migratoires se durcissent.

Actualités sociales hebdomadaires : Quelles sont les problématiques que rencontrent les professionnels dans l’accompagnement juridique des MNA ?

Mariam Sy : Beaucoup méconnaissent la procédure de demande d’asile. En début de formation, nous nous sommes aperçus que les travailleurs sociaux partaient avec de nombreuses représentations : une telle demande ne pouvait être réalisée qu’à la majorité ; elle devait être déposée dans les 30 ou 90 jours après l’entrée sur le territoire, à défaut, la démarche n’était plus possible, ou encore, elle ne concernait que les jeunes venus de pays en guerre ; par conséquent un Guinéen ne pouvait pas prétendre à ce type d’accès au séjour. D’autres questionnements portent sur l’état civil. Pour obtenir la régularisation du jeune, il faut arriver à récupérer des documents d’identité. Une première étape souvent bloquante, car il peut s’avérer difficile d’obtenir des réponses auprès des ambassades et des consulats en France.

Lors de la création de la plateforme, en 2019, nous avons remarqué que certaines obligations de quitter le territoire français (OQTF) étaient liées à des dossiers mal montés. Il est arrivé que des éducateurs insèrent dans la note sociale des arguments permettant aux préfectures de refuser le titre de séjour. Il est par exemple nécessaire de prouver que le jeune a davantage de liens en France que dans son pays d’origine, et il est arrivé que le professionnel indique : « Le jeune est en relation avec sa famille, ils s’envoient régulièrement des messages. Ses proches lui manquent. » Demander un mauvais titre de séjour est aussi un motif de refus.

Aujourd’hui, nous sommes par ailleurs de plus en plus sollicités sur la vulnérabilité du jeune. Je pense que c’est lié à la montée en compétences des professionnels avec qui nous sommes en lien depuis trois ans. Ils portent désormais un regard plus expérimenté sur ces problématiques et sont amenés à se questionner sur des sujets qu’ils n’auraient pas identifiés auparavant. Ce constat est par ailleurs conjoncturel, puisque de plus en plus de jeunes arrivent marqués sur le territoire.

De quelle manière formez-vous les intervenants sociaux sur la vulnérabilité ?

Tous les jeunes MNA et les jeunes pris en charge par l’aide sociale à l’enfance [ASE] sont vulnérables, mais le type de public dont je parle vit avec de multiples problématiques renforçant leur fragilité. Il peut s’agir d’addictions, de jeunes filles victimes de traite des êtres humains, d’enfants arrivés très jeunes et dont une personne de leur famille est décédée en mer et qui se retrouvent MNA par la force des choses… Ces multiples facteurs d’aggravation de leur situation peuvent rendre la régularisation d’autant plus compliquée. Par exemple, en cas d’hospitalisation et de parcours de soins importants, cela est nécessairement synonyme de déscolarisation. Or, pour obtenir un titre de séjour, les mineurs non accompagnés doivent être en formation.

Aujourd’hui, comment les travailleurs sociaux sont-ils formés à la régularisation administrative des MNA ?

Le volet MNA n’est pas toujours abordé dans les formations et lorsqu’il l’est, ce n’est quasiment jamais sous l’angle juridique. Il n’y a pas assez de modules consacrés à ces sujets, alors que de plus en plus de ces jeunes sont présents en France. Tous ces aspects juridiques sont également en continuelle évolution. Même formé à l’école, les règles changent : les documents constitutifs du dossier ne sont plus les mêmes, les titres de séjour à demander pour telle ou telle situation non plus…

La loi est par ailleurs appliquée différemment en fonction des départements. Les textes sont les mêmes, mais les possibilités d’interprétation sont multiples et changent d’un territoire à l’autre. L’éducateur ayant eu une formation très générale ne saura pas comment la loi est appliquée à Paris ou dans le 92. Par exemple, pour l’obtention des titres de séjour « travailleur temporaire », la loi indique que le jeune doit être en « formation professionnelle qualifiante ». Certains départements estiment que cela représente un CAP, peu importe lequel du moment qu’il prépare à un métier, même si c’est en formation initiale, donc sans apprentissage. A Paris, pour la préfecture, cette notion implique obligatoirement d’être en apprentissage. Les jeunes qui ne le sont pas n’ont pas la possibilité d’obtenir ce titre.

Cela explique que votre formation se limite à Paris…

L’idée était de développer une expertise sur le terrain parisien pour pouvoir accompagner les éducateurs spécifiquement sur les pratiques locales. C’est également l’une des raisons pour lesquelles je suis parallèlement cheffe de service au sein du dispositif « Oscar Romero », qui accueille 39 mineurs et jeunes majeurs non accompagnés. Notre plateforme peut ainsi savoir ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas. Dans le même sens, la permanence téléphonique que nous tenons sert à obtenir rapidement des remontées de terrain afin d’enrichir les formations.

Ces dernières années, comment le travail des professionnels en lien avec les MNA a-t-il évolué ?

A Paris, le département délivre beaucoup de contrats jeunes majeurs, que ce soit pour les jeunes Français ou pour les jeunes étrangers. C’est une chance, car cela nous permet de travailler sur le long terme avec le public. Cependant, nous observons un durcissement de la politique migratoire, spécifiquement à Paris au niveau des préfectures. De plus en plus d’obligations de quitter le territoire français sont délivrées. Ainsi, récemment, un jeune en a reçu une : il avait tellement bien réussi en France qu’on a estimé qu’il pouvait parvenir à travailler au Mali. Ce jeune avait été scolarisé, obtenu son diplôme et trouvé un employeur. Il avait un profil idéal. Cette décision est inhabituelle, normalement les obligations de quitter le territoire sont délivrées à des jeunes qui ne sont pas suffisamment insérés. Tout cela nous amène à repenser nos discours et nos formations pour sécuriser au maximum les situations. Il s’agit par exemple de garder les traces écrites des demandes effectuées, d’envoyer davantage de courriers avec accusé de réception indiquant que les délais ont été respectés, de se procurer de plus en plus de lettres de soutien…

Les remontées de terrain font apparaître la crainte de privilégier la procédure administrative par rapport au travail éducatif. Comment cet aspect juridique peut-il enrichir la pratique ?

Je comprends ce point de vue, ma propre équipe à Oscar Romero m’en fait d’ailleurs souvent part. L’argument que je leur oppose est que le travail autour des démarches administratives représente aussi un travail éducatif. Le jeune aura besoin de renouveler son titre de séjour potentiellement toute sa vie. Peut-être qu’à terme il demandera la nationalité française, il faudra alors qu’il ait connaissance des enjeux, de ce que la préfecture attend de lui… Tout ce travail relève aussi du volet éducatif. Il appartient aux professionnels d’accompagner les jeunes dans la stabilité de leur parcours en France et cela ne peut être réalisé que s’ils obtiennent un titre de séjour. Finalement, tout est conditionné à cette obtention. Je leur réponds également qu’il est important de ne pas rester seul dans cet accompagnement et de s’appuyer sur des ressources extérieures.

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