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Loi Egalim : mieux manger agit sur l’ensemble des pratiques

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Crédit photo Thierry ZOCCOLAN / AFP
Votée en octobre 2018, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi « Egalim », est entrée en application le 1er janvier 2022. A cette date, tous les établissements disposant d’une restauration collective (crèches, Ehpad, foyers de vie, maisons d’accueil spécialisées…) sont tenus de proposer des menus composés à 50 % de produits de « qualité durable », dont au moins 20 % sont issus de l’agriculture bio­logique. Une obligation règlementaire contraignante pour les directions comme l’explique Audrey Guillard, directrice adjointe des Résidences de l’Aune, qui regroupe trois Ehpad dans la Sarthe. Elle plaide pour une réflexion globale et l’implication de tous, professionnels et résidents.

Actualités sociales hebdomadaires - Comment avez-vous mis en place la loi Egalim dans vos établissements ?

Audrey Guillard : Nous ne partons pas de zéro. Nous avions déjà entamé la démarche depuis quelques années. Par exemple, nous n’achetons plus que de la viande française et faisons en sorte d’avoir un maximum de produits régionaux. Avant même la loi « Egalim », le conseil départemental de la Sarthe avait lancé, en 2018, une expérimentation auprès de sept Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes]. La finalité était d’améliorer l’approvisionnement local, de favoriser le bien-manger et les circuits courts de ces structures. Chaque établissement a dû établir un diagnostic puis un plan d’action pour atteindre ses objectifs. Dans le cadre de ce projet, au-delà de l’alimentation bio et locale, nous avions aussi organisé des semaines de lutte contre le gaspillage alimentaire. Nous avions donc déjà une base solide. Avec l’entrée en vigueur de la loi, nous avons accéléré le processus. Nous nous sommes de nouveau interrogés sur nos pratiques. Comment améliorer les choses ? Quelles priorités établir ?… Pour répondre à toutes ces questions, nous avons lancé un groupe de travail propre aux Résidences de l’Aune.

En quoi consiste-t-il concrètement ?

Nous organisons deux réunions par mois avec les cuisiniers des trois établissements, la diététicienne et la direction. Nous avons, entre autres, élaboré une série des fiches-recettes et proposons davantage de menus végétariens. Nous avons aussi réfléchi sur les denrées bio à acheter, sur le développement de pâtisseries maison… Il est nécessaire de procéder par étapes. Nous considérons cette année comme transitoire, elle fait office de test. Il est impossible d’atteindre l’objectif de 50 % de produits bio, de qualité et durables en un an. D’autant que ce qui est considéré comme bio n’est pas toujours très « écolo ». Les produits peuvent être surgelés et/ou venir de l’étranger. Le but est de complètement améliorer notre prestation « repas ». La lutte contre le gaspillage alimentaire est également un objectif à tenir. Toutes ces considérations ont été menées en même temps car la réflexion doit être globale. La loi « Egalim » n’impacte pas seulement la cuisine et les repas, elle a des conséquences sur l’ensemble de la prise en charge des pratiques professionnelles.

Dans quelle mesure ?

Le projet est d’ampleur et dépasse la simple collaboration en cuisine. Nous avons repensé la présentation des menus, leur affichage au sein des établissements. Surtout, nous avons revu intégralement notre budget « alimentation ». Il y a en effet toute une liste de nouveaux critères à prendre en compte pour « entrer dans les clous » de cette nouvelle réglementation. Selon nos estimations, une augmentation de 6 % de notre budget est à prévoir. Mais celles-ci sont tronquées en raison de la hausse des prix depuis le début de la guerre en Ukraine. Pour autant, au-delà de cette année particulière, nous allons nécessairement devoir rogner certains budgets pour compenser la hausse liée à l’application de cette loi. Car, de toute manière, manger bio et local coûteplus cher. Or, à l’heure actuelle, ni l’Etat ni les collectivités locales n’ont annoncé prendre en charge ces surcoûts.

Quelle est votre organisation au quotidien ?

Chaque structure a sa propre cuisine, ses propres professionnels et ses propres menus. Tout est fait maison. Chaque établissement est autonome dans ses pratiques même si nous essayons de mutualiser les achats. Auparavant, un prestataire externe gérait toutes nos commandes. Désormais, ce sont les cuisiniers qui s’en chargent directement, en lien avec chaque prestataire. Ils choisissent eux-mêmes les produits dont ils ont besoin et se sentent par là même plus impliqués dans la démarche de l’établissement. Si chaque équipe est libre de ses choix, nous sommes tout de même soumis au marché public et à quelques contraintes. Ne pas grouper les commandes permet aux cuisiniers d’être totalement autonomes. Ils agissent en fonction de leurs envies. Avec ce mode de fonctionnement, nous avons observé qu’ils parent plus facilement et rapidement aux imprévus de dernière minute. Ces derniers mois, nos cuisiniers ont été confrontés à des problématiques de pénurie : régulièrement, la veille pour le lendemain, les fournisseurs nous appellent pour nous prévenir qu’ils n’ont plus de tel ou tel produit. Le responsable de cuisine peut donc réagir et s’adapter, sans avoir à contacter l’administration pour demander une autorisation.

Ces changements ont-ils exigé des formations particulières ?

Les professionnels doivent faire preuve d’un peu plus d’attention, mais aucune formation spécifique n’est nécessaire. Nous avons toutefois pris le temps de rappeler les bonnes pratiques en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire. Tous n’ont pas la même sensibilité écologique mais il est primordial que les professionnels soient au cœur de la réflexion. Sans eux, on ne peut pas respecter les objectifs. Des petites actions du quotidien ont aussi évolué. Certains résidents ont des problèmes de déglutition et ne boivent que de l’eau pétillante. Au lieu d’acheter des grandes bouteilles qui ne seront pas terminées dans la journée, et dont le gaz va s’échapper, nous sommes passés aux petites bouteilles individuelles. De plus, alors que le pain est le premier poste de gaspillage, désormais nous ne proposons plus que deux tranches par repas et par résident. Evidemment, si certains en veulent plus, nous leur en donnons. En agissant ainsi, nous réduisons les pertes. Et s’il en reste à la fin de la journée, il est conservé pour être proposé grillé au petit-déjeuner du lendemain.

Quelle est la place des résidents dans cette démarche ?

Nous les mobilisons en les consultant à chaque élaboration des menus. Chaque fin de semaine, nous organisons des « cafés-parlotte » au cours desquels les résidents donnent leur avis. Leurs retours sont très positifs. Ils sont très en demande et réclament parfois des recettes d’antan, que nous, nouvelle génération, ne connaissons pas forcément. Un bon moyen de mettre au défi les cuisiniers… Nous les impliquons également dans la lutte contre le gaspillage, la fin du plastique… L’effort commun, cependant, nous ne les contraignons pas. Nous proposons aussi des menus de substitution pour respecter les goûts de chacun. Il est nécessaire de trouver le juste milieu entre la collectivité et l’individualisation.

Des sanctions sont-elles envisagées en cas de non-application de la loi ?

Je n’imagine pas des sanctions lors des premières années. L’Etat veut surtout que les établissements entament la démarche. Les sanctionner immédiatement n’aurait pas de sens. Surtout au regard de l’année bien particulière que nous vivons. Fin 2022, je ne suis pas certaine qu’un seul établissement ait réussi à respecter les seuils fixés depuis le 1er janvier.

Le secteur inquiet des conséquences budgétaires

La mise en œuvre de la loi « Egalim » entraîne une hausse des dépenses alimentaires pour les établissements médico-sociaux. « Les prix des produits issus de l’agriculture biologique ou labélisés sont en moyenne 20 % à 30 % plus chers que les produits dits “distributeurs” », avertissait Nexem en juillet 2021, dans un courrier adressé au gouvernement. L’organisation professionnelle réclamait aux pouvoirs publics de prendre en compte l’impact budgétaire de ces nouvelles mesures sur le secteur social, médico-social et sanitaire privé non lucratif. Une requête restée lettre morte à ce jour.

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