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Du terrain à la direction d'équipe : les difficiles premiers pas des chefs de service

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Crédit photo Jacques Loic / Photononstop / Photononstop via AFP
Le poste de chef de service exige de la polyvalence, de fortes capacités de travail et de management des équipes. Pour les travailleurs sociaux promus à ces fonctions en interne, les « premiers pas » peuvent être rudes.

Devenir chef de service, elle ne l’avait pas « envisagé aussi tôt ». Après avoir été monitrice-éducatrice puis coordinatrice, Cécilia von Blumenthal a saisi l’opportunité proposée par sa direction de diriger le pôle « activité adultes et enfants » de l’association Eclat, basée à Prévessin-Moëns (Ain). « Je suis passée par une phase de doutes. Je travaillais auprès des adultes mais je ne connaissais pas le service “enfants” », confie-t-elle.

Dans un premier temps, passer d’un travail de terrain à un poste de cadre lui a semblé « très déstabilisant » : « On a l’impression de ne plus rien suivre, rien comprendre. Il faut savoir poser les questions les plus importantes. » Ayant pris son poste dans le contexte chaotique de la pandémie, elle a dû gérer les absences. Elle saisit l’importance d’une bonne coordination avec les partenaires, mais aussi la mesure des besoins du territoire. « J’étais consciente des listes d’attente, mais sans l’avoir vécu, on réalise moins l’urgence et les nécessités. Cela crée une frustration, une angoisse : que puis-je faire à mon niveau ? », s’interroge-t-elle. A la tête d’un service d’accueil de jour et d’un autre d’accompagnement éducatif, elle cherche à mieux répondre aux besoins et à individualiser davantage les prises en charge. Elle voudrait aussi se mettre en quête de nouveaux financements.

Loin de se cantonner à la gestion des plannings et des équipes au jour le jour, cet exemple montre comment le poste de chef de service a gagné en complexité. « Confrontés à des enjeux de ressources humaines [RH] mais aussi de réactivité, d’ajustement de l’offre, les chefs de service ont embrassé des responsabilités plus importantes en termes d’accompagnement des équipes et des compétences. Ils peuvent diriger plusieurs services, être seuls sur leurs sites », convient Sylvain Jouve, directeur du cabinet RH &Organisation. Pour les travailleurs sociaux promus à ces postes, les premiers mois peuvent être rudes. Les directions recrutant parmi leurs effectifs négligent certaines difficultés qui nécessitent d’être davantage anticipées, selon ce consultant. « On suppose paradoxalement que parce que les équipes connaissent ces chefs de service, ceux-ci s’intégreront tout seuls. Ce n’est pas si simple », estime Sylvain Jouve.

Diriger ses anciens collègues constitue une première difficulté à surmonter, car leur attitude peut changer. « Souvent, ces chefs de service démarrent avec un idéal d’écoute des collaborateurs, qui se heurte au réel. Les équipes vont les tester pour voir ce qu’ils ont dans le ventre, s’ils sont capables d’encaisser des reproches… Pour certains, c’est vraiment la douche froide ! », souligne Eric Waroquet, directeur de l’organisme de formation Epsilon Melia. « Les équipes disent d’eux qu’ils ont changé, alors que c’est leur mission qui a évolué. De la même manière, ces chefs de service ont l’impression que leurs ex-collègues ne sont plus les mêmes », abonde Céline Toussaint, directrice des formations au Cafdes et au Caferuis de l’IRTS de Nouvelle-Aquitaine. De telles promotions imposent ainsi de faire le deuil des relations précédemment cultivées, afin de se sentir à l’aise dans cette nouvelle position qui suppose de devoir prendre des décisions parfois contraires à ce que souhaitent les ex-collègues.

Devenir multitâche

Passer à un poste de manageur implique aussi de développer une capacité à devenir multitâche. « Les chefs de service sont très sollicités par les équipes, les familles, les directeurs, les partenaires. Il peut y avoir un sentiment d’oppression. Avec le temps, ils apprennent à prioriser », explique Céline Toussaint. Toutefois, les périmètres de responsabilité peuvent finir par poser des difficultés. Ancien éducateur spécialisé devenu chef de service d’une maison d’enfants à caractère social (Mecs), Nicolas P. confie s’être pris « une grosse baffe », malgré une motivation élevée et une formation Caferuis entamée avant sa prise de poste. « Les éducateurs, en début de parcours, avaient besoin que je valide leur choix, ce qui suscitait beaucoup d’allers-retours, de discussions », confie cet ex-délégué syndical, pris entre l’encadrement de ces professionnels et la gestion des autres personnels : veilleurs de nuit, maîtresses de maison, cuisiniers… Et ce, sans la présence d’un directeur d’établissement sur place. « Quand on est en congé, le travail s’accumule », ajoute-t-il. Nicolas P., a obtenu d’être déchargé de la gestion RH des veilleurs de nuit et des services généraux. Mais il regrette l’absence de réorganisation plus globale, qui aurait pu consister à augmenter les effectifs d’encadrement de l’internat ou à rééquilibrer la charge de travail avec les chefs des services. Face à son « épuisement », il a été transféré à un nouveau poste de chef des services d’accompagnement à la vie sociale et d’un accueil de jour.

Pour Lisa Barry, directrice des plateformes d’accueil pour les mineurs non accompagnés de l’Institut Don Bosco, le rôle d’une direction consiste à apporter la légitimité aux chefs de service. « Il faut soigner la nomination », souligne-t-elle. Pour cela, il est nécessaire de tenir les équipes informées tout au long de la phase de recrutement en interne, en incitant le potentiel chef de service à informer ses collègues de sa candidature, puis à motiver les raisons d’une promotion interne une fois la décision prise. Devant un poste qui requiert beaucoup de capacités d’adaptation et de force de travail, Sylvain Jouve remarque « souvent la mise à disposition de ressources externes, comme du coaching ou du codéveloppement ». Une manière pour les directions de se montrer présentes, à défaut de pouvoir accorder elles-mêmes davantage de temps à leurs équipes.

Un appui de proximité

Cet appui direct est pourtant très apprécié des chefs de service promus. Certains employeurs organisent ainsi des périodes de tuilage, comme dans le cas de Cécilia von Blumenthal. Pendant six mois, son prédécesseur lui consacrait une demi-journée par semaine ce qui l’a rassurée sur sa prise de poste. Plus globalement, la capacité d’un chef de service à pouvoir interagir facilement avec sa hiérarchie constitue un enjeu clef. « Je ne me suis senti isolé à aucun moment », témoigne aussi Karim Ghilas, chef de service éducatif d’une Mecs à la Fondation Maurice Gounon. Ex-éducateur spécialisé, il souligne le calendrier de rencontres régulières calées avec son directeur de plateforme, ainsi qu’une assistance sur certaines tâches comme l’élaboration du premier rapport d’activité. Il bénéficie aussi d’un appui technique sur la gestion budgétaire, le recrutement ou encore l’organisation des plannings, confortés par des outils informatiques. S’y ajoutent des comités de pilotage sur des sujets tels que la laïcité ou l’éthique.

Ces deux exemples montrent l’importance d’un lien de proximité entre le chef de service et sa hiérarchie, mais aussi d’un travail de l’institution sur les sujets de cœur de métier. De tels besoins peuvent remonter à l’occasion des formations aux postes de chefs de service. « Il y a des sujets toujours un peu délicats, autour de la vie intime ou de la religion par exemple, sur lesquels il est important que les associations se positionnent. Quand les chefs de service sont seuls face à l’éthique, il y a vraiment besoin d’une réflexion institutionnelle », souligne Céline Toussaint. « S’il n’y a pas de méthodologie rigoureuse en matière d’intervention sociale, les conflits peuvent être énormes », abonde Eric Waroquet, qui cite l’exemple de l’accompagnement en milieu ouvert. Sans cadre, les points de vue des uns et des autres peuvent tomber très facilement dans la subjectivité et ainsi miner l’autorité d’un chef de service.

Des Caferuis autofinancés

Pour obtenir le Caferuis (certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale), de plus en plus de travailleurs sociaux autofinancent leur formation. Directeur général de l’IRTS de Tours, Olivier Cany constate une « hybridation » des financements, composés d’une partie financée par l’employeur, le reste étant pris en charge via le compte personnel de formation (CPF) des candidats, voire par leurs deniers personnels. Pour cause : le coût du cursus avoisine les 10 000 € et n’est pas entièrement finançable par le CPF, dont le plafond est en principe limité à 5 000 €. Face à cet obstacle, les organismes commencent à découper leurs formations en modules. Une logique qui pourrait à terme se généraliser : la loi « avenir professionnel » de 2018 impose, en effet, la définition de blocs de compétences pour les certifications enregistrées au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP). C’est tout l’objet de la réingénierie du référentiel du Cafdes qui doit faire l’objet d’un vote en commission professionnelle consultative en avril prochain.

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