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Grande précarité : à Lille, le dispositif Pro'Pause joue sur un autre tempo

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Crédit photo Marta NASCIMENTO
Lancé il y a un an par la Sauvegarde du Nord, à Lille, le dispositif Pro’pause s’appuie sur des maraudes, un camion itinérant et un lieu de répit pour accompagner différemment les personnes en situation de grande marginalité. Grâce à ces trois outils complémentaires, les professionnels parviennent à s’adapter finement au rythme et aux besoins des usagers.

Les mains tachées de blanc, Lionel s’applique à passer au rouleau une seconde couche de peinture, debout sur un escabeau. Bientôt, une odeur de solvant embaume la chambre 7 du lieu d’accueil temporaire ouvert en août dernier par la Sauvegarde du Nord à Houplin-Ancoisne, à une vingtaine de minutes en voiture de Lille. Après avoir récemment séjourné 14 nuits dans cette vieille bâtisse de 500 m2 encadrée de pâtures, Lionel revient ce mercredi y passer quelques heures de répit, hors de la rue. Pas d’hébergement aujourd’hui, mais un déjeuner convivial autour d’un plat de lentilles, des échanges avec l’équipe et les autres résidents, et un coup de main pour finir de rénover cet ancien centre d’hébergement d’urgence (CHU). Rebaptisé « le gîte » par certains, ce lieu de répit accessible à toutes les personnes majeures à la rue pour quinze jours d’affilée au maximum (une durée renouvelable dans le temps) s’intègre au dispositif Pro’pause (pour « proposer, raccrocher, orienter »).

Toujours la même équipe

Déployé dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt « grands marginaux » lancé par la délégation interministérielle pour l’hébergement et l’accès au logement (Dihal), le projet mise sur un accompagnement complémentaire articulé autour de trois outils. En plus de ce lieu d’accueil, des maraudes à vélo sont organisées dans Lille et un camion mobile tient lieu de permanence trois demi-journées par semaine à proximité des emplacements de présence et de consommation des personnes à la rue. La même équipe de travailleurs sociaux a été mise en œuvre sur chacun des trois volets afin de constituer un repère pour les bénéficiaires. « La personne n’a pas à répéter son histoire à chaque nouveau professionnel qu’elle croise, remarque Paul Deroo, éducateur. Nous ne sommes pas dans la même logique que la plupart des structures d’hébergement, nous voulons éviter de tomber dans les travers existants. » Garé ce matin devant les halles de Wazemmes, célèbre marché couvert lillois, le camion est le point de rendez-vous d’une dizaine de personnes. Nombre d’entre elles viennent pour discuter et se réchauffer avec une boisson chaude. Certaines demandent de l’aide pour passer un coup de fil important ou simplement pour prendre un flacon de gel hydroalcoolique. L’équipe s’est munie d’ordinateurs afin de pouvoir répondre à d’éventuelles sollicitations concernant des démarches administratives.

« L’idée est de générer des va-et-vient entre la maison et le camion », epplique Christine Tabutaud, cheffe de service éducatif, chargée du projet. Les maraudes servent, quant à elles, à engager un échange ou à maintenir le lien avec les personnes déjà suivies. « Beaucoup ont besoin de plusieurs allers-retours avec la rue pour qu’émerge l’idée qu’il serait agréable d’avoir un chez-soi. Le chemin peut être long, surtout pour celles qui vivent dehors depuis longtemps, détaille la professionnelle. Nous avons tendance à croire qu’une personne à la rue veut forcément un logement. Mais pour se loger, il faut savoir investir un lieu, ce qui implique de se connaître soi-même. Certaines personnes ne savent pas comment s’y prendre, ni ce que cela va impliquer, et refusent les démarches. Tout l’enjeu est de créer une envie, c’est un travail de longue haleine. »

Autre singularité du dispositif : aucun engagement n’est demandé en contrepartie de l’accompagnement. Ici, pas de démarche imposée, c’est l’usager qui fixe le tempo. Et au fil des semaines, des déclics peuvent s’opérer. « Je commence seulement maintenant à solliciter l’équipe pour certains papiers », confie Sébastien, qui est venu pendant plusieurs mois au camion et est accueilli pour la seconde fois à Houplin-Ancoisne. « C’est important pour moi d’aller à mon rythme. C’est une vraie contrainte quand on vous demande de remplir des documents tout de suite », poursuit-il en se préparant un café dans la vaste cuisine du lieu de répit. Dans son cas, une demande de domiciliation administrative en mairie de quartier a été lancée. Pour d’autres, c’est un processus d’insertion vers l’emploi qui a eu lieu. A l’issue de leur accompagnement, quelques-uns ont même trouvé un hébergement. « Mais il y en a aussi pour qui ça ne génère rien. Cela fait partie du jeu », observe Christine Tabutaud.

Le projet Pro’pause a pris racine lors du premier confinement. Au début de la pandémie, face à l’obligation de protection individuelle et collective, les services de l’Etat ont mobilisé en urgence des lieux d’hébergement afin de mettre à l’abri les personnes à la rue dans la métropole lilloise, comme dans de nombreuses autres agglomérations.

La Sauvegarde du Nord s’est alors chargée de réaliser les diagnostics sociaux des bénéficiaires. L’analyse de cet accompagnement a montré que 30 % des personnes s’étaient saisies de la présence et de l’accompagnement des travailleurs sociaux pour ensuite sortir de la rue. Forte de ce constat, l’association a constitué un groupe de travail pour répondre à l’appel à manifestation d’intérêt du gouvernement sur les grands marginaux. « Au départ, je me disais que 30 %, ce n’était pas beaucoup, mais je ne connaissais pas encore bien ce public, avoue la cheffe de service. Il s’avère que c’est un chiffre énorme lorsqu’on prend en compte les tenants et les aboutissants des profils des personnes. »

Place à l’autogestion

Officiellement lancé en avril 2021, le dispositif a dû trouver sa place dans le maillage territorial existant. Sa singularité a parfois posé question aux autres partenaires sociaux. « Comme c’est nouveau, les choses peuvent être déroutantes », pointe Christine Tabutaud, expliquant que de nombreux acteurs l’appellent encore en vue d’obtenir un logement pérenne pour l’usager au sein du lieu de répit. Il s’agit alors d’expliquer la démarche adoptée et le principe d’un hébergement de quinze jours au maximum, avec un délai de carence équivalent à la durée de séjour avant de pouvoir revenir dormir dans la maison.

« Le fait que le lieu soit en autogestion interpelle aussi beaucoup, complète Coraline Pichery, éducatrice. Cela constitue une différence de taille avec ce qui est proposé d’ordinaire. » Sur place, les personnes sont en effet appelées à être autonomes. L’équipe occupe un rôle de régulateur et la présence éducative s’opère en pointillé. « Nous sommes de passage dans la maison et ne prévenons pas forcément quand nous allons être présents », continue la professionnelle. A leur arrivée, les usagers disposent d’une clé et n’ont pas de contraintes horaires concernant leurs allées et venues. « Nous leur faisons confiance », résume Paul Deroo, avant d’ajouter : « Ils sont souvent choqués lorsqu’on leur explique que c’est une structure au sein de laquelle il n’y a pas de veilleur de nuit, ni personne pour cuisiner et qu’ils peuvent rentrer et sortir comme ils veulent. Ça joue sur le développement de leur pouvoir d’agir. » Les hébergés se réapproprient alors certaines actions, comme l’élaboration des repas. « A la rue, beaucoup bénéficient des maraudes alimentaires et ne choisissent plus ce qu’elles mangent, soulève Christine Tabutaud. Cet aspect représente tout un défi. » Sur les étagères du garde-manger, pâtes, lentilles, sauces, poireaux ou oignons sont ainsi mis à disposition des usagers pour la confection des plats. Lors de leur séjour, les hébergés doivent également gérer les activités domestiques entre eux. Un « tableau des tâches » est accroché dans le long couloir du rez-de-chaussée pour que chacun puisse y indiquer s’il a passé l’aspirateur, la serpillière ou s’il a fait la vaisselle et y associer la pièce et le jour correspondant. Bien qu’il n’utilise pas ce procédé au quotidien, Sébastien salue la bonne gestion des tâches entre les habitants. « Tout le monde participe, le roulement fonctionne bien. Il n’y a pas de souci là-dessus. »

Si l’autogestion du site apporte une plus-value en matière d’accompagnement, des incidents ont toutefois eu lieu depuis le début du projet. La période des fêtes, souvent mal vécue par les personnes en situation de grande précarité, a été particulièrement sensible. Les dégâts causés par une altercation ont conduit à une fermeture temporaire de la maison. Entre août et décembre, cinq personnes ont été exclues du lieu de répit pour violences. Des événements qui ont poussé l’équipe à ajuster sa manière de travailler. « Nous pouvons différer l’entrée sur les lieux de certaines personnes dont le tempérament pourrait ne pas coller avec les hébergés déjà présents. Nous essayons de tenir un équilibre », témoigne la cheffe de service éducatif, qui assure que les relations se passent mieux depuis que ce procédé a été mis en place. « Nous organisons souvent des “réunions maison” où le groupe peut se parler, pointe par ailleurs Paul Deroo. Cela se déroule soit à notre initiative soit à la leur, lorsqu’il y a des problèmes à régler – et c’est souvent le cas. Car si les personnes choisissent de rentrer dans la maison, elles ne choisissent pas leurs voisins de chambre. »

Pas de liste d’attente

A rebours des lieux d’hébergement classiques, Pro’pause ne fonctionne pas avec une liste d’attente. « Nous ne prenons aucune réservation. Nous demandons de revenir au camion si la maison est pleine au moment où quelqu’un nous sollicite pour être hébergé », explique Charline Six, travailleuse sociale, présente depuis la conception du projet. « Nous nous attendions à ce que les lieux soient toujours pleins, surtout l’hiver. Mais ce n’est pas le cas. Au début, ça nous a fait bizarre. »

Une situation qui s’explique en partie par la position géographique de la maison, située à une dizaine de kilomètres de Lille et difficilement desservie par les transports en commun. En y séjournant, certaines personnes craignent de perdre leur place en mendicité ou leur squat. « Quand on m’a proposé l’hébergement, j’ai hésité, puis j’ai finalement dit “non”, car ça aurait été compliqué pour moi de continuer à faire la manche, confirme Julien(1), la vingtaine, aux abords du camion. J’ai un vélo, il aurait fallu que je parte tôt le matin et que je revienne le soir. »

Afin de répondre néanmoins aux besoins des personnes, il leur est possible de venir quelques heures ou une journée sur le lieu de répit pour utiliser le lave-linge, se préparer à manger et participer aux différentes activités. Des ateliers sont régulièrement proposés sur place par l’équipe. Ainsi, l’aménagement de l’ancien centre d’hébergement d’urgence n’a volontairement pas été fini avant sa réouverture pour pouvoir proposer aux hébergés des activités de ponçage et de peinture.

Dans le jardin, en dessous d’un vieux portique de balançoire, le revêtement de goudron a été retiré pour laisser bientôt la place à un terrain de pétanque. « Il s’agissait d’une suggestion des personnes accueillies, et nous avons trouvé que c’était une bonne idée », rapporte Christine Tabutaud. Sont également prévus un projet de potager et la construction de deux chenils pour accueillir les animaux des usagers lors de leurs déplacements en journée à Lille. Financé par la Dihal (délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement) pour une durée de trois ans, Pro’pause souhaite à terme s’appuyer sur la pair-aidance pour accompagner les personnes. « Ce type de profil est difficile à trouver, mais un équivalent temps plein est prévu au sein du programme », souligne la cheffe de service éducatif de la Sauvegarde du Nord.

Notes

(1) Le prénom a été modifié.

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