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Etablissements : ces nouveaux directeurs, « venus d’ailleurs »

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Crédit photo alphaspirit - stock.adobe.com
Issus du privé et/ou diplômés dans des domaines qui ne les prédestinaient pas à choisir ces carrières, les cadres « venus d’ailleurs » sont de plus en plus nombreux à prendre la tête des établissements sociaux et médico-sociaux.

Il s’agit d’un phénomène difficilement quantifiable à grande échelle, mais dont on peut observer la progression régulière au cours de ces dernières années. « Venus d’ailleurs », c’est-à-dire hors du champ du social, des cadres sont recrutés pour prendre la tête d’établissements sociaux et médico-sociaux. En passant souvent par la case formation. Pour Valère Socirat, directeur de l’Andesi (Association nationale des cadres du social), le fait est certain et mesurable. « Dans les formations Cafdes [certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale], en Ile-de-France, 50 % des candidats sont déjà diplômés d’un master dans un autre domaine que le social ou médico social, relève-t-il. Ils viennent se former non pour accéder à un niveau de diplôme qui leur permettra d’occuper un poste de direction, parce qu’ils l’ont déjà, mais pour se professionnaliser et s’adapter au secteur. »

Parmi les principales motivations de ces cadres, la fameuse « quête de sens », aspiration très en vogue depuis la crise sanitaire et qui voit progresser de manière spectaculaire les reconversions tournées vers l’accompagnement des personnes, même au prix d’une baisse parfois conséquente de rémunération… Or la réalité ne s’avère pas toujours à la hauteur des attentes. Pour Valère Socirat, « se découvrir une vocation à 45 ans dans ces domaines n’est pas simple. Il est vrai que la question de la “recherche de sens” pour les personnes en reconversion professionnelle est assez centrale, quand elles estiment que le secteur privé ne leur correspond plus. Mais il faut être prudent face à une sorte de mythification du secteur. Aller directement, sans filet, vers le domaine du handicap ou de la protection de l’enfance, c’est sauter à pieds joints dans des cultures professionnelles spécifiques, avec des modes d’organisation et de rationalisation pas toujours très calés. » Ce qui risque dans un certain nombre de cas de (re)plonger certains cadres un peu trop « idéalistes » dans un contexte qui n’a rien d’idyllique.

Le « new public management »

« Depuis le début des années 2000, et l’arrivée dans ce secteur du “New Public Management”, on observe un certain alignement du monde du social sur celui du privé lucratif dans les organisations et modes d’encadrement », constate Simon Heichette, chercheur, auteur d’une thèse intitulée « Les cadres salariés du secteur social et médico-social : quand le managérialisme instrumentalise l’encadrement ». Une évolution qui, selon lui, « est encore en construction, et n’est pas d’un niveau égal dans tous les établissements. Mais plus les associations grossissent plus la structure même de l’encadrement change. Une dissociation apparaît ainsi peu à peu entre des cadres dits “de proximité” et de “siège”. Pour ces postes, les associations ont besoin de nouvelles compétences. » Le risque, pour ces cadres venus d’ailleurs, de retrouver des injonctions qu’ils ont souhaité fuir est bien présent : « Ce nouveau mode de gestion repose sur un tryptique de performance au travail, de quantification de l’activité et d’instrumentalisation des ressources disponibles des modes d’encadrement et d’organisation du travail propres aux grandes entreprises, poursuit Simon Heichette. Quelles que soient leur bonne volonté et leur capacité à prendre de la distance, ils seront appelés à adopter ce tryptique. »

Ces mutations portent également un risque de choc de cultures déjà à l’œuvre. « Les évolutions du secteur sont certes incontournables mais cette nouvelle donne provoque une rupture grave entre les acteurs de proximité et les nouveaux “gestionnaires”, estime Philippe Gaberan, éducateur spécialisé et docteur en sciences de l’éducation, formateur en travail social. Dans les faits, ils exercent deux métiers différents, ont deux langues différentes… Le secteur va-t-il survivre à cela ? »

Souvent des directeurs d’Ehpad

L’ouverture vers une diversité de profils semble inévitable. Cependant, calquer des modes de management propres au privé en « outillant » plus ou moins adroitement les travailleurs sociaux, en mettant en place des critères de performance, des process de gestion de projets très cadrés peut amplifier des tensions déjà palpables dans un secteur en souffrance. « Pour les éducateurs spécialisés en poste, notamment, ces arrivées ne sont pas toujours bien vues, constate Gyslaine Jouvet, administratrice de l’Andesi. On reproche à ces nouveaux dirigeants de mal connaître les métiers, le secteur… Mais surtout, avec l’imposition de nouveaux outils méthodologiques, centrés sur les objectifs de travail, leur mesure, certains professionnels ont l’impression qu’on leur enlève une part de créativité. Et ce, en raison d’un excès de bureaucratie. Quand ces visions-là se confrontent, le choc peut être rude. D’autant plus dans des secteurs aux cultures professionnelles fortes comme la petite enfance ou le handicap. »

C’est pourquoi, selon l’Andesi, les nouveaux diplômés du social, qui se sont reconvertis, se dirigent souvent vers des postes de direction dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), a priori plus accessibles et moins complexes. « Il est moins compliqué de s’acculturer dans le secteur des personnes âgées où les compétences de gestion notamment sont primordiales. Les candidatures de cadres venus d’ailleurs sont donc retenues aisément », assure Gyslaine Jouvet.

Pour certains de ces nouveaux professionnels aux parcours atypiques et à la vocation relativement tardive, l’intégration dans le secteur social et médico-social s’est faite apparemment sans douleur… Au prix d’une adaptation en douceur et surtout d’une certaine humilité. Ludovic Grima a ainsi choisi cette voie après un parcours de formation en droit, et avec une aspiration qu’il fait remonter, en partie, à sa petite enfance. « Suite au divorce de mes parents, j’ai vécu un temps dans une structure de la protection de l’enfance. Une expérience que je n’ai jamais oubliée », explique-t-il. D’abord recruté dans un service administratif d’un Esat (établissement ou service d’aide par le travail), il s’engage, après sa maîtrise de droit, dans un DESS (équivalent du master 2) en gestion des entreprises sociales à l’université de Toulouse. Aujourd’hui directeur d’une Mecs (maison d’enfants à caractère social) en Ariège, il souligne les apports de sa formation initiale. « Elle m’aide dans ma fonction. En ressources humaines, par exemple, pour tout ce qui est contrat de travail et droit social. » Son profil un peu « différent » a également des incidences sur ses choix de recrutement : « Je favorise la pluri-disciplinarité. Je pense que plus les équipes comptent de salariés d’origines différentes, plus elles sont riches. J’ai dernièrement embauché un moniteur-éducateur en reconversion professionnelle qui était électricien. »

Un changement encore plus radical pour Manuel Alarich qui, en 2012, âgé de 36 ans et chef de service dans l’enseigne Decathlon, a opéré un virage à 180°. « J’ai signé une rupture conventionnelle et me suis inscrit au Caferuis, pour travailler dans le social. Autour de moi, beaucoup exerçaient dans le secteur et, lors d’un colloque, j’ai rencontré le président d’une association avec lequel j’ai tout de suite eu envie de collaborer. » Il y est recruté et va très prochainement prendre la direction de l’Association de gestion de logements accompagnés Nelson Mandela, au Mans (Sarthe). Pour lui, l’arrivée dans l’établissement et dans le secteur ne laissait pas de place à l’improvisation : il s’est inscrit au Caferuis et a « énormément lu, consulté, appris des autres, pour ne pas arriver en terrain conquis ».

Conjuguer proximité avec les équipes, gestion administrative et financière, développement de ses salariés, relations avec les partenaires, c’est parfois « tenter de faire entrer un rond dans un carré », d’après Jean-Pierre Stellitano, administrateur du Gepso et directeur général des Etablissements publics d’Hallouvry (handicap, protection de l’enfance et Ehpad) à Rennes, qui mène une réflexion-action sur un management de « proximité ». « Depuis quelques années, on observe l’arrivée de diplômés de master ou d’écoles de management, notamment dans les Ehpad. Même s’il y a des exceptions, je recrute plutôt des cadres issus du secteur de la santé et du social, car nous avons besoin de ces expertises métiers. Pour l’heure, l’urgence est de donner du sens au travail, de laisser une place à l’autonomie professionnelle, de résoudre les conflit de valeurs. »

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