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Qualité de vie au travail : rompre l’isolement des managers

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Crédit photo Image Source via AFP
A l’heure où la qualité de vie au travail et la prévention des risques psychosociaux deviennent des antiennes dans les établissements sociaux et médico-sociaux, les managers se sentent assez seuls face à leurs propres difficultés. Pourtant, des solutions existent.

« Depuis quelques années, les ré­for­mes du secteur, qui supposent de faire “plus et mieux avec moins”, ont intensifié le travail administratif, et offrent moins de temps aux managers pour animer les équipes et prendre soin de leurs collaborateurs. Dans ce contexte, ceux qui ne sont pas préparés, qui n’ont pas les compétences managériales et sociales rencontrent de fortes difficultés. Ils partagent avec leurs salariés les mêmes besoins sociaux, affectifs au travail. La non-satisfaction influe évidemment sur leur santé mentale. » Ce constat de Khaled Sabouné, maître de conférences en management à Aix-Marseille Université, ne date certes pas d’hier. Mais la crise sanitaire est venue amplifier un malaise tangible. « Quand les directeurs évoquent leur vécu, ils font part d’un certain désenchantement, confirme Jean-René Loubat, psychosociologue, docteur en sciences humaines et consultant auprès des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux. Ceux qui tentent de mener à bien des changements organisationnels ont été interrompus. Il leur faut gérer les remplacements de salariés, des recrutements devenus difficiles, les contraintes supplémentaires avec des directives changeantes… Ils se plaignent beaucoup notamment de l’inconstance des mesures, qui ajoute encore à la complexité de leur fonction. »

Même si aucune étude précise ne permet de mesurer le niveau de santé mentale des managers, certains indicateurs inquiètent. Parmi eux, la durée de vie professionnelle des directeurs dans un même établissement. De cinq ans il y a quelques années, elle se réduirait en moyenne à trois ans, selon l’estimation de tous nos interlocuteurs. Sarah, ex-directrice d’un Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) du secteur associatif, qui souhaite rester anonyme, a « tenu » trois ans et demi. « Un record dans cette structure, se souvient-elle. En dix ans, l’établissement avait connu dix directeurs. Mon équipe, à chaque mois passé, me faisait remarquer que j’avais déjà résisté plus longtemps que l’un des précédents chefs… Ce compte à rebours me mettait une vraie pression ! » Le sentiment de solitude a été le premier déclencheur d’un mal-être qui a abouti à un burn-out reconnu comme maladie professionnelle. Un mal-être qui était lié à un périmètre de responsabilités à la fois très large et limité dans les prises de décisions… « Vous êtes cadre dirigeant, vous bénéficiez d’une grande autonomie mais vous n’avez pas de présence au conseil d’administration, vous n’êtes pas responsable du recrutement de vos cadres, et vous n’avez pas de représentants du personnel pour porter votre parole. Vers qui vous tourner quand surgit une difficulté ? »

Se faire accompagner

Rompre l’isolement, mais comment ? Et à qui s’adresser ? La réponse n’est pas toujours simple, d’autant que « les difficultés sont rarement exprimées par les managers eux-mêmes, qui sont le plus souvent considérés, en même temps que les institutions, comme les principales causes des problèmes de RPS [risques psycho-sociaux] de leurs salariés, estime Hervé Gérard, directeur de l’organisme de formation EPE. Ils ont ainsi tendance à garder pour eux leur propre souffrance, ou tentent de l’affronter par un coaching individuel, qu’ils financent eux-mêmes le plus souvent. » Multiplier les occasions de rencontres et d’expression libre est pourtant la voie largement conseillée. « Les managers des établissements sociaux et médico-sociaux ont besoin d’un collectif. Si on ne peut pas changer le système, on doit développer une créativité personnelle qui se démultiplie par l’intelligence collective, explique Sandrine Marquis, consultante en management et organisation du travail au sein de son cabinet Cogitus conseil. Capitaliser les bonnes idées, voire réfléchir à comment détourner un peu les rigidités de l’institution est essentiel. Ainsi que participer à des cycles de formation continue. » Au-delà de l’apport de connaissances, cette voie constitue également, pour Matthieu Petit, directeur d’un établissement d’aide et de soins à domicile en Gironde et formateur notamment à l’institut régional du travail social (IRTS) de Nouvelle-Aquitaine, une des clés pour lutter contre le sentiment de solitude. « Il s’agit d’un ressort fondamental pour alléger une charge mentale trop pesante. Vous n’avez pas beaucoup d’alliés quand vous êtes dans votre établissement. Ce sont des métiers qui demandent énormément d’analyses de situation, notre jugement est parfois biaisé par nos propres convictions, prendre l’avis d’un tiers peut beaucoup aider. »

Saisir les occasions d’apprendre et de s’outiller en tant que manager, c’est aussi le conseil de Khaled Sabouné : « Nombre de managers me disent se sentir seuls, isolés, en quête de sens, face à des relations sociales tendues et altérées. Si l’on veut prendre soin des autres, et de soi, il est important d’investir dans le développement de ses propres ressources. »

Des pistes à explorer

Se donner du temps certes, mais les institutions le permettent-elles ? L’idée semble faire son chemin, mais doucement. Aménager des espaces d’échanges et de réflexion spécifiques par l’analyse des pratiques est conseillé par Arnaud Barillet, intervenant en qualité de vie au travail à l’Aract (agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail) Nouvelle-Aquitaine. « Mais pour le moment, les analyses et échanges de pratiques sont peu communes pour les managers, directeurs ou cadres intermédiaires. Nous proposons et valorisons cette méthode, y compris entre des professionnels d’établissements différents. » Guillaume Boucheron, responsable de la protection sociale et de la santé au travail au sein du pôle « affaires sociales » de Nexem, observe cependant « une évolution des pratiques de codéveloppement professionnel dans des établissements, qui peut apporter une réponse aux difficultés spécifiques de la profession. D’une manière générale, il y a 10 ou 15 ans, quand on évoquait les thématiques de la santé au travail et des RPS, certains avaient la crainte d’ouvrir la boîte de Pandore. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, en témoignent les actions dédiées mises en place. » Favoriser les échanges entre directeurs, c’est une des initiatives d’APF France handicap, qui leur propose un espace spécifique. « Nous avons mis en place, notamment, une instance ad hoc, l’“instance de concertation des directeurs de structure”, pilotée par la direction générale, explique Aurélia Garavana, responsable « qualité de vie au travail et handicap » au sein de l’organisation, qui réunit un collège de directeurs désignés par leurs pairs. Nous sommes dans le partage d’informations, le recueil des points de vue quand une démarche est mise en œuvre, et cette instance leur permet de témoigner et d’échanger sur des situations problématiques, individuelles et collectives, y compris sur la santé et les RPS. Les salariés ont leurs représentants du personnel, pas les directeurs, c’est donc une instance qui leur permet une expression spécifique. »

Recrutement : un stress majeur

Touchant directement les équipes, et donc les managers, « la question des difficultés de recrutement apparaît au premier rang des sources de stress, constate Céline Toussaint, responsable de formation Cafdes-Caferuis(1) à l’IRTS Nouvelle-Aquitaine. Même quand on est le meilleur cadre du monde, quand on ne trouve personne, on ne trouve personne ! » Recours à l’intérim, organisation du travail à redéfinir, démotivation des équipes… « On ne peut pas leur demander de résoudre seuls ces problèmes. En tant qu’organisme de formation, la question est de savoir comment on revalorise le secteur du travail social pour soutenir les directeurs d’établissement. » Autre source de difficulté, renforcée par la crise sanitaire : l’émergence du télétravail, qui porte « un vrai risque de burn-out », selon Hervé Gérard, directeur d’EPE Formation. « Le manager est confronté à une perte de repères des salariés et à la nécessité de développer l’autonomie et le contrôle du travail. Dans un monde où la tradition orale domine, c’est un risque de stress supplémentaire pour les salariés, et donc pour les managers. »

Notes

(1) Certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale-Certificat d’aptitude aux fonctions d’encadrement et de responsable d’unité d’intervention sociale.

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