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Géraldine Lefeuvre, sur le terrain le jour, sur les planches le soir

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Géraldine Lefeuvre sur scène : « Tout d’un coup, nous ne savons plus qui regarde qui, ni de quel côté se situe la folie. »

Crédit photo Julie Reggiani
Assistante sociale depuis une vingtaine d’années, Géraldine Lefeuvre embrasse depuis peu une carrière de comédienne. Cette passionnée de 44 ans a puisé dans les histoires de vie des personnes qu’elle accompagne l’inspiration pour écrire sa pièce de théâtre Instant T, au sein de laquelle elle tient l’un des trois rôles. Une opportunité de mettre sur le devant de scène les questions de santé mentale.
 
 

Ses mains plongent frénétiquement dans un cabas rose aux motifs de cerises. Elle en ressort une Barbie et un flacon de laque puis, quelques minutes plus tard, un sac de graines et un sachet fraîcheur rempli de plumes de canari. Tout d’un coup, sa voix s’emporte. Elle entame, comme s’il s’agissait de sa psy, une tirade adressée à la poupée au sourire figé qu’elle a assise en face d’elle. Habillée d’un pull pailleté, rayé fuchsia et turquoise,

Géraldine Lefeuvre, qui incarne le personnage de Suzie Caillou dans Instant T, s’empare en un rien de temps de la petite scène du théâtre Darius Milhaud, dans le XIXe arrondissement de Paris. Son visage traduit tour à tour avec une grande justesse la surprise, la joie, la peur et l’anxiété, faisant subtilement passer les spectateurs du rire aux larmes. Pourtant, l’aisance de la comédienne sur les planches laisse place à un ton beaucoup moins assuré lorsqu’on la retrouve dans une brasserie de la capitale. « Je suis intimidée, ce n’est pas facile du tout de parler de moi », avoue-t-elle en commandant un déca.

“C’est ça, ma vie"

Assistante sociale depuis une vingtaine d’années, Géraldine Lefeuvre a décidé de prendre des cours de théâtre pour vaincre une « timidité paralysante ». « J’en avais marre, je rougissais pour dire “bonjour” », se souvient-elle. « C’était quelqu’un de très réservé, d’une sensibilité extrême. La scène lui a permis de se découvrir, de prendre confiance en elle », confirme son ancienne collègue Maryse Davezac.

Alors installée à Morlaix (Finistère) avec toute sa famille, la comédienne en herbe commence à jouer dans différentes troupes de la région. En 2017, lors de la représentation d’une pièce à Avignon, cela lui apparaît comme une évidence : elle souhaite se professionnaliser. « Je me suis dit : “C’est ça, ma vie, c’est ce qu’il faut que je fasse” », lâche-t-elle dans un rire enthousiaste et contagieux.

Dans l’optique d’entamer une formation à Paris, elle s’inscrit alors à un stage au Cours Florent. Mais pour intégrer le cursus, les élèves de plus de 35 ans doivent passer un entretien avec la direction afin de s’assurer de leurs motivations. Agée de 38 ans à ce moment-là, Géraldine Lefeuvre se prête à l’exercice sans y adhérer. « Il y a des limites d’âge partout dans le théâtre. C’est comme si, passé un cap, on ne pouvait plus exercer ce métier. Je ne suis pas d’accord avec ça », argue-t-elle.

 

Porter des voix

Lors de cet entretien, le directeur pédagogique, convaincu de son talent mais persuadé qu’elle ne tiendra pas les allers-retours hebdomadaires entre la Bretagne et l’Ile-de-France, lui laisse un an pour trouver un travail et un logement dans la capitale. La Morlaisienne se lance dans ce pari fou, embarquant avec elle son mari et ses enfants. Un an plus tard, elle est employée dans un hôpital et se rend trois soirs par semaine à ses cours. « Je ne regrette pour rien au monde cette période, mais c’était très intense, confesse-t-elle. Je ne pouvais pas me permettre de m’absenter de temps en temps durant la formation, de la faire en dilettante, car j’avais emmené toute ma famille pour ça. J’ai pris le parti de m’y consacrer à fond. »

Géraldine Lefeuvre n’a de cesse de créer des ponts entre son métier d’assistante sociale et la scène. Avec près d’une quarantaine de représentations, sa pièce Instant T reprend le décor d’une salle d’attente d’un cabinet de psychiatrie. « J’ai longtemps travaillé dans ce secteur et j’ai beaucoup traversé les salles d’attente des hôpitaux dans ma vie. Je me suis rendue compte qu’il s’y passait énormément de choses, c’est ce qui m’a donné l’idée du lieu. » 

Instant T reflète également des situations de vie observées au cours de ses années d’exercice dans le travail social. Les trois personnages imaginés par la professionnelle tentent d’avancer malgré leur parcours de vie cabossé. Aux côtés de Suzie Caillou, on retrouve ainsi Marc, traumatisé par la guerre du Kosovo, qui tente de noyer ses souvenirs dans des montagnes de biscottes, et Thomas, empêtré dans des galères financières, qui se bat pour garder un lien avec son fils.

 

« Tout s’est aligné »

« Ces personnages agissent avec des manières pouvant paraître étranges, mais ces comportements finissent par s’expliquer par tel ou tel événement, détaille celle qui ne se verrait pas exercer un autre métier que celui d’assistante sociale. On entend de plus en plus parler de santé mentale, mais nous continuons parfois de passer à côté des situations des personnes souffrant de pathologies, par méconnaissance ou à cause d’idées reçues. Je pense au contraire que nous devrions aller gratter un peu plus dans ces cas-là. Tout le monde connaît des fragilités, des bizarreries. » Pour accentuer ce dernier point, la mise en scène éclaire le public : « Tout d’un coup, nous ne savons plus qui regarde qui, ni de quel côté se situe la folie. »

La pièce Instant T prend racine dans les nombreuses notes que Géraldine Lefeuvre a tenu durant sa carrière. Sans trop savoir pourquoi, dès que le parcours d’une personne accompagnée la touchait, elle l’inscrivait sur papier et brodait autour des histoires fictives. « La position d’assistante sociale représente souvent le savoir pour les gens, mais je pense que c’est dans les deux sens que l’échange nourrit, constate la professionnelle au milieu des tintements de verres et des conversations avoisinantes. Nous allons de découvertes en découvertes et nous sommes toujours surpris. »

Admirative, Maryse Davezac observe chez son ancienne collègue un « côté décalé » qui lui a permis d’attraper au vol tous ces instants de vie. « Elle regarde les personnes avec d’autres paires de lunettes et sait capter le trait qui va bien, confie-t-elle. C’est comme si elle avait en permanence plein de tiroirs ouverts dans lesquels elle range tous ses échanges. Elle profite de chaque moment. Elle engrange, même si elle ne sait pas ce qu’elle en fera. »

C’est en première année du Cours Florent que ces morceaux d’histoires refont surface. Alors que son professeur laisse à chaque élève le plateau pendant une minute pour une interprétation libre, Géraldine Lefeuvre repense à ses notes.« Tout s’est aligné. J’ai sorti de ma mémoire les personnages que j’avais créés et les ai joués un à un. Mon métier, le théâtre, tout s’imbriquait, tout a pris sens, rapporte, émue, la comédienne. La scène est un endroit où l’on peut porter des paroles. Ces tranches de vie, je ne voulais pas qu’elles restent dans mes cahiers. »

En deuxième et troisième années, elle continue de tirer le fil pour construire cinq minutes puis quinze minutes autour de ces histoires. Au fil du temps, Instant T se dessine, pour finalement durer une heure et quart. « Au départ, Géraldine m’a envoyé des bouts de textes, se souvient Maïa Girard, la metteuse en scène. Elle avait beaucoup de personnages et presque que des monologues, c’était très éclaté. Nous avons tissé une trame ensemble. » Mais pas question de perdre l’essence de ce qu’a recueilli sur papier la comédienne. « Avec Géraldine, tout est vrai, tout le temps. Quand elle écrit, quand elle joue, ça transpire la sincérité, poursuit Maïa Girard. On sent qu’il n’y a aucune autre option que de porter cette vérité-là. »

Aujourd’hui encore, avec les répétitions, les représentations et son travail d’assistante sociale, Géraldine Lefeuvre continue de jongler entre ses deux passions. Un rythme qu’elle ne pense pas tenir « indéfiniment ». Lorsqu’on lui demande vers lequel de ces métiers elle finira par se tourner, elle commence par répondre : « Je ne préfère pas planifier, les choses se préciseront au fur et à mesure. » Et d’ajouter : « Le choix, je l’avais déjà fait en venant à Paris pour être comédienne. J’en suis encore au tout début, j’ai envie de continuer, de voir ce que cela donne. » Parmi ses projets, celui de présenter Instant T à Avignon et de créer une websérie, toujours sur les questions de santé mentale.

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