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Céline Mons : un style inspirant en 8 leçons

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Céline Mons, dans les locaux très cosy du siège de l'association de Thiétreville à Fécamp. 

Crédit photo Stéphanie Trouvé Téma Agence
Comme directrice générale d’une association pour la protection de l’enfance, la nouvelle présidente du Cnaemo sait embarquer ses équipes en s’appuyant sur une méthode à la fois collégiale et directive. Porté par une personnalité cash et bienveillante, le style est efficace. Découverte, en Normandie, d’une manager inspirante et d’une présidente déterminée.
 
 

Entre les deux, son cœur a longtemps balancé. Dès le collège, au Havre, Céline Mons sait qu’elle veut devenir instit… ou éduc. Des aspirations précoces provoquées par la lecture de classiques, probablement à l’origine de la vocation de générations de professionnels du secteur de l’enfance avant elle : "Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée"… et "Libres enfants de Summerhill".

Alors, le bac en poche, Céline Mons passe le diplôme d’éducatrice de jeunes enfants, travaille en milieu ouvert. Puis enchaîne avec l’IUFM (institut universitaire de formation des maîtres) et effectue des remplacements de professeur des écoles au Havre. Elle teste, elle se cherche. Puis elle tranche. Finalement, ce sera éduc.

Elle décroche un poste au service de jour du Logis Saint François, une future Mecs (maison d’enfants à caractère social). Créé par une cheftaine de louveteaux et un abbé pour recueillir les jeunes vagabonds qui pillaient les villas de la côte normande dans les années 1940, ce foyer est l’établissement historique de l’association de Thiétreville, dont elle est aujourd’hui directrice générale.

"Elle sortait clairement du lot"

C’est là, au cœur du pays cauchois cher à Maupassant et à Annie Ernaux, que ses supérieurs lui suggèrent de postuler pour devenir cheffe de service : « Je me trouvais trop jeune, mais j’y suis quand même allée. » Même réaction lorsque, quelques années plus tard, Christian Arzuffi lui propose de lui succéder.

« J’ai senti que ça la perturbait, se souvient l’ancien directeur du pôle Enfant de l’Arred (Association rouennaise de réadaptation de l’enfance déficiente), qui ne doute pourtant pas de son choix. J’avais repéré son potentiel dès sa lettre de motivation quand je l’ai recrutée en 2004. Elle sortait clairement du lot. » Il vaut mieux, car Christian Arzuffi lui confie une mission délicate : implanter un Sessad (service d’éducation spéciale et de soins à domicile) dans un quartier sensible de Rouen. Elle s’en sort avec talent et se laisse finalement convaincre de reprendre le flambeau, rassurée par le master 2 en droit et gestion qu’elle vient d’obtenir. « Elle avait les qualités nécessaires : à la fois le tact et la détermination, une certaine fougue de la jeunesse et une vraie rigueur. »

Mais directrice à l’Arred, ce n’est qu’une étape. Quand un poste de DG est créé dans l’association de Thiétreville en 2011, et que ses copains lui disent de se porter candidate, elle hésite à nouveau : « Au début, comme toujours, je fais : “Oh, j’s’ais pas.” Et finalement j’y vais. »

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Elle est comme ça, Céline Mons. Le syndrome de l’imposture s’évapore vite. Et quand elle prend une décision, elle s’y tient. Sa détermination n’est pas exempte d’une saine ambition qui dépasse vite ses terres d’origine. Car après être rentrée au bureau du Cnaemo – repérée par son voisin bas-normand Salvatore Stella, qui capte très vite sa nature : « On sent vite les gens avec des valeurs et des convictions » –, elle en devient vice-présidente dès 2019. Avant d’être élue à la tête de l’association des professionnels du milieu ouvert en mai 2023.

« J’ai failli lui demander où elle allait s’arrêter », s’amuse Christian Arzuffi. Son ascension rapide n’est en tout cas pas due au hasard. Pas de plan de carrière derrière le parcours de Céline Mons, mais une méthode de management à la fois collégiale et directive et une personnalité cash et bienveillante. Au total, huit facettes d’un style inspirant.

 

1. L’art de diriger

On ne s’ennuie pas un instant quand on assiste à une réunion animée par Céline Mons. Autour de la table, une dizaine de personnes qui occupent des postes de direction, de cadres ou de chefs de service dans l’association de Thiétreville prennent chacun leur tour la parole sur les sujets de la semaine, des gestions RH aux relations avec la PJJ en passant par l’étude des cas individuels des mineurs suivis. Ce matin-là, le Codir (comité de direction) se déroule dans une ancienne porcherie transformée en salles de réunion au siège de l’association, à Fécamp. Il n’y a que des cahiers sur la table et les tableurs Excel sont imprimés : ici, on ne risque pas de faire l’autruche dans son écran ou de se perdre dans un Powerpoint.

L’atmosphère est détendue, mais la directrice est maîtresse du timing et garde un rythme soutenu : « Restons concentrés, on n’a pas fini. » Elle donne l’exemple en maintenant le cap, en se rappelant de tout (le nom des suivis, des équipes, les dates, les anecdotes…). Et si elle ne dit rien pendant cinq minutes, ce n’est pas parce qu’elle pense à autre chose. « Elle a une excellente mémoire, se souvient de ce qu’on a dit des semaines avant en Codir, même quand on a l’impression qu’elle ne nous avait pas écoutés ! », commente Virginie Maraine, cadre de gestion.

La cadence ne ralentit que pour l’essentiel : développer le cas délicat d’un gamin abusé/abuseur ou celui d’un autre dont il faut se séparer. Céline Mons prend le temps de peser sa décision mais sait trancher quand il le faut : « Quand j’ai dit non, c’est non. »

C’est clair, sans être imposé : à l’impératif, elle préfère le conditionnel. « J’aimerais bien que tu ailles à X », répète-elle… quatre fois, mais en rigolant. Avec une dernière petite touche pour enfoncer le clou. « Tu as assez de chefs de service, tu trouveras bien le temps. »

Bref, elle est directive. Limite autoritaire ? C’est encore elle qui en parle le mieux. Quand on lui demande pourquoi elle est devenue cheffe, Céline Mons paraît transparente et lucide : « J’ai beaucoup d’énergie, j’aime le contact avec les autres et j’ai aussi une certaine autorité, enfin, parfois trop d’autorité. »

Sauf que ça ne casse pas l’ambiance. La nouvelle présidente du Cnaemo est une manager pointilleuse et rigoureuse – « J’ai la réputation d’être exigeante » – mais, en même temps, proche des équipes, naturelle, franche et sympa.

Bref, c’est l’alliage idéal pour manager dans le social.

 

2. La volonté d’écouter

Pendant le même Codir, madame la directrice intervient souvent, d’accord, mais écoute beaucoup, surtout. Pas une décision n’est prise avant d’avoir recueilli l’avis des troupes. Ainsi, quand il s’agit d’exclure un ado, elle entend le directeur réticent et des chefs de service favorables. Mais, dans la balance, elle voit d’abord l’intérêt des éduc. C’est sa boussole : « A un moment donné, il faut se positionner. Et il faut d’abord protéger les équipes », affirme-elle. La semaine passée, le directeur a traîné un peu des pieds. Mais il finit par se laisser convaincre. « C’est bien qu’il y ait eu ce Codir », dit-il.

Le management selon Céline Mons, c’est une aussi une petite démocratie participative.

« Parfois, on n’est pas d’accord, mais elle est ouverte au dialogue : il y a toujours moyen de revenir à la charge. Elle prend en compte les ressentis de chacun avant de décider. Quand elle a pris une décision, que c’est acté en Codir, elle s’y tient », résume Ludovic Bénard, qui dirige deux Mecs dans l’association.

 

3. Le talent de motiver

Le turn-over de l’association de Thiétreville ? 5 %. Un taux infime pour un secteur qui peine à recruter et à fidéliser. La politique mise en œuvre par la DG n’y est pas complètement étrangère. D’abord, contrairement à d’autres responsables d’association, elle explique avoir peu de difficultés à embaucher de nouvelles recrues… à condition de ne pas exiger des candidats qu’ils aient en poche un DEES (diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé). « Les salaires sont trop bas par rapport à l’investissement que suppose l’internat. Même en milieu ouvert, c’est difficile : on se sent seul face à une situation. Et les structures ont de moins en moins la possibilité de mettre en place des binômes. Alors nous recrutons beaucoup de jeunes issus des quartiers difficiles qui ont un brevet d’éducateur sportif : ils travaillent volontiers avec un public difficile. »

Une fois dans le grand bain, les nouvelles recrues comme les anciens bénéficient d’un accompagnement et de formations régulières sur la gestion de conflit, la communication non violente, les écrits professionnels, l’animation d’un groupe de parole, etc. Autrement dit, ils acquièrent des compétences sans être bloqués s’ils se lassent.

« Mais dès qu’il y a des postes à pourvoir dans l’association, à compétences égales, je favorise toujours la candidature interne », ajoute Céline Mons. Un système de mobilité transversale entre les différentes composantes de l’association qui permet, par exemple, à des éducateurs en Mecs de glisser vers des structures plus souples où l’on n’est pas consigné un week-end sur deux.

L’inverse est aussi encouragé : « Aurore a accepté de sortir du Sessad pour aller en Mecs, c’est une preuve d’engagement. »

Enfin, la dernière touche de sa politique RH, c’est que la mobilité, ça fonctionne aussi de bas en haut. Les cadres sont le plus souvent d’anciens éducateurs… comme elle.

 

4. Le don de rassembler

Pas toujours évident de faire travailler ensemble des structures aussi disparates que des Mecs, un Sessad, un CER (centre éducatif renforcé), des services de soutien à la parentalité. Mais la directrice sait rassembler les équipes et les gens qui les composent.

« Avant son arrivée, on ne se connaissait pas, on ne se parlait pas entre services. Nous fonctionnions par unité, il n’y avait aucun esprit d’association, aucune économie d’échelle, raconte Valérie Izabelle, directrice du dispositif Itep (institut thérapeutique, éducatif et pédagogique). Aujourd’hui, Céline est reconnue par l’ensemble des salariés. Elle était attendue, et elle est entendue. »

Céline Mons a fait évoluer l’association en travaillant de manière collégiale. Une philosophie qu’elle compte aussi appliquer au Cnaemo.

 

5. La capacité de s’adapter

Sous sa direction, l’association de Thiétreville s’est étoffée de plusieurs structures. Parmi celles-ci, un dispositif de soutien à la parentalité au Havre. L’association rurale s’est ainsi étendue en zone urbaine. Etonnant ? Non, logique pour Céline Mons : « On a beaucoup de dossiers qui arrivent du Havre. Pour perdurer, il faut répondre aux besoins du territoire. Plutôt que prendre ces enfants en internat ou en service de jour avec des temps de transport interminables, il vaut mieux les suivre dans leur environnement. »

 

6. L’énergie d’innover

« Elle a dix idées par jour », s’amuse une de ses collaboratrices. Le redéploiement des activités vers des structures expérimentales comme le salon Parentali’thé est aussi une des marques de fabrique de Céline Mons. Elle a le goût d’éprouver des méthodes et des outils qui ont fait leurs preuves dans d’autres milieux. A l’image des salles multisensorielles, découvertes à l’Arred pour apaiser les polyhandicapés, qu’elle a implantées sur les terres du Logis Saint François pour des enfants eux aussi atteints de troubles du comportement.

Cette capacité à innover a fini par la faire remarquer. Harmonie Mutuelle, qui soutenait les initiatives innovantes de l’association, a proposé la directrice à un concours d’entrepreneuses : le trophée Les Femmes de l’économie, en 2017 en Normandie. Seule concurrente issue de l’économie sociale et solidaire, au milieu de business women qui remplissent plus volontiers les pages des Echos que celles des ASH, elle a fini médaille d’argent.

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7. Le goût d’enjoliver

C’est peut-être un détail pour vous, mais on ne peut pas dire que les établissements sociaux et médico-sociaux soient des écrins d’élégance et d’esthétique. Maintenant, allez faire un tour au siège de l’association de Thiétreville, et vous découvrirez que la décoratrice, une certaine Céline Mons, a créé un univers de travail qui ressemble plus à une boutique d’hôtel qu’à un immeuble de bureaux. Et ça ne coûte pas un pognon de dingue ! Les panoramiques qui métamorphosent les murs viennent de chez Leroy Merlin, les fauteuils, les lampes et les accessoires sont chinés dans des vide-greniers. Quant au bureau vintage de la DG, « c’est la table de la salle à manger de mes grands-parents ».

C’est peut-être un détail pour vous, mais travailler dans un bel environnement, ça change tout.

 

8. Le besoin de prendre soin

Madame la directrice générale et désormais présidente a un atout structurant : comme elle sait de quoi elle parle, ses décisions sont d’autant plus respectées. « Sa grande force est qu’elle sort du terrain. Elle sait ce qu’on vit, donc elle est écoutée », résume Ludovic Bénard. Et quand elle évoque le terrain, c’est souvent pour suivre sa boussole : l’intérêt de son équipe (voir le point 2).

« Les éduc ne mesurent pas la solitude du milieu ouvert », explique-t-elle en plein Codir pour étayer une décision. Les cadres de l’association témoignent à l’unisson qu’elle a mis en place un climat différent, en travaillant beaucoup sur la qualité de vie des troupes : « Quand on en discute avec d’autres structures, on se rend compte qu’elle a développé beaucoup plus de choses qu’ailleurs pour l’équipe. »

Des exemples ? Une infirmière d’Harmonie Mutuelle vient soulager les maux de dos des chauffeurs, des agents techniques ou des maîtresses de maison. Des ateliers de réflexologie et de sophrologie ont été proposés aux professionnels qui, ensuite, transmettent ces pratiques aux gamins. Des comités de bientraitance ont même été mis en place, les salariés avec des enfants handicapés ont droit à des jours en plus… En d’autres termes, et c’est aussi ce qui explique le faible turn-over, l’association ne se contente pas de faire du social pour l’extérieur, elle applique à l’intérieur un certain état d’esprit du « care ».

 

Ce qu'ils disent d'elle : Paroles de pros

« Présider, ce n’est pas diriger. C’est dire des choses en rondeur. Puis trancher sans casser les équipes. Il faut réfléchir vite et être stratège car il faut gérer des équilibres précaires et fragiles entre des militants, des bénévoles. Céline est DG depuis longtemps, elle a une bonne base pour ce rôle, elle est légitime. Elle fait partie des deux ou trois personnes qui pouvaient me succéder.

Une de ses particularités, c’est aussi qu’elle a une ouverture vers d’autres champs. Elle voit au-delà de la protection de l’enfance. Ce n’est pas que de la théorie, c’est de la praticité. Elle fait partie des gens qui l’expérimentent tous les jours. C’est intéressant de pouvoir donner des exemples concrets aux bénévoles… comme aux politiques. »

Salvatore Stella, ex-président du Cnaemo, directeur général adjoint ADSEA-AFI, vice-président de la Cnape.

 

« Nous étions éducatrices ensemble, nous nous connaissons depuis trente ans. Elle a une bonne connaissance du terrain et n’a pas choisi ce métier par hasard. Nous faisons partie d’une génération militante. Notre engagement est même soutenu par le conseil d’administration, y compris pendant les grèves sur la revalorisation du métier. Céline a accentué l’ouverture de l’association sans lui faire perdre son identité. Les financeurs savent qu’on ne monte pas au créneau pour un oui ou pour un non, aussi restent-ils à l’écoute. Ils sont aussi réceptifs grâce à la gestion financière rigoureuse et au souci de transparence qu’elle a insufflés : nous ne cachons pas nos problèmes avec un éducateur ou un jeune suivi. Ça aide à établir une confiance. Même si ça correspond aussi à une époque, elle respecte le cadre législatif et le droit du travail, ce qui favorise la reconnaissance des partenaires. »

Valérie Izabelle, directrice du dispositif Itep

 

« Venir du terrain, c’est sa force. Au Cnaemo, elle peut faire le lien entre les idées qu’elle défend et le travail de terrain des professionnels. Ses atouts sont son énergie et sa détermination. Quand elle veut quelque chose, elle ne lâche rien. »

Virginie Maraine, cadre de gestion.

 

« Je travaille avec Céline Mons depuis 2000. Elle est exigeante. Mais elle est aussi vraiment très à l’écoute. Parfois, on n’est pas d’accord, mais elle est ouverte au dialogue : il y a toujours moyen de revenir à la charge. »

Ludovic Bénard, directeur de deux Mecs.

 

 

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