A aucun moment, les voix de Kevin, Justine et Amandine ne sont audibles. Pourtant, au travers des réponses formulées par Romain, un éducateur nantais du service extérieur de la fondation La Vie au grand air, l’auditeur devine sans peine les difficultés, les doutes et le cheminement de ces adolescents et jeunes adultes hébergés en studio. C’est pour mettre en lumière ce public et les professionnels qui l’accompagne quotidiennement que Sarah Michel, elle-même psychologue au sein de la fondation, a imaginé le documentaire audio « L’appel à l’autre ». Une minisérie en quatre épisodes, créée avec la réalisatrice sonore Manon Ribat et produite par l’association Pop’Media, qui rend compte des conversations téléphoniques passées dans le cadre du travail éducatif de Romain.
« Tout est parti de ma propre expérience, se souvient la psychologue. De mon bureau, la porte ouverte, j’ai moi-même été amenée à entendre des appels entre les éducs et les jeunes. Il m’est arrivé d’arrêter la tâche que j’effectuais pour tendre l’oreille et essayer de comprendre la situation. D’une part, parce que c’est mon travail de soutenir les éducateurs lorsqu’ils gèrent des moments délicats, de détresse ou de colère. Mais pas seulement, car je me suis déjà prise à écouter des conversations avec des jeunes qui n’étaient pas de mon service. Je me suis alors dit que je ne devais pas être la seule à entendre ça, qu’il était important de partager ces moments. »
Long travail d’enregistrement
Au cœur de la pandémie, la professionnelle en « colère » de voir le champ de la protection de l’enfance invisibilisé peaufine son projet. L’équipe en parle ensuite aux jeunes suivis par le service et recueille l’accord de plusieurs d’entre eux. « Nous avons enregistré des appels entre juillet 2021 et avril 2022, cela a été un travail au long cours, détaille Sarah Michel. Ce qui était super c'est que les jeunes ont un peu oublié l’existence du projet au fil du temps. Lorsqu’ils s’adressaient à Romain, ils étaient pleinement dans la conversation, c’était pris sur le vif. »
De ces heures d’enregistrement aboutiront quatre épisodes d’une dizaine de minutes chacun. Un temps suffisant pour deviner en négatif les problématiques récurrentes et les nombreux échanges antérieurs avec l’éducateur. « Ces conversations symbolisent la disponibilité de l’équipe à l’égard des jeunes, assure Sarah Michel. On comprend également la manière dont les professionnels composent avec ce que les ados sont prêts à donner sur le moment. Ils n’ont d’exigence que le maintien du lien ».
A l’heure de Snapchat et TikTok, ce podcast est aussi un moyen de redonner ses lettres de noblesse aux simples appels téléphoniques, « supports » à part entière de la relation, selon la psychologue. « Le téléphone est un outil permettant aux éducateurs de se montrer présent sans pour autant être trop sur le dos des jeunes, observe Sarah Michel. En écoutant les épisodes, on s’aperçoit qu’il est possible de transmettre énormément de choses en l’espace d’un coup de fil. »
>> Le podcast « L’appel à l’autre »