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Comment faire face au tsunami (IP 3/5)

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Sur les étagères de la Crip de Seine-Saint-Denis

Crédit photo Stéphanie TROUVE @Tema Agence
L'augmentation des informations préocupantes bouleverse le quotidien de l’ensemble des travailleurs sociaux, accaparés par des missions d’évaluation pour lesquelles ils n’ont pas toujours été formés. Mais face à la complexité du dispositif, des départements agissent, s’adaptent et innovent.

Quelles qu’en soient les causes, une chose est sûre, l’accroissement du nombre d’informations préoccupantes a des conséquences sur le quotidien des travailleurs sociaux. En tout premier lieu, par la difficulté que constitue l’évaluation pour des professionnels qui, dans leur grande majorité, n’ont bénéficié que de quelques heures de formation en protection de l’enfance. Et restent conditionnés par le prisme de l’alliance avec les publics, difficilement compatible avec la neutralité qu’impose une information préoccupante et, à plus fort degré, une évaluation. « Avant notre réorganisation, les équipes d’évaluation commençaient par faire de la prévention, c’est-à-dire tout simplement leur travail, analyse Catherine Gilardeau. Tiraillées entre l’évaluation et l’accompagnement, elles amalgamaient leurs deux missions, en tentant de proposer des solutions aux familles avant de rendre leurs conclusions. Il n’y avait plus de limites et on se retrouvait parfois avec des évaluations qui duraient entre six et neuf mois au lieu des trois imposés par la loi. »

Sur tous les fronts

Assistante sociale de secteur depuis 2019, Océane Motay a bénéficié, comme plusieurs de ses collègues, de nombreuses formations par le département du Morbihan pour se spécialiser dans l’évaluation pendant un an. « Avant cela, il m’était difficile de gérer l’inquiétude et la colère que les familles ressentaient au moment de l’évaluation, et de repérer celles qui, déjà habituées aux travailleurs sociaux, savent donner le change. A l’école, on ne nous apprend pas non plus à rédiger des écrits. Ni à mener un entretien avec les enfants, exercice spécifique très dur à réaliser sans les outils que l’on m’a fournis pendant mes formations continues », se souvient-elle. Revenue aujourd’hui à la polyvalence, Océane Motay regrette le temps où elle ne se consacrait qu’aux IP : « La protection de l’enfance devient la priorité du secteur et le reste passe un peu à la trappe. Les IP occupent 40 % de mon temps et je ne peux pas faire de la prévention autant que nécessaire. Du coup, j’ai un peu l’impression d’être partout à la fois, sans être efficace nulle part. »

Même chose pour les Crip. Entre le recueil des IP, la mise en place d’un premier filtre pour écarter les alertes, les envois au commissariat ou au parquet – susceptible de leur renvoyer leur demande s’il estime avoir besoin d’une évaluation –, les renforts pour aider à résorber l’engorgement des évaluations, les conseils techniques aux professionnels en contact avec les enfants et les opérations de sensibilisation de ces mêmes professionnels, leurs équipes prennent des allures d’armées de Shiva. Et à force d’être sur tous les fronts, peinent à remplir toutes leurs missions. « La masse d’IP à traiter ne me laisse pas soutenir mon équipe, ni sensibiliser les signalants autant que je le voudrais », déplore Chloé Leray. Entraînant du même coup une hausse des IP inadaptées et un surcroît de travail, dans un cercle infernal harassant. « Les travailleurs sociaux sont épuisés par la multiplication des situations et des missions », regrette Pascal Vigneron.

Pour gagner en efficacité, les Crip ont entamé leur mue. A l’image de celle de la Gironde, qui a doublé ses effectifs, passant de 9 à 18 postes, dont un de « chargée de la qualité de l’information » pour dresser une image réelle de la situation dans le département. En outre, neuf équipes dédiées à l’évaluation, une pour chacun des pôles territoriaux de solidarité du département, ont été créées. Bénéficiant elles aussi de nouveaux postes, étoffant l’équipe de 15 à 24 personnes en deux ans, la Crip de Seine-Saint-Denis s’est dotée d’une cellule spécialisée en évaluation (voir le reportage page 38). Le département du Nord, lui, a récemment engagé une expérimentation de la délégation de l’évaluation des IP à ses partenaires associatifs dans le cadre d’un plan d’urgence lancé en juin 2022. Et la Crip du Morbihan a formé de nombreux professionnels de première ligne pour les aider à améliorer leurs pratiques en matière d’évaluation.

« Désormais, dans 95 % des nouveaux cas, on est dans les temps », se réjouit Catherine Gilardeau. Une performance malheureusement parfois sans effet, quand le reste du secteur n’est pas en mesure d’appliquer les recommandations des évaluateurs. « Malgré la hausse et la meilleure qualité des évaluations, il y a un manque de moyens pour les convertir en mesures, regrette Océane Motay. Même si l’aide sociale à l’enfance reste en veille sur les situations où on sait qu’il y a danger, si rien ne peut être mis en place, cela crée une frustration. » Et un risque de voir les situations se dégrader un peu plus, entraînant le déclenchement de nouvelles IP, qui viennent grossir les statistiques.


Comment faire face à l'explosion des IP : toute notre enquête

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2. Les professionnels déboussolés
3. Comment faire face au tsunami
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