Les départements sont bien partis pour faire les frais de la course gouvernementale à l’équilibre budgétaire. Le discours de politique générale de Gabriel Attal du 30 janvier dernier a été accueilli par une douche froide par les élus départementaux. L’annonce, inattendue et non concertée avec les principaux intéressés, de la suppression de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) et le transfert de ses quelque 321 000 bénéficiaires vers le revenu de solidarité active (RSA), à la charge des départements, a soufflé un vent de panique.
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Budgétaire, en premier lieu. Car ce transfert de responsabilité devrait se traduire, selon les calculs de Départements de France, l’association regroupant les élus de ces territoires, par une dépense supplémentaire de 2,1 milliards. Et ce, alors que les départements ne disposent quasiment plus de ressources fiscales propres et que les dotations que leur accorde l’Etat pour le versement du RSA ne couvrent que la moitié des dépenses. « C’est une vision terrible quant au manque de respect de l’Etat pour les collectivités territoriales », s’indigne Stéphane Viry, député (LR) d’Epinal et élu départemental des Vosges.
« Une catastrophe à moyens constants »
Alors, partout, on sort les calculettes pour déterminer combien de nouveaux allocataires seront à prendre en charge. Dans le Pas-de-Calais, le transfert s'appliquerait à 6 500 bénéficiaires de l’ASS qui pourraient ainsi basculer vers le RSA qui concerne déjà plus de 45 000 foyers. Soit une dépense supplémentaire annuelle de 45 millions. « A moyens constants et sans aucune visibilité sur d’éventuelles aides de l’Etat, ce serait une catastrophe », avertit René Hocq, vice-président PCF de la collectivité. En Vendée, où le taux de chômage n’est que de 6 % et le nombre d’allocataires du RSA plafonne à un peu plus de 6 100, la bascule de l’ASS entraînerait le besoin d’indemniser près de 1 230 nouveaux inscrits. Jouable, mais pas sans conséquences sur les finances du territoire qui devra rééquilibrer ses pôles de dépenses.
En Seine-Saint-Denis, ce seraient 7 000 nouveaux allocataires qui viendraient se joindre aux 83 000 indemnisés déjà pris en charge par le département. Et encore y aurait-il de la perte en route, prévient Mélissa Youssouf, la vice-présidente écologiste à l’insertion de la collectivité. Selon ses calculs, sur les 9 500 bénéficiaires de l’ASS actuellement recensés, 2 500 dépasseraient le plafond de revenus pour être éligibles au RSA. « Que deviendront ces personnes qui sortiraient des radars ? », s’alarme l’élue. Dans ce département, la question du financement est particulièrement sensible.
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Depuis plus d’un an, le département est engagé dans une expérimentation de renationalisation du RSA dans le cadre d’une convention mise en place avec l’Etat. Ce dernier prend en charge le paiement de la prestation sociale en échange de quoi, la collectivité territoriale a accepté de doubler son budget dédié à l’insertion, le faisant passer de 23 à 46 millions. De quoi financer un réseau local d’agences d’insertion ou donner un sérieux coup de pouce aux dispositifs d’insertion par l’activité économique (dont le budget a grimpé de 900 000 à 3 millions d’euros) et acheter 13 000 places de formation pour les demandeurs d’emploi, mais aussi de redouter toute remise en question de ce fragile équilibre. C’est d’ailleurs à ce titre que le département s’est retiré, en mars 2023, de l’expérimentation sur le conditionnement du versement du RSA à quinze heures d’activité hebdomadaires.
Pas de bilan de l'expérimentation sur l'accompagnement
C’est justement l’autre pomme de discorde entre l’exécutif et les départements. Le discours de politique générale du Premier Ministre a rappelé la généralisation prévue de cette disposition de la loi Plein Emploi dès 2025 alors même qu’aucun bilan n’a été tiré de l’expérimentation en cours dans 18 territoires (qui, à la fin du mois, doit être étendue à 47). De quoi irriter plusieurs des départements engagés dans cette phase de test. La Loire-Atlantique, l’Ille-et-Vilaine et la métropole de Lyon, toutes dirigées par des exécutifs de gauche, ont d’ailleurs immédiatement fait connaître leur opposition aux intentions de Matignon.
"Les quinze heures d'activité ne sont pas un totem"
« L’État s’est engagé à soutenir les expérimentations jusqu’à la fin de l’année 2024 sans imposer un minimum d’heures obligatoires. Il n’est donc pas question pour nos trois collectivités d’appliquer le conditionnement du RSA à 15 heures d’activités avant que la loi nous y oblige au 1er janvier 2025. La loi plein emploi a été adoptée sans tenir compte des résultats des expérimentations menées dans les départements. Ces dernières montrent pourtant que ce sont les moyens financiers et humains qui font la différence et non les menaces de sanctions sur les allocataires qui ne fait que renforcer le non-recours. Le RSA est un dispositif d’insertion mais aussi de solidarité et c’est ce que nous défendons » ont fait savoir les départements réfractaires dans un communiqué commun début février.
« Les 15 heures d’activité doivent rester un maximum, pas un totem », affirme pour sa part Stéphane Viry. S’il approuve le principe de l’accompagnement renforcé et des sanctions associées pour ceux qui ne joueraient pas le jeu, le député vosgien a, durant l’examen parlementaire du projet de loi Plein Emploi, porté plusieurs amendements au texte afin de laisser une importante marge de manœuvre aux collectivités départementales dans leur mode de suivi des signataires d’un contrat d’engagement pour tenir compte à la fois des spécificités des territoires, mais aussi des situations individuelles.
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« Il y a des gens qu’on ne peut pas immédiatement remettre en entreprise car elles ont besoin qu’on les aide à lever certains freins périphériques liés au logement, à la mobilité ou même à la santé », abonde Isabelle Duranteau, vice-présidente divers-droite du conseil général de Vendée. Son territoire est d’ailleurs l’un des départements candidats à la seconde phase de l’expérimentation afin de confronter le plan d’insertion de la collectivité – budgété à 8 millions d’euros et comprenant plusieurs volets liés à la remobilisation des chômeurs, au logement ou à la mobilité – au cahier des charges de France Travail.
Même discours dans le Pas-de-Calais où l’on veut se tester avant de plonger dans le grain bain en 2025. « Nous sommes un département plutôt exemplaire en matière d’insertion : en 2022, nous sommes parvenus à aider 9500 bénéficiaires du RSA à retrouver le chemin de l’emploi », se félicite René Hocq. Reste à voir si le gouvernement consentira à laisser les départements capitaliser sur cette expérience en leur laissant la main sur l’organisation du dispositif ou s’il s’en tiendra au strict texte de la loi…
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