La fin de vie dans un contexte d’affection ou de maladie grave et incurable est un sujet prégnant, touchant à l’intime et à l’organisation sociale dans son ensemble. Elle laisse une large place aux innombrables questions d’ordre éthique et juridique, sans manquer de convoquer les convictions religieuses.
Si le droit de donner la vie ne pose aucune difficulté et s’accompagne ensuite du droit à la vie, protégé au titre des droits fondamentaux, qu’en est-il à l’autre extrémité de l’existence ? La loi française est claire : le droit à la vie n’entraîne pas de façon diamétralement opposée le droit pour quiconque de disposer de sa vie et d’organiser sa mort, pas plus d’ailleurs que le fait de donner la mort à autrui(1).
Des revendications ont enflé, au fil du temps, invoquant la notion de « respect de la vie privée » et celle de « dignité », face à la maladie et au handicap incurables. Une première loi de 1991 puis une autre de 1999 ont introduit et entendu garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs ; mais surtout une première loi « Bioéthique » de 2005 a créé la possibilité de rédiger des directives anticipées, précisé que les actes médicaux « ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable », invoqué la « dignité du mourant », et insisté sur le bénéfice des « soins palliatifs » ; enfin une seconde loi « Bioéthique » de 2016 a installé le droit pour toute personne à une « fin digne et apaisée », en inscrivant dans les textes la possibilité d’une « sédation profonde et continue », sous conditions…
Mais l’histoire s’accélère. Le sujet est loin d’être clos, car des voix toujours plus nombreuses militent pour écorner le principe de l’interdiction de l’euthanasie, à tout le moins pour accéder au suicide assisté, nécessairement encadré.
Pour poser le débat, l’Etat a ainsi mis en place fin 2022 la Convention citoyenne sur la fin de vie, chargée d’interroger le cadre actuel de l’accompagnement de la fin de vie et son adaptation aux différentes situations individuelles. Ce dossier se donne pour objectif de faire un retour sur l’état actuel du droit positif en la matière, entre réalités des soins palliatifs, directives anticipées et droit à une fin de vie apaisée, à l’aune des propositions émises par la convention à la fin de ses travaux, le 2 avril dernier, prélude à une évolution éventuelle mais majeure de la loi, notamment sous l’effet de l’introduction dans le droit français de l’aide active à mourir, sous la forme du suicide assisté et/ou de l’euthanasie.
I. L’état du droit positif : une fin de vie digne encadrée par la loi
Le droit positif se caractérise toujours par la prohibition de recourir à l’euthanasie ou au suicide assisté, en dernier lieu par la loi « Claeys-Leonetti » n° 2016-87 du 2 février 2016. Plusieurs lois, en revanche, ont multiplié les droits en faveur des malades et des personnes en « fin de vie », cette dernière visant précisément la phase « avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, qu’elle qu’en soit la cause » (cancer, sclérose en plaques…).
Trois rubriques sont envisagées, pouvant se conjuguer et prévoyant des dispositifs légaux contribuant à rendre la fin de vie moins douloureuse, dans le respect des choix et de la dignité. En tout état de cause, « toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté » (code de la santé publique [CSP], art. L. 1110-5, al. 2).
A. Soins palliatifs
« Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage » (CSP, art. L. 1110-10).
Plus concrètement, ces soins ont pour objet d’aider à maintenir une qualité de vie digne des patients atteints d’un handicap ou d’une maladie grave, voire mortelle, par la prévention et le soulagement de toute souffrance : physique (douleurs diverses, difficultés respiratoires…), psychologique (détresse, anxiété, dépression…), existentielle (sens de la vie, bilan de cette dernière…).
Ils comprennent non seulement les soins médicaux assurés par les professionnels soignants – soins purement curatifs –, mais également l’accompagnement global de la personne malade par les personnes intervenant à ses côtés (famille, proches, médecins traitants, psychologues, assistants de service social, bénévoles…), et un soutien relationnel et social des proches.
Mis en œuvre de façon empirique dans les années 1980 par les praticiens de santé, ils ont été promus par la loi n° 91-748 du 31 juillet 1991 dans les établissements de santé, renforcés par la loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs et la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
Bien que constituant des progrès dans la prise en compte de la fin de vie, le droit aux soins palliatifs tarde à s’appliquer pleinement, qualitativement et quantitativement : carences en termes de moyens, de formation des professionnels, inégalités territoriales. Un rapport du Sénat de 2021 déplorait un droit loin d’être effectif pour tous, pointant un accès insatisfaisant, un déploiement insuffisant des parcours de prise en charge palliative en hôpital et hors hôpital. Et préconisait un renforcement significatif de l’offre de tels soins, et même un « changement de culture à l’égard des soins palliatifs », des personnels soignants à la société en son entier(1).
B. Directives anticipées
La loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (dite loi « Leonetti ») a consacré les directives anticipées, avant que ces dernières ne soient renforcées par la loi « Claeys-Leonetti » du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Ainsi, « toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux. A tout moment et par tout moyen, elles sont révisables et révocables » (CSP, art. L. 1111-11, al. 1er et 2).
Et la loi d’ajouter : « Les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale. La décision de refus d’application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l’issue d’une procédure collégiale » (CSP, art. L. 1111-11, al. 3 et 4).
Enfin, le médecin traitant informe ses patients des possibilité et conditions de rédaction de directives anticipées (CSP, art. L. 1111-11, al. 6).
A noter : « Lorsqu’une personne fait l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne, elle peut rédiger des directives anticipées avec l’autorisation du juge » (CSP, art. L. 1111-11, dernier al.). Ainsi la personne protégée sous régime de curatelle ou de sauvegarde de justice peut-elle seule procéder à la rédaction des directives, celle sous mesure de tutelle devant obtenir l’accord du juge. Les directives anticipées établies avant l’adoption même d’un régime de protection demeurent effectives.
Les directives anticipées ne sont pas le seul apport majeur de la loi de 2005 puisque ce texte a mis en avant la notion d’« obstination déraisonnable », qui n’est pas sans lien avec les directives (voir ci-après).
Le bilan de l’application de ce dispositif depuis 2005 est très contrasté, objet de critiques : manque patent d’informations des citoyens, rareté dans les faits de ces directives anticipées.
C. « Obstination déraisonnable » et « sédation profonde et continue »
1. Les lois « Leonetti », « Claeys-Leonetti » et le rejet de l’« obstination déraisonnable »
Selon la loi du 22 avril 2005 enrichie par la suite par la loi du 2 février 2016 : « Les actes [de prévention, d’investigation ou de traitements et de soins] ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d’état d’exprimer sa volonté, à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire.
La nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés […].
Lorsque les actes [de prévention, d’investigation ou de traitements et ceux liés à la nutrition et l’hydratation artificielles] sont suspendus ou ne sont pas entrepris, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins palliatifs […] » (CSP, art. L. 1110-5-1).
Dans l’hypothèse d’un maintien artificiel de la vie, tout patient est ainsi en droit de refuser soins et traitements, y compris en cas de risques vitaux pour sa vie à court terme, prétendant alors aux soins palliatifs ; les professionnels de santé peuvent en outre interrompre, après une décision collégiale, lesdits traitements d’un patient qui n’est plus en état d’exprimer sa volonté, si la poursuite de ceux-ci n’a plus ni sens ni utilité sur un plan médical.
2. La loi « Claeys-Leonetti » et la « sédation profonde et continue jusqu’au décès »
La loi de 2016 franchit un nouveau pas, en allant plus loin que le refus de l’obstination déraisonnable. Elle autorise, à la demande du patient et jusqu’au décès, l’administration d’une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience, associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements. Cette sédation est mise en œuvre dans les cas suivants (CSP, art. L. 1110-5-2, al. 1er) :
• lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire aux traitements ;
• lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pronostic vital à court terme et est susceptible d’entraîner une souffrance insupportable.
A noter : Selon la Haute Autorité de santé, « court terme » vise un délai de « quelques heures ou quelques jours qui viennent »(1). Une notion considérée comme très restrictive par certains, car elle écarte du dispositif de « sédation profonde et continue » les personnes atteintes de maladies incurables génératrices de souffrance ou celles en état végétatif dont la vie n’est pas immédiatement sous la menace « à court terme ».
En l’absence d’expression de la volonté du patient, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une « sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès, associée à une analgésie » (CSP, art. L. 1110-5-2, al. 2).
La sédation peut être réalisée en établissement de santé, au domicile ou dans les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale.
Autant ces dispositifs demeurent centraux car seuls applicables, autant on critique leurs faiblesses, des griefs repris dans les conclusions rendues par la Convention citoyenne sur la fin de vie.
Pour nombre d’acteurs et d’observateurs, il serait temps de franchir un nouveau palier inédit, instruits, entre autres, par de nombreux cas particuliers n’ayant pu trouver de solutions satisfaisantes et par des affaires très médiatisées – les affaires « Bert » et « Lambert » – ayant frappé les esprits.
II. Contenu des recommandations de la Convention citoyenne sur la fin de vie
Nous retiendrons deux axes forts des recommandations de la Convention citoyenne sur la fin de vie : le renforcement des outils existants de l’accompagnement de la fin de vie, mais surtout l’ouverture de l’accès à l’aide active à mourir, pointant peut-être une future révolution de notre droit.
A. Mission de la convention
« Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? » Telle était la question soumise par la Première ministre Elisabeth Born à la Convention citoyenne sur la fin de vie, mise en place fin décembre 2022. Il revenait aux citoyens tirés au sort de mener des débats et de faire des propositions d’évolution du droit en la matière. La convention citoyenne a achevé ses travaux le 2 avril et remis son rapport final au président de la République(1).
Ses membres ont répondu majoritairement par la négative à la question de l’adaptation du cadre actuel de l’accompagnement et positivement aux changements indispensables, en se prononçant notamment en faveur d’une « aide active à mourir », jugée « nécessaire », sous certaines conditions.
B. Améliorer et renforcer les dispositifs existants
Un premier axe des conclusions consiste à prendre acte d’un consensus très fort autour de la nécessité de renforcer les soins palliatifs et autres dispositifs existants, considérés comme défectueux pour divers motifs, insuffisamment mis en œuvre, et ne remplissant finalement pas leur mission.
Il ressort alors des conclusions la nécessité d’un nouvel élan pour l’accompagnement en fin de vie, signifiant une pleine application du cadre actuel et son renforcement, indépendamment des choix à opérer en matière d’aide active à mourir (AAM). Neuf thèmes sont mis en exergue :
• respecter (mieux et pleinement) le choix et la volonté du patient : les choix des patients ne sont pas toujours clairs, pas efficacement pris en compte, surtout dès lors que les patients sont inconscients ou mineurs, les divergences entre professionnels n’étant en outre pas rares (ex. : « des situations d’obstination déraisonnable peuvent exister, les décisions collégiales ne sont pas faciles à mettre en place, les directives anticipées et la désignation de la personne de confiance sont bien souvent inexistantes » ). Les conclusions insistent sur le libre arbitre et le choix des personnes (choix pouvant aller à l’encontre des avis médicaux, choix du cadre d’accompagnement de sa fin de vie, et du lieu de celle-ci), la création d’un parcours d’orientation médico-psycho-social pour les éclairer, l’affermissement des directives anticipées et leur actualisation régulière, l’amélioration concrète de la communication et de la coordination entre professionnels… ;
• développer l’accompagnement à domicile : les accompagnements à domicile sont pour l’heure assez peu nombreux, matériellement difficiles à mettre en œuvre. On appelle en conséquence au développement de ce type d’accompagnement par des actions conjointes et coordonnées facilitant son accès. Sont abordés les thèmes de « projet de soin » dans le cadre du domicile, de l’apport de l’accompagnement des aidants et des associations de bénévoles habilitées pour les personnes isolées, de la sédation profonde et continue à domicile (information substantielle et réitérée au profit des proches..)… ;
• garantir les budgets : le domaine de l’accompagnement de fin de vie n’échappe pas au manque de moyens humains et matériels. Il est entre autres évoqué un « effort considérable [devant] être fourni pour pouvoir disposer des moyens nécessaires à un accompagnement de la fin de vie pour tous et partout », tandis que Nathalie Maka, par exemple, membre du Collectif Solidarité Charcot, intervenante dans les travaux de la commission, assène : « La souffrance psychique des malades et des aidants n’est pas prise en charge correctement à ce jour, à cause d’un manque de moyens, sans oublier la souffrance des soignants. » Pour y remédier, il est indiqué le nécessaire renforcement du budget dédié aux soins palliatifs, à l’amélioration des conditions de travail des professionnels tout au long du parcours de soins et à l’augmentation des salaires et des effectifs des professionnels de santé ;
• ouvrir et faciliter le recours aux soins palliatifs : il est déploré un accès inégal des soins palliatifs sur l’ensemble du territoire national (21 départements ne sont toujours pas dotés d’unités de soins palliatifs), l’insuffisance du nombre d’équipes mobiles pour de tels soins, à domicile, en secteur hospitalier et dans les structures de type Ehpad, le manque de places et/ou de personnels dans les structures déjà dédiées, des carences dans la coordination territoriale entre les acteurs du secteur… On relève, parmi les très nombreuses recommandations à ce sujet, la promotion d’un maillage territorial plus efficace pour l’application du droit à l’accès aux soins palliatifs et une « couverture exhaustive des besoins », l’accès à ces soins dans tous les établissements hospitaliers, la prévision de budgets à hauteur des besoins identifiés, « avec aucun reste à charge », la création d’un fichier national des soins palliatifs, permettant une meilleure fixation des besoins et des conditions de prise en charge, le déploiement des soins palliatifs ambulatoires, en sus de l’hospitalisation et de l’accompagnement à domicile, la mise en avant des approches palliatives dans les Ehpad, via la formation du personnel et le soutien d’équipes mobiles de soins palliatifs, l’entrée plus ferme de la question « palliative » dans toutes les spécialités et disciplines médicales… ;
• garantir l’égalité d’accès à l’accompagnement de la fin de vie : face aux nombreuses disparités – d’ordre territorial, social, voire générationnel ou financière – dans l’accès à l’accompagnement de la fin de vie, et dans un souci d’équité et de cohésion sociale, il est recommandé l’édiction d’une loi portant droit opposable et universel à l’accompagnement à la fin de vie et aux soins palliatifs, l’établissement d’objectifs territoriaux de couverture exhaustive en soins palliatifs, le renforcement de l’accès à l’information pour tous pour un bon établissement des directives anticipées et la désignation une personne de confiance… ;
• informer le grand public : « L’information du grand public sur la fin de vie est aujourd’hui quasi inexistante. Corriger ce manque nécessite des actions vigoureuses », ou encore : « Il n’y a pas aujourd’hui de pratiques communes, recommandées ou homogènes, dans les différents lieux d’information possibles, que ce soit auprès des médecins traitants, dans les Ehpad ou même dans les pharmacies. En outre, la connaissance des soins palliatifs demeure très inégale selon les catégories sociales ou les statuts socio-professionnels. » Devant ce constat, la convention préconise des actions et des campagnes d’information et de sensibilisation auprès de tous les publics (réseaux sociaux, presse écrite, radio, spots TV, informations dans les salles d’attente, création d’un numéro de téléphone national d’information gratuit, Journée sur la fin de vie, information complémentaire dans les Ehpad…), et plus précisément sur le sujet des directives anticipées (temps de consultation spécifiques avec les médecins traitants, sensibilisation des assistants de service social, des infirmiers, des personnels de prison, de la médecine du travail, des mutuelles et caisses d’allocations familiales aux réalités et enjeux des directives)… ;
• renforcer la formation des professionnels de santé : la formation de nombreux types de professionnels mérite d’être approfondie et étayée. En effet, il est estimé que la formation initiale et continue des professionnels de santé sur la prise en charge de la fin de vie et les soins palliatifs n’est pas suffisante, qu’elle n’est que peu formalisée pour les aidants, en déficit pour les assistants de service sociaux, et surtout, et significativement, que la loi « Claeys-Leonetti », pourtant centrale, demeure peu connue et appliquée par les professionnels de santé. Pour ce faire, leur formation initiale et continue sur la prise en charge de la fin de vie, les soins palliatifs et la prise en considération de la douleur doit d’être étoffée ; il est recommandé de développer la présence de psychologues dans tous les lieux de fin de vie, la sensibilisation aux enjeux psychologiques de la fin de vie pour tous les professionnels de santé… ;
• améliorer l’organisation du parcours de soins de la fin de vie, en termes d’acteurs, de lieux, de parcours, d’accompagnement psychologique, de sédation profonde et continue : c’est tout un ensemble d’étapes qu’il convient de revisiter afin d’améliorer le « parcours de soins » (définition exacte des parcours de soins, renforcer l’approche pluridisciplinaire de la question de l’accompagnement, place des aidants…) ;
• intensifier l’effort de recherche et développement pour mieux prendre en charge la souffrance et développer les futurs remèdes : pour accompagner les progrès des connaissances et des pratiques, la convention encourage le renforcement des moyens dédiés à la recherche et développement, notamment la recherche fondamentale et publique, la mise en œuvre d’appels à projets, d’études statistiques…
C. Accès à l’aide active à mourir
Pour une majorité des membres de la convention (76 %), permettre à certains patients de mettre fin à leurs jours dans un cadre médical est « nécessaire » pour « mieux répondre à des situations de fin de vie insuffisamment couvertes par le système de soins actuel, même amélioré ».
Et cela passe par l’aide active à mourir, sous la forme du suicide assisté et/ou de l’euthanasie (active).
Mais y compris au sein de la convention, des nuances demeurent. Dans tous les cas, un « parcours d’accès à l’aide active à mourir, incluant conditions d’accès, garde-fous et mécanismes de contrôle » est nécessaire, est-il indiqué.
1. Suicide assisté et/ou euthanasie
« Suicide assisté » et/ou « euthanasie » sont les voies étudiées sous le vocable « aide active à mourir ». Les opinions et les nuances étant très nombreuses parmi les membres de la convention, on relève les positions suivantes :
• 71 % en faveur d’une possible aide active à mourir ouverte avec conditions (incurabilité, temporalité du pronostic vital engagé, âge, situation de souffrances réfractaires, discernement de la personne, demande éclairée et réitérée de la personne…) ;
• 22 % en faveur d’une possible AAM sans conditions ;
• nécessité de mettre en œuvre simultanément suicide assisté et euthanasie ;
• le suicide assisté doit prévaloir et l’euthanasie demeurer une exception (28 %) ;
• le suicide assisté et l’euthanasie doivent pouvoir être indifféremment choisis, au choix du patient (40 %) ;
• approbation majoritaire du fait que le parcours AAM ne doit être proposé qu’en dernier recours, toutes les options, c’est-à-dire les traitements et les accompagnements, ayant été testées et échoué.
A noter : Si l’opinion publique paraît favorable à faire entrer l’AAM dans le droit positif français, l’Ordre des médecins indiquait, dans un communiqué du 31 mars 2023, être « défavorable à la participation d’un médecin à un processus qui mènerait à une euthanasie » et demandait, en cas de légalisation du suicide assisté, une « clause de conscience spécifique ». De son côté, marquant une rupture avec ses positions antérieures, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a considéré qu’il « existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir », à de strictes conditions(1).
2. Parcours d’accompagnement et de soins global et encadré
Si les positions sont nuancées, il demeure un large point d’accord sur le besoin de définir un parcours d’accompagnement et de soins global et encadrant l’aide active à mourir, marqué par des « conditions d’accès, garde-fous et mécanismes de contrôle ».
a) Cadre et principes d’un parcours d’accompagnement et de soins global
Plusieurs principes sont entérinés. Le parcours doit :
• être indépendant, pouvant aussi cependant s’inscrire dans le cadre de soins palliatifs ;
• offrir un suivi précis, constant et rigoureux, de la demande de la personne jusqu’au contrôle a posteriori de l’acte ;
• être accessible sans discrimination d’aucune sorte, jalonné de nombreuses étapes, faisant intervenir des acteurs identifiés ;
• pouvoir s’interrompre à tout moment à la demande de la personne concernée ;
• donner un cadre légal à des situations d’exception ;
• être strictement encadré, contraint par une procédure collégiale et supervisé par une commission de contrôle.
b) Etapes clés des parcours
Cinq étapes clés sont mises en avant par les membres de la convention et doivent caractériser chaque parcours :
• expression de la demande libre et éclairée (proposition de pouvoir rédiger des directives anticipées par tous moyens, y compris sur le compte Ameli, succession d’une pré-demande puis d’une demande auprès d’un médecin, réitération après un délai de réflexion…) ;
• accompagnement médical et psychologique complet (accompagnement obligatoire amorcé par l’émission de la demande par une équipe pluridisciplinaire, rendez-vous multiples, y compris chez des psychanalystes et psychiatres…) ;
• évaluation du discernement indispensable et préalable à la validation de l’entrée dans le parcours d’aide active à mourir (évaluation avant validation de la demande, et entre celle-ci et la réalisation de l’acte…) ;
• validation de l’entrée dans le parcours d’AAM soumise à une procédure collégiale et pluridisciplinaire (fixation d’un « modèle d’accès à l’aide active à mourir », s’assurer que le parcours n’est proposé qu’en dernier recours…) ;
• réalisation de l’acte encadrée par le corps médical (préconisation de la possibilité de faire valoir une clause de conscience pour ne pas participer à la procédure de réalisation de l’acte).
c) Système de suivi et de contrôle
Il est préconisé le suivi et le contrôle de chaque parcours d’AAM assurés par une commission de contrôle qui en garantit une traçabilité. Elle serait compétente en aval, dès l’émission de la demande et lors de l’ensemble du processus pour s’assurer du respect de la procédure, et en amont, pour s’assurer du respect de la procédure une fois l’acte réalisé.
Eléments de définition
Le suicide assisté est le fait d’aider une personne à mettre fin à sa propre vie, en lui fournissant un environnement ou des moyens pour y parvenir ; il est mis fin aux souffrances de manière contrôlée et dans le respect des souhaits de la personne ; c’est la personne elle-même qui prend cette décision.
L’euthanasie vise l’acte d’un tiers qui consiste à mettre fin à la vie d’une personne souffrante de manière délibérée et en général sur demande de cette personne ; ce peut être l’acte de ce même tiers qui a également pris l’initiative d’abréger la vie de la personne souffrante, dans le cas où elle n’a plus la possibilité d’exprimer une volonté.
Des faits pénalement punissables en France
D’une part, l’euthanasie peut être sévèrement réprimée sur le fondement des articles 222-1 et 221-5 du code pénal : « Le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de 30 ans de réclusion criminelle », peu important le consentement de la victime, et « le fait d’attenter à la vie d’autrui par l’emploi ou l’administration de substances de nature à entraîner la mort constitue un empoisonnement […] puni de 30 ans de réclusion criminelle ».
D’autre part, il demeure impossible d’aider un patient à mourir, le suicide assisté pouvant être poursuivi pénalement, même s’il n’est pas une infraction à part entière. Le médecin ou professionnel de santé peut être poursuivi sur le fondement des articles 223-13 et 223-6 du code pénal : « Le fait de provoquer au suicide d’autrui est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsque la provocation a été suivie du suicide ou d’une tentative de suicide », et « sera puni des mêmes peines [notamment 5 ans de prison] quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours ».
Seule « la sédation profonde et continue », pouvant aller jusqu’à la mort, est autorisée par la loi « Claeys-Leonetti » de 2016 (voir page 18), permettant alors un cas d’euthanasie « passive », non punie mais possible sous de strictes conditions.
Après la remise des conclusions de la convention le 3 avril, le président de la République a fait plusieurs annonces. D’une part, devant les fortes critiques adressées aux dispositifs légaux en vigueur, il a évoqué un « plan décennal pour la prise en charge de la douleur et pour les soins palliatifs ». Le but est d’assurer un accès effectif et universel aux soins d’accompagnement à la fin de vie, de davantage intégrer en secteur hospitalier les soins palliatifs dans le parcours de soins, de mieux former les professionnels, de fixer un seuil de lits identifiés par territoire, de permettre un meilleur maillage par des équipes mobiles et de poursuivre le développement des soins palliatifs à domicile.
D’autre part, l’exécutif a annoncé un projet de loi concernant l’aide active à mourir, sous conditions, d’ici à la fin de l’été 2023, ouvrant la voie à une profonde avancée législative, si tant est que l’exécutif puis les parlementaires retiennent tout ou partie des recommandations.
(1) « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie » (C. civ., art. 16).
(1) Sénat – Rapport d’information sur les soins palliatifs n° 866 – 2020-2021 – 29 septembre 2021.
(1) HAS – « Guide du parcours de soins. Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ? » – Février 2018.
(1) « Rapport de la Convention citoyenne sur la fin de vie » – Avril 2023 – Disponible sur www.lecese.fr.
(1) CCNE, avis 139, « Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité » – 13 septembre 2022.