Actualités sociales hebdomadaires - Dans quel contexte la formation de référent de l’intervention par les pairs est-elle née ?
Aysegul Turna : Cette formation s’inscrit dans la démarche « EPoP », pour « Empowerment and Participation of People with Disability », dont l’objectif est de massifier et banaliser le recours aux savoirs expérientiels des personnes en situation de handicap. Cette démarche a été initiée en 2021 par la Croix-Rouge avec des partenaires associatifs gestionnaires d’établissements comme Ladapt, Trisomie 21, le Gapas et la Fisaf. Elle est expérimentée dans les Hauts-de-France et la Nouvelle-Aquitaine, avec un soutien des agences régionales de santé (ARS) de ces deux régions, et vise à étayer les initiatives d’intervention de personnes concernées par un handicap. Pour créer une dynamique, puis évaluer, modéliser et essaimer. Dans ce cadre, nous avons formé des intervenants pairs, en nous appuyant sur un cahier des charges élaboré par le secrétariat général du comité interministériel du handicap (SGCIH), qui pilote l’axe 3 – « Soutien par les pairs » – de la « Réponse accompagnée pour tous ». Mais pour favoriser le déploiement des intervenants pairs, il semblait crucial de sensibiliser les établissements et organisations qui allaient faire appel à eux. En formant également des référents parmi les salariés des structures d’accompagnement, des maisons départementales des personnes handicapées, des ARS, des entreprises… Pour que le recours aux savoirs expérientiels soit soutenu par les professionnels et que l’action des référents soit reconnue par leur hiérarchie.
Comment cet enseignement s’organise-t-il ?
C’est une formation en présentiel, avec une alternance de temps où l’on apprend et de temps de mise en œuvre. Elle est co-animée par les intervenants pairs et se déroule sur cinq à huit jours, au rythme d’un à deux jours par mois, en s’étalant au minimum sur trois mois. De manière que les stagiaires puissent travailler sur des cas concrets. En amont de la formation, il leur est d’ailleurs demandé de recueillir les attentes des personnes qu’ils accompagnent dans leur structure ou organisation.
Qu’apprend-on a y faire ?
Essentiellement, à sensibiliser à l’intervention des pairs, à impulser et à organiser le recours aux savoirs expérientiels. Mais surtout à co-construire un plan d’action avec les personnes en situation de handicap. La démarche commence avec une réunion d’information comprenant idéalement 50 % de professionnels et 50 % de personnes concernées. Il est en effet central que celles-ci soient associées dès le départ. Puis on laisse décanter la réflexion. Le référent recueille alors les idées, identifie les personnes désireuses de s’impliquer et constitue des groupes de travail. Dans les Hauts-de-France, par exemple, un professionnel qui s’est formé a accompagné des personnes concernées pour animer des ateliers pendant la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (Seeph). Sur l’emploi, le bénévolat, le sport, l’habitat ou la santé sexuelle… En Nouvelle-Aquitaine, une référente a appuyé un GEM [groupe d’entraide mutuelle], un colloque sur la pair-aidance. La dernière étape est celle d’une constante évaluation du plan d’action mis en place. Et, à tout moment, le référent en intervention paire peut se faire conseiller par le binôme « EPoP ». Car nous ne nous contentons pas de former des référents, nous les accompagnons dans le développement de leurs projets. De la même façon que l’équipe ressource nationale « EPoP » est constituée d’un binôme coordinateur-pair et cheffe de projet – moi-même – auquel s’ajoute une chargée du déploiement en région de l’Ancreai – il existe dans chaque territoire d’expérimentation un binôme de coordinateurs, dont l’un est un intervenant pair.
Pourquoi cet accompagnement ?
Pour poser un cadre et être épaulé quand on retourne dans son établissement. Le recours aux savoirs expérientiels implique des changements conséquents. En moyenne, les référents y consacreront 20 % de leur temps de travail. Ils doivent donc le formaliser avec leur manager ou les ressources humaines. Ensuite, les pairs interviendront la plupart du temps en tant que professionnels, consultants, intérimaires ou salariés… La question de l’emploi est loin d’être accessoire, car la démarche « EPoP » est financée par la CNSA [Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie], mais aussi par les associations Agefiph et OETH, avec un objectif de partage des savoirs expérientiels pour favoriser l’emploi. Il faudra donc trouver des financements pour travailler avec eux, inscrire le recours à la pair-aidance dans le projet d’établissement. Mais aussi mener des actions auprès des personnes concernées par le handicap pour leur faire prendre conscience de leurs savoirs, et voir comment elles peuvent les utiliser. Enfin, il faudra aider les collègues à évoluer sur leurs postures.
Cela suppose-t-il des qualités particulières ?
Il faut avant tout de réelles qualités relationnelles. C’est le seul prérequis. Car il existe de nombreuses formes de handicap. Certaines personnes ont des difficultés d’élocution, besoin de temps pour s’exprimer… Il faut apprendre à respecter ce temps de parole, à ne pas terminer les phrases à leur place. D’autres n’ont pas eu l’espace pour faire part de leur expérience. Il faut les encourager, leur dire que ce qu’ils expriment a de la valeur. Du côté des collègues, cela suppose d’expliquer que les pairs peuvent intervenir en individuel auprès d’autres personnes en situation de handicap, mais aussi en collectif ou encore comme formateurs. Qu’ils peuvent aller dans les écoles, dans les IRTS [instituts régionaux du travail social], en entreprise pour faire de la sensibilisation à l’accueil de personnes en situation de handicap, participer à l’élaboration de politiques publiques ou encore intervenir comme experts d’usage des biens et des services.
Quelles sont justement les thématiques abordées ?
On commence par rappeler le cadre législatif, la loi de 2005 sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, celle de 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale. Mais aussi et surtout la Convention internationale en faveur des droits des personnes handicapées des Nations unies, que la France a ratifiée en 2010, à partir de laquelle on aborde les questions d’autonomie et de pouvoir d’agir. Ce qui nous amène à la notion d’« autodétermination ». On explique ensuite ce que sont les savoirs expérientiels. Qu’ils sont issus du vécu particulier des personnes, d’une expérience de vie transformée en expertise qu’il est possible de transmettre. Mais qu’en aucun cas ces connaissances ne viennent concurrencer les savoirs techniques des professionnels. Ils sont au contraire complémentaires. On détaille alors les différentes formes d’intervention à partir d’exposés par des pairs de leurs pratiques.
L’intervention par les pairs est-elle à la portée de tous ?
Non, tout le monde ne peut pas être intervenant pair. Il faut être capable d’avoir du recul sur sa propre expérience. Les référents apprennent à composer avant tout avec les forces des personnes concernées, tout en portant un regard bienveillant sur leur fatigabilité, la charge émotionnelle, les sujets qu’elles ne souhaitent pas aborder… Ce qui conduit au travail sur la posture du référent. Nous abordons dans cette partie de la formation l’écoute active, l’empathie. Mais aussi l’absence de jugement et, surtout, la juste proximité. Ne pas oublier que l’intervenant pair est un collègue au savoir différent et complémentaire. Pour compléter, nous développons une boîte à outils avec un annuaire des intervenants pairs, leurs champs de compétences, leur statut. Et également un guide juridique pour savoir comment monter des actions avec les pairs et en garantir la pérennité. Ce n’est pas toujours simple. Dans les FAM [foyers d’accueil médicalisé] et les MAS [maisons d’accueil spécialisées], par exemple, les pairs restent souvent bénévoles. Car ils pourraient perdre avec cette activité professionnelle leur allocation aux adultes handicapés (AAH), qui finance leur place dans ces établissements.