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MNA : à Marseille, une maison ouverte par MSF assure l’urgence

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La cuisine reste un espace ouvert constamment, chaque jeune peut se préparer à manger à toute heure. 

Crédit photo Edouard Hannoteaux
Fin 2021, Médecins sans frontières a ouvert dans la cité phocéenne une maison pour les mineurs non accompagnés en attente de reconnaissance de leur minorité par le juge des enfants. Repérés dans les squats ou à la rue, les plus vulnérables y sont hébergés et pris en charge.

Dans un endroit gardé secret pour garantir la tranquillité des jeunes qui y vivent, une maison particulière est née à Marseille. D’abord pensé comme un dispositif d’urgence censé fermer au bout de trois mois, ce lieu, ouvert par Médecins sans frontières (MSF), fait désormais partie du paysage. Depuis décembre 2021, il héberge des mineurs non accompagnés (MNA) dont la minorité a été contestée par le département des Bouches-du-Rhône, et qui, en attendant leur recours devant le juge des enfants, n’ont plus que la rue ou les squats pour dormir. « La présomption de minorité s’applique jusqu’à épuisement des voies de recours. Donc, entre le moment où ils ne sont pas reconnus mineurs et le moment où ils passent devant le juge pour enfants, généralement plusieurs mois, ils sont dans un flou juridique qui ne leur permet ni de bénéficier des dispositifs d’hébergement d’urgence pour adultes, ni de la protection de l’aide sociale à l’enfance… », regrette Julien Delozanne, coordinateur du projet chez MSF.

Ce mercredi après-midi, la maison vit au rythme des vacances scolaires. La pièce principale, à l’intersection entre la cuisine et la petite salle où se font les entretiens individuels entre les jeunes et le personnel qui s’en occupe, voit défiler les visages au fur et à mesure de la journée. Sur les téléphones portables, le rap français se mélange à des musiques d’Afrique de l’Ouest. Les discussions sérieuses et informelles se confondent. Ici, un jeune coud ses vêtements ; là, deux autres regardent un match de foot à la télévision. D’autres encore préparent de quoi grignoter en attendant le dîner.

Au milieu de tout ça, affalé sur le canapé, les pieds calés sous la table basse entre trois canettes de soda, Ali (1), 17 ans, enchaîne les blagues et les discussions. « Je parle tout le temps. J’en ai besoin. La nuit, quand je n’arrive pas à dormir, je mets exprès de la musique forte pour que les autres se réveillent et qu’on discute, confie-t-il. Quand c’est trop calme, je me mets à réfléchir. Je pense à tout ce qui ne va pas, ça me rend triste. » Le silence s’installe en revanche, lorsqu’il raconte son arrivée en France et les conditions d’accueil. La peine se mêle à la colère. Et les longues respirations rythment le récit.

Ali est originaire du Mali. Après des problèmes familiaux, il a été envoyé en Europe sans même savoir où il allait. Sans pouvoir dire au revoir à ses proches. Sans pouvoir décider lui-même de sa destinée. « Ma mère m’a dit que je devais accompagner mon oncle, mais elle ne m’a pas dit où. Je pensais que ça allait durer quelques jours et que j’allais retourner au village. On m’a menti », lâche le jeune homme. Sa traversée de la mer avec 65 personnes à bord d’un bateau qui prend l’eau le hante encore aujourd’hui. « Si mon oncle m’avait dit ce qu’il comptait faire, je ne serais jamais parti avec lui, jamais ! Je pensais que j’allais mourir. J’avais soif. J’essayais de boire l’eau de la mer mais c’était trop salé. Ça m’a brûlé la bouche. »

L’adolescent a été séparé de son oncle en Espagne, et a poursuivi son parcours seul. Arrivé à Marseille, en 2021, il se présente auprès de l’Addap 13, l’Association départementale pour le développement des actions de prévention des Bouches-du-Rhône. Chargée de l’accueil, de l’accompagnement et de l’évaluation des MNA, l’Addap 13 le loge dans un hôtel à Vitrolles, à une vingtaine de kilomètres de Marseille. Il y reste quelques mois, avant d’être mis à la rue. « Du jour au lendemain, on m’a dit : “Tu prends tes affaires et tu pars !”. Ils croyaient que je mentais, que je n’étais pas mineur. »

Vingt places d’accueil et un suivi

Comme les 18 autres jeunes qui vivent dans cette maison, Ali a connu la vie en squat et à la rue. « On estime qu’il y a environ une centaine de jeunes en recours à la rue à Marseille, observe Julien Delozanne. Ici, on ne peut en accueillir que vingt, dont deux places d’urgence, ce qui est vraiment insuffisant. » Mais le coordinateur du projet insiste : « On ne doit pas se substituer au conseil départemental. Notre but est de le convaincre de prendre en charge ces jeunes car c’est son rôle. Nous sommes prêts à l’accompagner dans cette démarche. »

La maison gérée par MSF offre un accompagnement pluridisciplinaire. Les habitants bénéficient d’un suivi médical, juridique, social, et psychologique. « On va dans des squats avec notre équipe médicale. Les cas les plus vulnérables sont pris en charge ici », explique le coordinateur. Cette vulnérabilité peut prendre plusieurs formes : une pathologie somatique complexe, un état psychologique très fragile, des addictions, ou encore le fait de ne parler que des langues rares, comme c’est le cas des jeunes Afghans, par exemple. « Ici, les jeunes viennent en majorité d’Afrique de l’Ouest, mais aussi du Pakistan et d’Afghanistan », détaille l’employé de MSF.

Des professionnels rodés à l’exil

Au dernier étage, une petite salle sert de bureau pour l’équipe chargée du suivi des jeunes. Sur les murs, sont affichés les plannings de cours et les photos de chacun. « La scolarisation, c’est ce qui est le moins difficile à mettre en place », souligne Juliette Roubieu, intervenante sociale. Les orientations dans les écoles ne prennent généralement pas plus de deux mois. Après avoir passé le test du centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav), « les jeunes font un an dans une unité pour élèves allophones arrivants (UPE2A) puis on les oriente vers des CAP », rapporte l’ancienne professeure de français langue étrangère (FLE). « C’est absurde, poursuit-elle. Parce que parfois une année ne suffit pas pour apprendre le français. Mais vu qu’il faut au moins six mois de formation qualifiante pour obtenir un titre de séjour, on privilégie ce cursus… »

L’urgence l’emporte et conditionne les choix. « J’adore aller à l’école mais cette situation me pousse à chercher un métier », déplore Henri(1), 16 ans. L’adolescent habite ici depuis moins d’une semaine : « Juste avant, j’étais à l’hôpital pendant quinze jours et avant encore, j’ai dormi à la gare et dans un squat. L’Addap 13 m’a mis dehors sans même me donner les résultats de mon scanner et de ma prise de sang. »

Le Haut Conseil de la santé publique recommande aux départements d’évaluer les besoins en santé des MNA dans les 48 heures après le premier contact, en amont des entretiens d’évaluation sociale. A l’issue, un document avec les informations recueillies doit être transmis au jeune. Et des soins doivent être dispensés si la situation le nécessite. Chez les jeunes pris en charge par MSF, « il n’y en a pas un seul qui a eu un début de suivi médical. Pourtant, ils ont des pathologies complexes, voire graves… », alerte Audrey Giraudo, l’une des deux infirmières du lieu. Parmi les maladies, la tuberculose, l’hépatite B, la bilharziose… Pour les prendre en charge, MSF travaille en partenariat avec le Comité pour la santé des exilé•e•s (Comede) en région Paca et l’association marseillaise Imaje santé. Les deux structures orientent vers un personnel soignant habitué à travailler avec ce public. « Nos jeunes ont la double particularité d’être mineurs et en migration. C’est très important de trouver des médecins qui connaissent ce contexte où il n’y a aucune trace de leur passé médical. Il faut réussir à les soigner sans connaître leurs antécédents », explique l’infirmière.

Les jeunes ont aussi besoin d’une prise en charge psychologique, voire psychiatrique. « Le parcours de l’exil, la situation de précarité, l’incertitude juridique et administrative créent des symptômes », analyse Julie Arçuby, la psychologue qui a rejoint l’équipe depuis peu, avec pour rôle de dépister et d’orienter les jeunes. « Cela se fait aussi bien en entretien individuel que sur des moments informels autour d’un repas ou d’un jeu », explique-t-elle en tirant sur sa cigarette dans la cour de la maison. Parce que peu de soignants connaissent la manière dont la symptomatologie s’exprime selon les cultures, Julie Arçuby se tourne vers des spécialistes de la santé mentale habitués à travailler avec des migrants : « Les psychiatres peuvent, par exemple, considérer que quelqu’un délire parce qu’il parle de vaudou alors que ce n’est pas du tout le cas. Et lui prescrire des médicaments alors que ce n’est pas ce dont il a besoin. »

Des émotions difficiles à contenir

La détresse psychologique des jeunes nécessite parfois des hospitalisations en psychiatrie. « Certains parlent d’envies suicidaires avec scénarisation de l’acte. A ce moment-là, il faut agir vite ! », pointe la psychologue. Léa Ducroz, éducatrice spécialisée, travaille, elle, avec un public de MNA depuis 2017. « Les problématiques sont différentes de celles des autres jeunes pris en charge par l’ASE. Dans les deux cas, ce sont des gamins fracassés mais pas du tout pour les mêmes raisons. Beaucoup de MNA partent sans le dire à leur maman, à leur famille, et portent sur leurs dos la pression de sauver ceux qui sont restés au pays. En plus de la précarité causée par les dysfonctionnements administratifs dont ils sont victimes. », explique-t-elle.

Malgré l’expérience, l’éducatrice confie avoir des difficultés à garder une distance émotionnelle : « Ce sont des enfants seuls, dans un pays étranger, sans aucun repère… ça me flingue. » Elle se remémore un épisode qui l’a marquée et pour lequel elle est suivie psychologiquement. « C’était l’an dernier. On s’occupait d’un jeune particulièrement vulnérable. Il était très mal dans sa peau, avait des addictions, des idées suicidaires, une situation médicale complexe…, raconte-t-elle. Un jour, il est allé voir des copains en hébergement d’urgence et il est tombé du toit-terrasse, trois étages plus bas. Il est resté dans le coma pendant trois semaines. Je n’ai pas décroché du service de réanimation. J’y allais chaque jour, comme si c’était mon gamin. » Le jeune homme a survécu et a réintégré la maison, avant d’être placé dans un appartement de coordination thérapeutique.

Pour tenter de diminuer la pression et la charge mentale, l’équipe se réunit une fois toutes les cinq semaines et évoque les difficultés rencontrées. Les travailleurs sociaux ne dorment pas sur place, un veilleur de nuit prend le relais. Mais ils sont d’astreinte une semaine par mois. C’est-à-dire joignables la nuit en cas d’urgence sur cette période.

Léa Ducroz doit se remettre au travail. Il est 19 h 00, l’heure de la réunion hebdomadaire. Assise sur un fauteuil, ordinateur sur les genoux, elle regroupe tous les habitants dans la pièce principale. Trois tableaux blancs habillent les murs du séjour. L’un d’eux liste les prénoms des jeunes répartis en différents groupes. Le second indique les activités à venir, comme le ski, la boxe, ou même le rangement de la cuisine. Et le dernier déroule une liste de fournitures à se procurer, à côté de quelques mots de vocabulaire en bambara, l’une des langues parlées au Mali et que plusieurs jeunes ici maîtrisent.

A la question : « Avez-vous des remarques ? », les jeunes n’osent pas répondre. Ils écoutent la répartition des tâches et des activités à venir. Mais au fil des minutes, la timidité se dissipe. « Quand est-ce que vous réparez l’antenne pour qu’on puisse voir tous les matchs de foot ? », lance l’un. « Et puis, le jeu Fifa 23, ça va faire un mois qu’on en a parlé, mais on ne l’a toujours pas acheté… », ajoute-t-il. Des remarques qui dessinent quelques sourires sur les visages des autres participants, et qui laissent place, le temps d’un instant, à des préoccupations légères d’adolescents.

Sur la cinquantaine de jeunes accompagnés par l’équipe en 2022, environ 80 % ont réussi à faire reconnaître leur minorité par le juge des enfants. Mais les difficultés ne s’arrêtent pas pour autant à ce moment. « Le conseil départemental fait quasiment systématiquement appel des décisions. A la cour d’appel d’Aix-en-Provence, les chances de gagner sont très faibles », s’indigne Juliette Roubieu. Dès lors, nombre de jeunes se retrouvent de nouveau à la rue. Ils réintègrent la maison jusqu’à leur majorité quand il y a de la place. « On a une liste d’attente, précise-t-elle, mais elle est en permanence court-circuitée par l’urgence. »

Notes

(1) Les prénoms ont été modifiés.

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